Can’t Get No

Chad Roe avait tout pour réussir : un magnifique pavillon, une femme hyper connectée, un travail dans une entreprise cotée en bourse… Mais en même temps que l’Amérique, sa vie va basculer alors que le XXIe siècle avait un an. Rick Veitch nous raconte cette histoire dans Can’t Get No, un road trip initiatique paru chez Delirium.

CAN’T GET NO, MAIS ÇA DOIT SE VOIR.

Dans la vie, Chad Roe a réussi. Comme un poisson dans l’eau, il vit dans un magnifique pavillon situé à Jersey City. Sur les murs de sa chambre, il a accroché des masques tribaux grimaçants. Face à son lit, trône une monumentale et ostensible reproduction du Philosophe en méditation de Rembrandt.

Depuis ses fenêtres, il voit Lower Manhattan : ses buildings gigantesques et bien entendu ses tours jumelles.

C’est vrai, le matin, il laisse éclater quelques sanglots angoissés. Mais le temps que les pilules fassent effet, il est déjà prêt à prendre le ferry qui le mènera à son travail. Il est haut placé dans une société qui fabrique des feutres absolument indélébiles. Elle est cotée en bourse à hauteur de 85 millions de dollars.

Sa vie est à l’image de ce qu’il vend. Et comme le dit le slogan :

« ETERN-O-MARK : Quand ça doit durer pour toujours ! »

Et pourtant, rien ne peut durer pour toujours.

Chad Roe va en faire l’amère expérience.

CAN’T GET NO, RIEN N’EST ÉTERNEL.

Tout s’écroule en effet le jour où la société ETERN-O-MARK est attaquée en justice. La ville de New-York la juge responsable de la prolifération des graffitis.

En une fraction de seconde, l’action s’effondre.

Ce qui devait durer toujours vient de s’écrouler.

Mais tout n’est pas perdu. On peut toujours trouver des solutions. Malheureusement, Roe en recherche dans les pilules et l’alcool… Tant et si bien que le matin du rendez-vous de la dernière chance, Chad Roe se réveille avec la gueule de bois. Il a deux jeunes femmes à ses côtés et le corps intégralement recouvert de tatouages réalisés avec ses propres marqueurs.

OUVRIR LES YEUX.

Devenu un paria aux yeux de tous, Roe décide de tout envoyer valser. Un bref instant…

Car un matin qui aurait pu être beau, l’Histoire le percute. Sous ses yeux, deux avions viennent réduire à néant un des symboles les plus flamboyants des États-Unis.

À bout de souffle, à bout de nerf, le jeune homme va alors tout quitter pour entamer un road trip mystique.

Pour comprendre l’Amérique, il faut entrer dans sa tête. Et pour y parvenir, quel meilleur point de départ que le site touristique de Williamsburg ?

Virginie, New Jersey, Nevada… Traversant tout autant les espaces que le temps, Chad Roe va tenter de découvrir qui il est vraiment dans une Amérique meurtrie.

L’histoire est originale et sibylline. Mais Rick Veitch ne s’arrête pas là : Can’t Get No est un concept total.

UN ODNI : OBJET DESSINÉ NON IDENTIFIÉ.

Format à l’italienne, usage du noir et blanc, absence totale de paroles

À tous points de vue, Rick Veitch nous livre une œuvre qui surprend et inquiète.

Depuis l’instant où on prend l’imposant volume entre les mains jusqu’au moment où on le referme, on a de cesse de s’étonner, de se questionner. Le moindre détail a son importance et est porteur de sens. Et à l’image du protagoniste, on se perd sans jamais cesser de rechercher la clé des mystères qui s’offrent à nous.

Et pourtant, la lecture est simple, fluide. Les dessins guident l’œil avec précision.

Il faut dire que le lecteur n’est pas seul. En effet, il vogue à travers la forêt de symboles guidé par une voix mystérieuse.

VEITCH LE POÈTE.

Et c’est là un des éléments les plus marquants de l’œuvre : cette voix qui accompagne les dessins de manière aussi systématique qu’énigmatique.

Par une prose poétique particulièrement travaillée et portée par des cartouches disséminés sur la page, Rick Veitch développe une ambiance, une atmosphère.

Parfois il commente, quelques fois il analyse, souvent il moque les actions de son personnage.

Tantôt comique, tantôt cynique, tantôt descriptif, tantôt symboliste, le verbe joue avec la représentation pour un résultat aussi envoûtant que réussi.

Et pourtant, apprécier cette œuvre en français aurait pu prendre les traits d’une chimère.

Grâce au souci des éditions Delirium (Panorama, Next Men), il n’en est rien. De fait, la lourde tâche de traduction a été confiée à Jean Hautepierre, lui-même poète et spécialiste de cette épineuse question. Le traducteur des poèmes d’Edgar Poe parvient en effet à dépasser la barrière de la langue pour conserver l’essence du texte initial et bercer un lecteur désarçonné mais conquis.

CAN’T GET NO OU L’ART DE METTRE ENTRE PARENTHÈSES.

Iconoclaste, audacieux, mystérieux, envoûtant, cynique, initiatique, drôle, mystique, transgressif, exigeant. Les qualificatifs ne manquent pas pour caractériser I can’t Get No (Satisfaction), le comic book inclassable de Rick Veitch paru chez Delirium (mais pouvait-il en être autrement ?).

Ouvrir cette œuvre, c’est plonger au cœur de l’Amérique dans une aventure poétique unique à la recherche de la satisfaction.

Hey, hey, hey That’s what I say !

Article posté le lundi 27 septembre 2021 par Victor Benelbaz

Can't Get No de Rick Veitch (Delirium)
  • Can’t Get No (Satisfaction)
  • Scénariste : Rick Veitch
  • Dessinateur : Rick Veitch
  • Traducteur : Jean Hautepierre
  • Editeur : Delirium
  • Prix : 25 €
  • Parution : 20 Août 2021
  • ISBN : 9791090916883

Résumé de l’éditeur : Chad Roe mène l’existence idéale du cadre moderne américain. Riche entrepreneur et détenteur d’une femme-trophée parfaite, les excès en tout genre menacent néanmoins sa vie et sa carrière. Plongé soudain dans les difficultés financières suite à un brutal revirement boursier, Chad Roe se prépare à affronter des « business angels » dans une opération de la dernière chance pour sauver sa société. La veille du rendez-vous décisif, il se livre à une nuit de débauche dont il va se réveiller un homme « marqué » , au sens propre du terme. Nous sommes le 11 Septembre 2001. Parmi tant d’autres dont l’existence a dramatiquement changé, au lieu de chercher à recoller les morceaux de sa vie « d’avant » , Chad Roe se lance dans un road-trip au coeur d’une Amérique en état de choc, dans une quête désespérée de renaissance.

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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