En roue libre

Tonio n’a plu qu’une seule jambe et se déplace en fauteuil roulant. Un de ses amis tente de lui rendre la vie meilleure. Pourtant, il ne veut pas de cela. Nicolas Moog sur un scénario de Gilles Rochier conte cette étonnante relation dans En roue libre chez Casterman.

Guibolle, fauteuil et réconfort

Comme chaque jour lorsqu’il quitte son appartement, un homme croise Tonio handicapé unijambiste qui se déplace en fauteuil roulant. Déjà qu’il ne fait pas bon vivre lorsque l’on est porteur de handicap, cela l’est encore plus en banlieue.

Grande gueule parfois attachant, Tonio tente toujours de relativiser sa situation grâce à son humour noir dévastateur, son autodérision qui frise le génie.

Pour se remonter le moral, les deux hommes passent souvent chez Ali qui tient une épicerie pour s’acheter des gâteaux et des bières, leur petit « réconfort ».

Seul au milieu de la dalle

Tonio aime aussi aller regarder les jeunes jouer au street basket sur le playground de la cité. Cynique et souvent acide, il aime les charrier.

Le soir venu et alors qu’il pleut averse, sortant fumer sur son balcon, son ami retrouve Tonio seul au milieu de la dalle, seulement éclairé par un vieux réverbère.

Il sort le chercher – il a bu – pour le ramener chez sa sœur. Il faut dire que l’homme handicapé a peur parce que dans quelques jours, on doit lui couper son autre jambe…

En roue libre : peut-on apporter son soutien à quelqu’un qui n’en veut pas ?

Comme dans ses précédentes publications (En vrac, TMLP La petite couronne mais aussi Tu sais ce qu’on raconte), Gilles Rochier poursuit son petit bonhomme de chemin dans la bande dessinée. Son œuvre qui commence à compter le place comme l’un des meilleurs conteurs d’histoires actuellement, et pas que sur la banlieue – ce serait trop restrictif – mais un vrai raconteur d’histoire.

Sans jamais tomber dans le misérabilisme, il raconte des parcours d’anonymes amochés par la vie et la société. Pour les rendre moins douloureux, il utilise à bon escient l’humour. Dans En roue libre, il multiplie les références aux handicaps par la bouche de Tonio qui en sait quelque chose. Il y a énormément de cynisme chez cet homme qui parfois peut être à la limite de la misanthropie. Est-ce une façon pour lui de surmonter le handicap ?

Parce que c’est bien Tonio le héros de En roue libre. D’ailleurs, son ami n’a pas de prénom. Il est pourtant bien installé dans la vie, est marié, a deux filles et possède un bel appartement. Son existence est donc à l’opposé de celle de l’homme en fauteuil, qui ne semble pas travailler, zone et vit chez sa sœur dans un HLM vétuste. Est-ce pour cela que son ami l’aide ?

Un superbe trait tout en rondeur

Nous avions eu la possibilité de voir quelques planches de En roue libre dans la très belle exposition Gilles Rochier : Faut tenir le terrain à Angoulême cette année, cela avait suscité de la curiosité et nous attendions de voir ce que cela pouvait donner en album. Nous ne sommes pas déçus : le trait tout en rondeur de Nicolas Moog fonctionne à merveille sur le texte de Rochier.

L’auteur de My american diary, La mort n’est pas une excuse ou Retour à Sonora (6 pieds sous terre) réalise des planches modernes, vivantes et très lisibles. Elles sont agrémentés par des couleurs en bichromie bien senties de Jiip Garn (noir et bleu-grisé). La rondeur de ses personnages, qui apporte de la bonhommie, tranche avec les lignes droites et la froideur des immeubles mais aussi avec le propos du récit.

Rochier et Moog parsèment En roue libre de flashbacks concernant l’enfance de Tonio et de son ami. Comme si le lecteur allait enfin savoir pourquoi il a perdu sa jambe. Il faut souligner qu’à l’époque le garçon était très casse-cou et acceptait facilement les défis de ses copains.

En roue libre : une autre vision du handicap, du cynisme et de l’humour.

Article posté le vendredi 04 mai 2018 par Damien Canteau

En roue libre de Gilles Rochier, Nicolas Moog et Jiip Garn (Casterman) décrypté par Comixtrip
  • En roue libre
  • Scénariste : Gilles Rochier
  • Dessinateur : Nicolas Moog
  • Coloriste : Jiip Garn
  • Editeur : Casterman
  • Parution : 2 mai 2018
  • Prix : 20€
  • ISBN : 9782203158276

Résumé de l’éditeur : «Oh t’inquiète pas. Ils frappent pas les infirmes… Au pire, ils me piquent mon fauteuil pour promener leurs mômes. Ha ha ! Tonio, on va lui couper sa dernière jambe. Lui et moi, ça fait un bail qu’on traîne ensemble. On est restés au quartier, on s’est débrouillés comme on a pu. On a bien vieilli? Je sais pas.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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