Alcoolique

Pas moins de sept années auront été nécessaires pour que The Alcoholic (Alcoolique) soit adapté en France. Monsieur Toussaint Louverture, jolie maison éditoriale, a eu la bonne idée de s’emparer de l’œuvre originale écrite par Jonathan Ames. Devenant pour l’occasion, un bel objet, Alcoolique est aussi attrayant dans le contenu proposé que pour sa couverture séduisante. En y ajoutant le trait sobre de Dean Haspiel, on obtient un équilibre parfait. Alcoolique est prêt à être dégusté.

Première planche. Gros plan sur des yeux qui peinent à s’ouvrir. À la cinquième case, le visage entier et interrogatif du héros se dessine. Jonathan A. se présente en trois mots, « je suis alcoolique« . Histoire de justifier la raison pour laquelle il se trouve dans une voiture où semble habiter une (très) vieille dame. Elle en a clairement après son corps et on saura plus tard par quelle aberration il s’est retrouvé dans cet énième pétrin.

JE SUIS ALCOOLIQUE

Il faut retourner vingt-deux en arrière pour comprendre comment il a pu se réveiller dans ce tacot aussi repoussant que sa propriétaire. 1979, après un rebond bien dosé, une pièce tombe dans un verre, un jeu typique pour que la consommation de bière devienne ludique. L’auteur de ce geste parfait, choisit qui doit avaler une gorgée. Du haut de ses quinze ans, Jonathan fait ainsi la connaissance avec l’alcool et, malgré une première déglutition repoussante, il ne quitte plus les saouleries du week-end deux ans durant.

Accompagné de Sal, son meilleur ami et bien plus encore, Jonathan mène une double vie. Celle précédemment évoquée n’est pour le moment, assimilée qu’à de régulières festivités. Le reste du temps Jonathan est un adolescent irréprochable dans sa vie étudiante. Se découvrant même une passion pour l’écriture grâce à l’influence d’écrivains tels que Hunter S. Thompson ou Kerouac, il y voit là une porte à ouvrir pour éclaircir son avenir.

COLLECTION DE DÉBOIRES

Mais insuffisamment pour s’éloigner de la bouteille. À chaque étape importante de sa vie,  heureuse ou sombre, Jonathan s’enfonce un peu plus dans cette addiction ravageuse. La perte précoce d’êtres chers, la lente dégradation de la relation avec son meilleur ami, les diverses prises de drogues, favorisent cette inéluctable descente aux enfers.

Le summum pour notre protagoniste résultera d’un profond échec amoureux. Pourtant bien commencée, cette relation ne sera que le reflet de ce qu’il traverse avec sa dépendance. En effet, ses innombrables ruptures jamais définitives avec celle qu’il appelle par des noms de ville, résonnent étrangement avec ses nombreuses tentatives de désintoxication.

Ces faits relatés, on pourrait croire qu’on s’achemine vers une lecture remplie de sinistrose mais il se passe autre chose. Grâce à l’humour salvateur du héros, certaines scènes qui pourraient s’avérer dégradantes se transforment en situations cocasses, donnant un peu de légèreté face à la gravité du sujet.

L’AUTEUR BROUILLE LES CARTES

Expliqué lors d’une lecture publique, l’auteur de Alcoolique confirme bien évidemment que le nom du héros ressemble au sien. Mais en y soulignant l’intérêt de l’abréviation. Jonathan A. ne correspondant pas exclusivement à « Ames », il peut tout à fait emprunter un autre patronyme (Anonyme, Alone, Alcoolique…). Rien d’anodin puisque ce roman graphique se veut partiellement autobiographique.

Quoiqu’il en soit, l’œuvre de Jonathan Ames est vraiment bien écrite. L’alcoolisme est omniprésent, mais les conséquences de cette maladie sont relatées avec une telle (auto ?) dérision qu’on a souvent l’impression que Jonathan A. va s’en sortir. En tout cas, on le souhaite. Dean Haspiel  n’est pas étranger à cette réussite. Son dessin noir & blanc est d’une grande efficacité. Son graphisme danse entre humour, tendresse et tristesse (certains passages, comme celui qui relate le 11 septembre 2001, sont poignants).

UN THÈME, DEUX APPROCHES

Alcoolique se lit avec la même saveur que Mal de Mère de Rodéric Valambois et pourtant le sujet commun est traité de manière si différente. Avec un constat inévitable : que l’on soit soi-même victime de cet incessant besoin ou bien que cela soit ces yeux d’enfants qui assistent inexorablement à la défaillance de sa mère, boire n’est pas la cause du problème. Mais bien le problème qui en est la cause. On s’attache aux destins contés car nous détenons assez d’informations pour comprendre le cheminement les ayant conduits à cet extrême. C’est ainsi, cruellement dur pour eux mais c’est aussi insoutenable pour l’entourage tellement impuissant.

Un peu d’optimisme ? Jonathan Ames est un auteur/scénariste/créateur/producteur très actif depuis la sortie de Alcoolique en 2008. C’est de bon augure pour son double fictif. La fin de ce premier roman graphique nous laissant un peu en suspens, on peut alors imaginer une issue positive.

Article posté le vendredi 13 mai 2016 par Mikey Martin

J. Ames et D Haspiel aux éditions M. Toussaint Louverture, délivrent avec Alcoolique une oeuvre enivrante. Décryptée par Comixtrip le site BD de référence
  • Alcoolique
  • Auteur : Jonathan Ames
  • Dessinateur : Dean Haspiel
  • Editeur : Monsieur Toussaint Louverture
  • Prix : 22,00 €
  • Parution : octobre 2015

Résumé de l’éditeur : Quand Jonathan A. se retrouve à l’arrière d’une voiture avec une petite vieille qui en a après son caleçon, il prend conscience qu’il a peut-être un problème avec l’alcool. Sa première cuite l’avait pourtant initié au charme éphémère de la bière : une potion magique qui rend plus beau, plus cool… mais le laisse sur le carreau. Un avertissement qui ne l’a pas empêché de mener une double vie pendant des années : premier de la classe la semaine, dernier des alcoolos le week-end. Sa vie sexuelle est tout aussi erratique, mettant à mal une amitié qu’il croyait indestructible. Puis surviennent les drames, et c’est désormais l’oubli que Jonathan cherche dans les ivresses : celle de l’alcool, bien sûr, mais aussi celles de l’amour et du manque. Des plages idylliques des îles Grenadines aux caniveaux de Brooklyn en passant par un séjour merdique dans le Sud de la France, Alcoolique est le récit autobiographique triste et tendre d’un homme à la recherche de lui-même.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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