Dans mon village, on mangeait des chats

Dans mon village, on mangeait des chats. Associé à la couverture de l’album, le titre est suffisamment évocateur. Avant même de plonger dans cette histoire imaginée par Philippe Pelaez et illustrée par Francis Porcel, nous n’avons qu’à relever le regard noir du jeune garçon et déduire que l’ombre derrière lui représente un boucher occupé à préparer sa viande. Ainsi, il est fort à parier que les amoureux des félidés soient quelque peu incommodés dans certaines séquences de ce livre. Entrons dans les souvenirs de Jacques. 

UN TABLEAU NOIR

Une mère qui dit qu’avoir un enfant comme les siens est un défi. Un père routier surnommé « le pâtissier » parce qu’il est un expert en tartes. Le contexte familial dans lequel vivent Jacques et sa sœur Lily est d’une noirceur sans équivoque. Livrés à eux-mêmes, les deux enfants se soutiendront avec l’amour qu’ils portent l’un envers l’autre. Pour défendre Lily, Jacques n’hésite pas à lui servir de bouclier. Son père peut le rouer de coup, Jacques ne connait pas la douleur. Atteint d’analgésie congénitale, le jeune garçon s’en sert comme une arme redoutable.

Un soir, alors que les deux enfants se rendent à la rivière, leur refuge habituel, loin du climat pesant de leur maison, un concert de miaulements attirent leur attention. La scène devant eux est suffisamment explicite. Elle marquera un tournant dans l’avenir tumultueux de Jacques.

JACQUES VS CHARON

Déjà tellement endurci, le frère de Lily n’est pas un enfant comme les autres. Quand à son âge, on pense à jouer au ballon avec les copains, Jacques trouve son terrain de jeu dans l’ironie et la provocation. Quelle aubaine d’avoir surpris Charon, le boucher-maire du village, en pleine « cueillette » de l’ingrédient principal qui fait la renommée de son pâté. Il n’en faut pas plus à Jacques pour entamer le jeu du chat et de la souris. Mais avec le boucher, mieux vaut ne pas endosser le rôle du félin…

La partie se finira de manière sanglante. Rien d’étonnant dans le milieu du métier de bouche. Jacques  en sortira vainqueur mais la récompense ne lui sera pas immédiatement profitable. Il va d’abord falloir assumer le geste, aussi défensif qu’il soit. Et c’est en enchaînant sur un parricide qu’il scelle son destin inéluctable. Séparé de sa sœur, c’est dans une Institution Spéciale de l’Education Surveillée (ISES) qu’il devra tenter d’éradiquer ce sombre passé. Ou, au contraire, s’en nourrir.

UNE NARRATION IMMERSIVE

Comme avec Un peu de tarte aux épinards, Philippe Pelaez rend une nouvelle fois intrigante son histoire ne serait-ce que par son titre. Dans mon village, on mangeait des chatsces mots repris dès le premier cartouche de l’album révèlent un virage déterminant dans la vie déjà sans concession d’un jeune garçon aussi intelligent que (presque) insensible. Le scénariste de Maudit sois-tu laisse parler son héros.

En s’adressant directement au lecteur, Jacques le prend à témoin, le fait entrer activement dans ses frasques, ses (més)aventures, ses émotions. Quoi de plus immersif quand le personnage principal est en parallèle le narrateur homodiégétique ? En utilisant ce mode narratif, Philippe Pelaez donne l’opportunité de se rapprocher un peu plus de son personnage.

L’INSOUTENABLE VISIBLE DANS NOTRE IMAGINATION

Pour mettre en images la descente aux enfers d’un enfant vers l’irrémédiable, Francis Porcel affiche tout son talent au service de l’histoire. Quelques planches se démarquent et on pense à celle où Jules surprend Charon en pleine « préparation » de son célèbre pâté. Tout est parfaitement calibré dans la suggestion et c’est bien suffisant pour nos émotions…

DESSIN ET COULEUR : MÊME INTENSITÉ

Et une fois qu’on a souligné le rendu abouti de tous ces visages si expressifs, il faut absolument mettre en exergue la diversité graphique tout comme le panel de couleurs – jamais anodin – proposé par le dessinateur des Folies Bergère :

– Une diversité graphique que l’on constate lorsque Francis Porcel  différencie les souvenirs du héros avec son présent. Le trait se voulant plus réaliste lorsque Jules devient adulte. Au contraire d’un dessin moins détaillé lorsqu’il raconte ses souvenirs. Cela facilite cette sensation d’entrer dans les pensées du protagoniste.

– Un panel de couleurs qui catégorise plusieurs étapes importantes dans l’intrigue relatée. Les souvenirs, le passé, les (rares) moments de quiétude, le symbole de la montre, jusqu’à cette case sans aucune couleur… Chacune de ces scènes est colorisée de manière à, une nouvelle fois, rendre encore plus captivant le récit.

DANS MON VILLAGE, ON MANGEAIT DES CHATS : UNE SÉLECTION MÉRITÉE

Au final, si Dans mon village, on mangeait des chats est un album réussi, c’est non seulement grâce à une trame bien ficelée de bout en bout mais aussi car il en ressort une belle complémentarité entre les deux auteurs. Preuve en est que l’album vient d’être tout juste sélectionné pour le Prix des lycées au prochain festival BD d’Angoulême. C’est évidemment avec hâte que nous découvrirons Pinard de guerre, le fruit de leur nouvelle collaboration dont la sortie est imminente.

Article posté le vendredi 27 novembre 2020 par Mikey Martin

  • Dans mon village, on mangeait des chats
  • Scénario : Philippe Pelaez
  • Dessins & couleurs : Francis Porcel
  • Éditeur : Bamboo (Grand Angle)
  • Prix : 15,90 €
  • Parution : 10 juin 2020
  • ISBN : 978-2818975633

Résumé de l’éditeur : « Le parcours initiatique d’un jeune garçon dans le crime organisé. » Les gens viennent de loin pour acheter les pâtés du père Charon, boucher et maire de son village du Sud-Ouest. Une recette dont il garderait jalousement le secret, s’il n’y avait pas le petit Jacques Pujol. Fils d’un père violent et d’une mare qui vend son corps à l’homme qui passe, Jacques ‘est lié qu’à sa petite soeur Lily qu’il aime éperdument. Mais une nuit, les deux enfants éventent le secret du boucher… Jacques, devenu meurtrier pour sa survie, raconte sa cession son parcours atypique qui va l’amener à diriger un véritable empire criminel.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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