Claudine à l’école

Etre une jeune fille forte, indépendante et tomber amoureuse de son institutrice au début du XXe siècle, ce n’est pas commun. Mais c’est bien le destin de Claudine, l’héroïne de la romancière Colette, décliné aujourd’hui en bande dessinée par Lucie Durbiano dans Claudine à l’école, une magnifique adaptation, drôle et tendre chez Gallimard.

L’arrivée de Aimée Lanthenay

Montigny, début du XXe siècle. Claudine, 15 ans, vit seule avec son père dans une très belle maison de la petite ville. Taciturne et ne sortant pas trop de son atelier depuis le décès de son épouse, l’homme est un scientifique spécialiste des mollusques. Il faut souligner que le papa de Claudine ne se soucie vraiment pas beaucoup du sort de sa fille, la laissant grandir seule. La maison est tenue par Mélie, la femme de ménage qui tente comme elle peut de donner un peu de standing à la demeure.

La vie de Claudine est rythmée par ses longues discussions avec Claire, sa sœur de lait qui vit dans un petite ferme et par ses journées à l’école avec ses amies Marie et Anaïs. Mais, un jour, dans l’établissement – séparé garçons/filles – arrivent trois nouveaux professeurs : Duplessis et Rabastens pour les garçons, ainsi que Aimée Lanthenay pour les filles. Ce dernière sera l’assistante de Mademoiselle Sergent, l’institutrice.

De l’amitié à l’amour

Tout juste diplômée de l’Ecole Normale, Aimée doit partager la chambre de l’institutrice. De son côté, Claudine aimerait que la nouvelle institutrice soit son amie. Elle est fascinée par son intelligence et sa beauté.

Pour se rapprocher d’elle, la jeune adolescente lui demande de venir chez elle le soir pour lui donner des cours d’anglais. Peu d’anglais en fait mais plutôt des discussions sur Aimée et ses prétendants. Il faut dire que Antonin Rabastens est charmé par le belle blonde. Ce qui ne plaît guère à Claudine, qui tombe amoureuse d’elle.

Le docteur Dutertre qui rend souvent visite à la classe de Mademoiselle Sergent est attiré par les jeunes filles et plus particulièrement de Claudine. Du côté de l’institutrice, elle demande à Aimée de s’éloigner de l’adolescente…

Claudine à l’école : De Willy à Colette

Roman semi-autobiographique paru en 1900, Claudine à l’école évoquait alors quelques bribes de la vie de Colette. Mais à l’époque, la romancière était mariée à Willy depuis 1893, lui-même écrivain, qui avait eu la douce idée de vendre les droits des livres de son épouse sans qu’elle soit au courant. Elle ne lui pardonnera jamais.

C’est donc sous le nom de Willy que parait la première version de Claudine à l’école avant que l’éditeur ne rétablisse la vérité quelques années plus tard. Le livre fut un véritable scandale à sa sortie à cause de son style très vrai et naturel mais surtout pour sa thématique : les amours lesbiennes, très mal vues à l’époque. On est encore très loin des albums Le bleu est une couleur chaude (Julie Maroh) ou L’essentiel des gouines à suivre (Alison Bechdel).

Amours interdites

Si Claudine à l’école est un livre ancien – il a déjà 118 ans – il est résolument moderne ! C’est ce qui a du plaire à Lucie Durbiano au-delà de la simple adaptation. L’autrice de Trésor ou Lo (Gallimard) met magnifiquement en image ce récit où la bisexualité et l’homosexualité sont au cœur des relations de ses jeunes protagonistes. Très belle romance, l’histoire parle avant tout de toutes les formes d’amour, sans distinction, avec justesse et de manière très naturelle.

Duos, trios voire quatuor amoureux se dévoilent sous nos yeux comme dans un vaudeville intelligent. Les non-dits et quiproquos parsèment Claudine à l’école, ce qui apporte beaucoup d’humour.

Quant à l’héroïne, elle est aussi moderne comme pouvait l’être Colette : intrépide, s’affirmant seule et ne voulant pas être placée sous le joug des hommes. Malgré les déceptions de ses premières amours, l’adolescente continue dans la même voie, avec optimisme et légèreté, sans se soucier du qu’en-dira-t-on.

Tendre et parfois piquante, l’histoire bénéficie du très beau graphisme de Lucie Durbiano. Son trait ligne claire apporte lui aussi beaucoup de modernité à son récit. Aidée aux couleurs par Jeanne Balas, l’autrice réalise des planches qui sentent bon l’odeur des écoles du début du XXe siècle (charbon de bois, encre). Elle restitue parfaitement cette ambiance douce des établissements scolaires de cette époque. La force de l’album est aussi dans la suggestion de ces amours sans trop en dévoiler, ce charme désuet qui accroche le lecteur.

Article posté le lundi 26 mars 2018 par Damien Canteau

claudine à l'école de Lucie Durbiano d'après Colette (gallimard) décrypté par Comixtrip
  • Claudine à l’école
  • Autrice : Lucie Durbiano
  • Coloristes : Jeanne Balas et Lucie Durbiano
  • Editeur : Gallimard, collection Fétiche
  • Prix : 20€
  • Parution : 22 mars 2018
  • ISBN: 9782070599769

Résumé de l’album : Cette année qui débute doit se conclure avec les épreuves du brevet, mais les études ennuient profondément Claudine qui préfère jouer des tours à ses camarades et se mêler des affaires des grandes personnes. Du haut de ses quinze ans, cette jeune fille vive, un brin effrontée, déstabilise le petit monde qui l’entoure. Si certains hommes commencent à la courtiser franchement, elle, de son côté, s’éprend de la nouvelle institutrice. Dès lors, l’école de jeunes filles du village devient le théâtre d’une comédie de moeurs tendre et piquante aux accents vaudevillesques.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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