Derrière le ciel gris

Derrière le ciel gris, un manga adapté du roman de Sugaru Miaki, est un récit à la fois doux et cruel. Kumorizora possède le pouvoir de contrôler le corps des gens. Avec ce pouvoir, son travail consiste à tuer des cibles, tout en faisant passer leur mort pour un suicide. Derrière le ciel gris, c’est l’histoire de sa rencontre avec sa dernière cible. Celle qui n’était pas comme les autres. 

La dernière cible

Kumorizora dit que son travail est celui d’un « nettoyeur ». La première étape du travail d’un nettoyeur consiste à prendre le contrôle de sa cible. Souvent elles ne s’en rendent même pas compte. Ensuite, il faut la faire agir comme si elle pensait au suicide. Puis il faut lui faire ranger son appartement, comme si elle préparait un grand départ. Enfin, il faut la faire se suicider. Kumorizora a tué six personnes comme ça.

La septième est une lycéenne solitaire qui a le regard toujours porté à l’horizon. Avec elle, il a tout fait de la même façon. Mais c’était trop facile. Elle était déjà solitaire, il n’a pas eu à forcer pour prendre le contrôle et son appartement était déjà rangé au-delà du raisonnable. Alors lorsque sa « cible » s’est mise à s’adresser directement à lui – lui, son invisible assassin – il a presque été rassuré. Tout ce qu’elle lui demande, c’est de changer son message d’adieu avant qu’il ne la tue.

Si elle n’avait rien dit ce jour-là, le jeune homme aurait sans doute tué bien d’autres « cibles ». Mais voilà Aozora n’est pas une « cible » comme les autres. Kumorizora en est sûr, elle sait quelque chose à propos des nettoyeurs. 

Cette rencontre a lieu entre deux personnes pour qui la vie n’a plus aucun attrait. Autant pour la solitaire Aozora au regard mélancolique, que pour le cruel Kumorizora au regard morne. Ces personnages, sous le signe du Blue Sky, ne sont pas vraiment vides. Ils se sentent vides, mais sont habités par une foule de sentiments invisibles sur lesquels ils n’arrivent pas à mettre de mots. Cette rencontre les amènera peut-être non seulement à se découvrir l’un et l’autre, mais surtout à se redécouvrir eux-mêmes.

Ce qui agite ce récit, c’est quelque chose d’invisible. Le lecteur, face à l’absence de désir de ces héros, est en total aveugle. Sugaru Miaki arrive à faire tenir ses intentions dans notre angle-mort. En cela, Derrière le ciel gris est un manga dont on ne peut pas décrocher les yeux. En un sens c’est une romance à suspens.

Ce grand espace vide au-dessus de nous

Sugari Miaki utilise beaucoup de métaphores. Elles sont diverses, tantôt météorologiques, tantôt botaniques. Elles ponctuent le récit et lui apportent du sens en profondeur. Tenez, par exemple : 

Les noms japonais ont un sens. <kumori> signifie « gris« . <ao> signifie « bleu«  et <sora>  – adapté en écriture romaine en <zora> –  signifie « ciel« . Précisément, il fait référence au « grand espace vide qui se trouve au dessus de nous”. Comme l’expression anglaise « Blue Sky » renvoie à quelque chose qui est sans importance parce-que vide, le nom <Aozora> transmet la même idée. Le ciel gris de Kumorizora est un ciel chargé de nuage, sans mouvement ni pluie. Ce sont des nuages gris qui flottent dans le ciel bleu, le remplissent et le cachent. Dans cette analogie, l’un et l’autre séparés, ils sont sans intérêt. Mais ensemble, mélangés, ils produisent des effets d’ombre et de lumière qui rendent le monde plus attrayant. 

Kumorizora est un personnage spleenétique. Dans la première partie du manga, il n’est présent que dans ses dialogues internes, qui servent de narration. Cela crée un effet de flottement, comme si Kumorizora était un spectateur plutôt qu’un acteur du récit. Voire, un spectateur du suicide de ces « cibles » et non le principal instigateur. Cette mise à l’écart a pour effet de mettre Aozora au centre de l’histoire. Après tout, elle pourrait bien devenir le centre du monde de Kumorizora.

La forme au service du fond

Le dessinateur du manga Derrière le ciel grisLoundraw, a adapté la forme du manga au fond de l’histoire. Dans les mangas, la forme et l’emplacement des cases varient selon le rythme de l’histoire. Une scène d’action aura des cases souvent en diagonal, suivant les mouvements des personnages, pour donner une effet dynamique à l’image. 

 Ici, d’une part le dessin est très clair, léger, ce qui le rend agréable à lire. D’autre part la mise en page est à l’image du récit. Les cases sont sagement rangées dans la page, ce qui rappelle le devoir de Kumorizora de « ranger » la vie de ses victimes avant de la conclure. Les seuls moments où les cases sont éparpillées, c’est lorsque Aozora, manipulée par Kumorizora, doit sortir de sa zone de confort et est forcée d’entrer en interaction avec le monde extérieur, comme une jeune fille « normale ». 

Une histoire de douceur et cruauté

Au fur et à mesure du manga, la cruauté de Kumorizora et la douceur d’Aozora se mélangent. Ce sont des personnages à la fois très semblables et profondément différents. Leur rencontre chamboule peu à peu leurs certitudes.

A mes yeux Derrière le ciel gris, édité chez Delcourt/Tonkam dans la collection Moonlight, est un manga qui met en valeur la plume du romancier Sugaru Miaki. Le dessinateur Loundraw a réussit à transmettre la douceur du récit mais également son amertume. Ce duo construit une histoire mélancolique et qui pourtant nous fait monter dans un ascenseur émotionnel. Comment ces personnages en marge vont-ils se réconcilier avec ce monde, à la fois doux et cruel ? 

Article posté le mardi 21 avril 2020 par Marie Lonni

  • Derrière le ciel gris
  • Scénariste : Sugaru Miaki
  • Dessinateur : Loundraw
  • Editeur : Delcourt / Tonkam, collection Moonlight
  • Prix : 7,99 €
  • Parution : 19 février 2020
  • IBAN : 9782413023944

Résumé de l’éditeur : Derrière le ciel gris , un manga subtil et poétique qui explore avec finesse la fragilité des êtres humains lorsqu’ils sont dos au mur…

Kumorizora est un adolescent qui a le pouvoir de conduire les gens au suicide, sans laisser de trace. Il élimine les cibles qui lui sont soumises, jusqu’au jour où il doit faire disparaître la fragile et énigmatique Aozora. Mais comment tournera cette rencontre particulièrement cruelle qui pourrait bien basculer vers un surprenant dénouement ?

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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