C’est la jungle!

Les nouvelles éditions Wombat proposent une version définitive de C’est la jungle!, un des sommets de la BD comique américaine du vingtième siècle. Pour découvrir ou redécouvrir tout le talent d’Harvey Kurtzman.

UNE FIGURE DU NEUVIÈME ART

Harvey Kurtzman (1924-1993) fut selon le New York Times, excusez du peu, « une des figures les plus importantes de l’Amérique de l’après-guerre ».  Fondateur et rédacteur en chef du fameux magazine Mad puis de plusieurs revues jusqu’à la fin des années 60, il fut aussi un scénariste prolifique et apprécié jusque dans les pages du Playboy d’Hugh Hefner, récemment disparu.

Sans son apport, assurent les spécialistes du 9e art, pas de mouvement underground en BD, pas de journal Pilote en France, pas d’Echo des Savanes, pas de Hara Kiri, pas de Fluide Glacial et pas non plus de Métal Hurlant…C’est dire. Bref, on a ici affaire à un monument…

QUATRE HISTOIRES DISTINCTES

C’est la jungle! a été publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1959 en format poche. C’est le premier roman graphique. Et ce fut un échec commercial. Depuis, les « graphic novels » ont fait bien du chemin et trouvé au fil des décennies un public de plus en plus large. Ce jungle book se compose de quatre histoires distinctes. La première, « Thelonius Violence », du nom d’un détective « à la cool » est une sorte de parodie des séries TV de l’époque, pleine de jolies filles, qui se déroule à un train d’enfer sur fond de jazz. On notera ici le sens de l’a propos de l’auteur qui fait coïncider coups de poing et éclats de voix de ses personnages avec des onomatopées musicales comme ce savoureux « Vaa Doodle De Blaaa »

La deuxième histoire, « Le cadre supérieur au complet de flanelle grise » est une satire féroce du monde de l’entreprise, en particulier celui de l’édition et de le presse magazine que Kurtzman a bien connu. Frais émoulu d’une école de commerce, le jeune Goodman Beaver , « bardé d’idéaux et de convictions morales, débordant d’enthousiasme, d’une envie dévorante de créer du neuf… Des produits de qualité qui amélioreraient la vie de son prochain » va être progressivement corrompu par les règles de l’entreprise qui l’emploie.

La troisième, « Frénésie sur la prairie », peut-être la plus drôle de ces histoires, se déroule « dans les vastes plaines du Nebraska ». Elle met en scène le shérif de Dodge city, Matt Dollin, qui poursuit sans relâche les truands mais qui se révèle un bien triste pistolero.

La quatrième enfin, « Décadence dégénérée », est basée sur les souvenirs de l’auteur lors de son séjour à Paris, une petite ville du Texas, baptisée ici Rottenville. Histoire cruelle de lynchage où une poignée de jeunes désœuvrés s’en prend à un des leurs et se méprend sur ses intentions.

SOUPLESSE ET NERVOSITÉ DU TRAIT

Tout au long de ces pages, Kurtzman développe un sens aigu du découpage. Le rythme est rapide, enlevé, démultiplié par des dialogues maîtrisés et des onomatopées originales. Son dessin est souple et nerveux.

Ses pairs ne s’y sont pas trompés, rendant tour à tour hommage à son talent de conteur et de dessinateur.

Dans cette troisième édition française de C’est la Jungle, dont le regretté Wolinski signa le prologue, tous s’acquittent de la dette dont ils se sentent redevables à travers des témoignages. Au lecteur du 21 e siècle de se forger son propre jugement…

Article posté le dimanche 15 octobre 2017 par Jean-Michel Gouin

  • C’est la jungle!
  • Auteur : Harvey Kurtzman
  • Editeur : Nouvelles éditions Wombat
  • Prix: 25 €
  • Parution : octobre 2017
  • ISBN : 978-2-37498-089-8

Résumé de l’album : En 1958, Harvey Kurtzman, le créateur du magazine MAD, proposa à l’éditeur de livres de poche Ian Ballantine une idée tout à fait novatrice : publier directement au format livre un recueil de quatre histoires graphiques, certaines à forte teneur autobiographiques, et toutes au vitriol, destinées à un lectorat adulte. Il faudra attendre plusieurs décennies avant que ce concept se popularise sous l’appellation « roman graphique ». En avance sur son temps, C’est la jungle ! (1959) fut à l’époque un relatif échec commercial, mais son originalité et sa réussite artistique eurent un impact extraordinaire sur plusieurs générations d’auteurs de bande dessinée, de Robert Crumb à Art Spiegelman, en passant par Georges Wolinski, qui tous lui rendent hommage dans ces pages. Classé 26 dans le « Top 100 des meilleurs comics du XXsiècle » établi par The Comics Journal, ce chef-d’œuvre précurseur, décapant et drôlissime de l’histoire de la bande dessinée américaine est présenté ici dans une édition enrichie, mise au point par le spécialiste Denis Kitchen, et une nouvelle traduction, à laquelle s’ajoute pour l’édition française un prologue de Georges Wolinski. Avec des textes de : Georges Wolinski, Art Spiegelman, Gilbert Shelton, Denis Kitchen, Peter Poplaski & Robert Crumb.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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