Confidences à Allah

À l’origine, Confidences à Allah, est un roman dont les mots sont couchés par Saphia Azzeddine. Un succès retentissant qui prend un peu plus d’épaisseur avec une adaptation sur les planches. Plus récemment, le neuvième art s’empare à son tour de l’histoire de Jbara, cette jeune bergère maghrébine dont l’existence est mise à nu sans tabou. Le duo Marie Avril et Eddy Simon revisite le portrait d’une femme aussi étonnante dans ses convictions que courageuse dans ses choix.

« Tafafilt c’est la mort. Et pourtant j’y suis née ». Voici les premières affirmations franches qui alimentent les deux premières cases de ce one shot. La première phrase symbolisant le panorama du premier dessin. La deuxième expliquant l’endroit ou est née l’héroïne. La page suivante nous fait immédiatement découvrir Jbara. On ne la quittera plus de l’histoire. Son histoire, son destin, ses décisions, son innocence, sa naïveté. Rien n’est occulté.

UNE VIE, TROIS IDENTITÉS

Trois étapes bien distinctes se démarquent dans la vie de Jbara. On commence par celle de ses 16 ans. Une belle ingénue se présente à nous. La preuve en est lorsqu’elle offre son corps à un berger en échange d’un de ses mets favoris, un yaourt à la grenadine. Elle est jolie mais pauvre. Elle prétend habiter dans « le trou du cul du monde » entourée de ses nombreux frères et sœurs, de sa mère mais aussi de son père qu’elle n’aime pas. Arrive fatalement le jour où – croyant que les femmes perdent leur virginité à la perte totale des poils pubiens – elle finit par se retrouver enceinte… Reniée immédiatement par sa famille, elle prend ce rejet comme une aubaine et part enfin à la découverte du monde avec pour seules armes son audace, une valise récupérée renfermant des éléments symboliques pour une nouvelle vie, et un bébé dans le ventre. À la ville, elle se trouve confrontée aux hommes qui lui apportent autant d’irrespect qu’a pu lui donner son père. Elle en tient à peine compte et donne l’impression de contrôler tout ce qui devrait l’anéantir. Son épatante force mentale étant à son paroxysme lors de son accouchement. En constante évolution, l’argent en abondance frappe à sa porte. Jbara change alors de prénom. Comme pour enterrer celle qui ne disposait pas d’un dinar auparavant. Une vie de luxe vécue au prix d’un énième sacrifice. Elle assume les pires actes dégradants avec un détachement qui fait froid dans le dos. Inévitablement éphémère, cette situation extrême la conduira vers une une nouvelle phase où la religion sera son nouveau costume. Mariée à un Imam, elle se prend d’une véritable affection pour lui. Et ce, malgré les règles de conduite qu’il peut lui imposer. De nouveau, elle accepte ce qu’elle considère comme absurdité et se plie à ces pratiques. Car elle y trouve, là encore, son compte : se rapprocher un peu plus de son seul allié, Allah.

UN AMOUR SPIRITUEL COMME CONFIDENT

Confidences à Allah est un titre qui résume à lui seul l’album. Tout au long du périple qu’elle parcourt, Jbara puise sa force dans ce monologue incessant avec son Dieu. Elle lui dit tout ou presque. Elle se justifie, se confie, lui demande parfois pardon. Elle fait le choix de se faire du mal mais avec l’espoir qu’Allah finisse par lui faire un signe. Elle l’aime profondément sans prêter serment d’allégeance. Une foi sans artifice.

UNE ÂME PURE DANS UN CORPS BLESSÉ

Raconter et illustrer la pureté d’un personnage avec tous les paradoxes évoqués était un exercice risqué pour les deux auteurs. Force est de constater que Jbara nous touche à un point tel qu’ils ont parfaitement condensé le roman. Un récit prenant, choquant, souvent violent, mais qui ne laisse jamais insensible. Car au delà du désir d’émancipation, il est aussi question d’un être humain dont la détermination conjuguée à une certaine innocence forcent l’admiration tant elles lui permettent d’acquiescer sans pour autant subir. Comme une envie de pleurer sans que les larmes ne puissent couler. D’ailleurs Jbara en versera une… une seule fois…      

Article posté le vendredi 11 mars 2016 par Mikey Martin

Comixtrip présente la BD Confidences à Allah (couverture)
  • Confidences à Allah
  • Auteur : Eddy Simon
  • Dessinatrice : Marie Avril
  • Editeur : Futuropolis
  • Prix : 18,00 €
  • Parution : juin 2015

Résumé de l’éditeur : Jbara vit les montagnes du Maghreb, entre ses parents, ses cinq frères et sœurs, et ses brebis. Elle rêve d’ailleurs, d’une modernité qui lui paraît inaccessible. Ignorant et violent, son père la ramène constamment à sa condition de femme, et donc de soumission. Pour tromper son ennui, Jbara couche avec les bergers de passage en échange de quelques friandises. Mais un jour, elle se retrouve enceinte. Elle est alors bannie du village et contrainte d’aller s’installer en ville. Pragmatique et désabusée, elle tente de s’en sortir et raconte sa vie : la misère, la prostitution, la prison, le mépris dans le regard des autres, ces hommes qui ne voient en elle qu’un objet sexuel… Dans ce monde qui ne veut pas d’elle, elle parle à Allah, son seul confident.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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