Boire pour fuir ma solitude

Kabi Nagata revient avec le troisième tome de son autobiographie, édité chez Pika, Boire pour fuir ma solitude. Si dans les deux premiers Solitude d’un autre genre et Journal de ma solitude, Kabi Nagata relate son coming-in, son coming-out, sa dépression et la réaction de ses parents, la trentenaire change ici légèrement de registre. Pourtant l’autrice nous raconte toujours ses états-d’âmes, ses souffrances et par là, le courage de vivre au quotidien. 

Destination Fiction

Dans Journal de ma Solitude, Kabi Nagata raconte comment sa souffrance et la façon dont elle dévoile ses parents dans ses livres les ont blessés. Elle prend conscience de l’impact que les récits autobiographiques peuvent avoir sur ses proches et décide d’arrêter d’écrire ce genre où elle se dévoile entièrement.

Elle se lance donc dans l’écriture de fiction, poussée également par la lecture d’un récit que nous avons la chance de connaître également en France : Daruchan de Lemon Haruna. Récit de fiction qui est à la fois intime et universelle. Touchée en plein cœur, Kabi Nagata opère un virage à 90° vers des récits qui, cette fois, ne la regarde pas. Elle nous avait donné un avant goût de son univers avec une nouvelle de fiction à la fin de Journal de ma solitude. 

Pourtant Boire pour fuir ma solitude est un récit autobiographique me diriez-vous.

Tout à fait. Et c’est le cheminement entre ses résolutions et ce nouvel ouvrage qu’elle nous raconte.

Boire pour fuir ma solitude

Kabi est malade. Une pancréatite aiguë (entre autre). Durant sa convalescence, l’autrice, pourtant active sur les réseaux sociaux, ne va pas communiquer sur sa maladie. Car Kabi Nagata est malade à cause de son alcoolisme. Et elle a honte.

Honte de boire au point que mettre son pancréas dans un état si déplorable que même les médecins n’ont jamais vu ça.

Dans Boire pour fuir ma solitudeKabi raconte comment elle a vécu son hospitalisation. Comment, durant plusieurs semaines, son pancréas l’a faisait souffrir, comment elle devait se déplacer avec sa perfusion, comment certains antidouleurs fonctionnent, d’autres pas.

Elle raconte aussi comment elle en est arrivée là. Pendant un temps, son univers ne se composait que des bars du voisinage ou des litres de Shochu achetés à la supérette. Kabi devait dessiner et n’avançait pas. Jusqu’au jour où une douleur insupportable au ventre la terrasse. Un petit bout de son monde s’écroule.

Dorénavant, son corps a changé de façon irrémédiable.

Raconter sa vie et raconter la vie

Si ces premiers ouvrages étaient plutôt épais, fait de crayonné chiffon et d’aplat rose, Boire pour fuir ma solitude est bien plus mince. On retrouve son style atypique tout en dessin approximatif, comme dessiné sur le coin d’une table, mais nimbé d’aplat orange. Un orange de stabilo.

Cette monochromie marque son identité de dessinatrice, mais ses mangas se distinguent aussi par son style de narration. Ils sont chaotiques. A la façon d’un journal intime, tout y est relaté pêle-mêle. Ses états-d’âmes, ses questionnements, sa façon de boire, ses dialogues avec les médecins, le soutien de sa mère, ses avancées dans ses fictions, ses éditeurs. Dans un récit sans temporalité, Kabi nous raconte une photographie de son existence où les informations les plus importantes ne sont pas forcément au premier plan.

C’est ainsi qu’elle relate comment elle s’obstine à ne pas vouloir parler d’elle. Bien que cette partie de son histoire sonne comme une impasse. Malgré son passage à l’hôpital, elle ne sort pas de cette douleur sourde, brutale et envahissante qui hante son esprit. Cette douleur mentale qu’elle noyait dans l’alcool pour ne pas l’entendre. Elle raconte ses efforts et ses rechutes, elle raconte les remontrances du médecins et se livre toujours plus. Montrant à quel point c’est dure de sortir d’une addiction.

Clic et Déclic

L’alcool n’est pas le problème. Comme toutes les addictions – m’a dit un médecin un jour – c’est un symptôme d’autre chose.

A travers le récit de son addiction, Kabi Nagata raconte ses questionnements sur la fiction. Elle sème au fil des pages les indices qui mène à sa grande révélation. Elle ne tente pas de raconter son histoire sagement. Elle compose son manga comme une vie. Et dans une vie, les grandes révélations ne viennent jamais de nulle part. Elles font leur bonhomme de chemin, silencieusement, avant de nous surprendre en fanfare.

Kabi décrit son déclic avec une humilité qui achève de nous faire tomber sous son charme. Personnalité malheureuse, elle a ce courage déroutant de nous parler franchement. Non pas parce que parler de soi est une forme de narcissisme grandiloquent, mais parce que l’autobiographie est le médium qui la touche elle, profondément.

Kabi Nagata sait comment rendre évident des ressenties purement personnelle. Et si elle semble impressionnée par l’universalité de Daruchan, son approche à elle est totalement différente.

Kabi raconte la vie comme personne ne sait le faire. Boire pour fuir ma solitude en est un nouvel exemple qui saura toucher un large public. Autant ceux qui aiment l’autobiographie, ceux qui aiment les bandes dessinées atypiques, ceux qui se reconnaîtrons et tous les autres.

Article posté le lundi 20 juin 2022 par Marie Lonni

Boire pour fuir ma solitude - Kabi Nagata - Pika Edition
  • Boire pour fuir ma solitude
  • Auteur : Kabi Nagata
  • Éditeur : Pika Edition
  • Prix : 16€
  • Parution : 15 juin 2022
  • ISBN : 9782811668297

Résumé de l’éditeur : Voilà, à force de fuir la réalité en me réfugiant dans l’alcool, j’ai fini par infliger à mon corps des dommages irréversibles. Maintenant privée d’échappatoire, je vais devoir faire face à ma culpabilité et affronter mes propres sentiments. Alors que j’avais décidé d’abandonner l’autobiographie pour me consacrer aux mangas de fiction, vais-je parvenir à trouver des idées, moi qui me servais de la boisson comme carburant pour écrire ? Et si la fiction était pour moi le seul moyen de me confronter à ma réalité ?

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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