Éveils

L’autrice de De la chevalerie, Juliette Mancini, se confie dans le très bel album Éveils édité par Atrabile. Poignant et politique !

Éveils de soi, éveils aux autres, éveils à la vie

Avant de publier Éveils, Juliette Mancini a suivi des études de graphisme aux Arts décoratifs de Paris et à l’ESAA Duperré. En 2014, elle est repérée par le Festival d’Angoulême qui lui décerne le 2e prix Jeunes Talents. L’année suivante, elle cofonde la revue Bien, Monsieur, lauréat du prix de la BD alternative en 2018 dans la cité angoumoisine.

En 2016, elle publie De la chevalerie déjà chez Atrabile, une bande dessinée dans un monde médiéval entre patriarcat et corruption. Elle a aussi travaillé pour les journaux Citrus, Astrapi et Biscoto.

Aujourd’hui, elle fait paraître Éveils, un album autobiographique. Un récit tout en délicatesse sur la relation dominant/dominé, son rôle de femme dans sa famille et dans la société.

Des hommes trop dominants

Chez les Mancini, il y a le grand-père, un homme dur au mal, ayant fait la guerre. Élevé dans une période où l’homme était roi, papi était celui qui travaillait et protégeait sa famille. A Conakry ou en Guadeloupe, il a toujours endossé le costume de l’aventurier et de l’homme fort.

C’est dans ce contexte de domination qu’a grandi Juliette Mancini. Une famille où la légende du grand-père était édifiée par des anecdotes où il était toujours le vainqueur. D’ailleurs, papi aime à raconter toujours les mêmes souvenirs, tel un vieux radoteur, qui continue d’enjoliver sa propre légende.

« Tu te croyais individu mais tu apprenais que tu étais une fille »

Si la famille de Juliette Mancini semble plutôt aimante au premier regard, elle se complait toujours dans le côté viriliste du grand-père. Être une femme et grandir dans le corps d’une femme n’a pas été aussi simple que cela pour l’autrice.

Ce sont les années 2000, celles du duel Chirac/Le Pen, celles des tensions entre Juifs et Musulmans dans la cour d’école et celles où l’on ne savait pas tout du « monde » des grands dans laquelle Juliette fait ses premiers pas dans l’adolescence.

Et il y a aussi les premières remarques sexistes et gestes déplacés parce qu’être une femme c’est vivre cela au quotidien.

Éveils, album féministe et politique

Réalisé aux crayons de couleurs, Éveils est un album éminemment politique et féministe. En choisissant de se raconter, de relater des faits de vie, Juliette Mancini aborde des sujets intimes mais finalement très universels dans lesquels de nombreuses femmes peuvent se retrouver.

Si les premiers accostages et sifflets de la part de garçons ou d’hommes semblent la flatter, elle découvre rapidement que ces insistances sont dérangeantes.

Dès l’adolescence, elle comprend les enjeux des femmes dans la société, leurs rôles multiples et importants. Les préjugés ont la vie dure, assignant des rôles prédéfinis et préconçus au sexe des individus.

Elle s’interroge également et donc pose des questions à ses lecteurs sur tous ces sujets si modernes mais étouffés par les hommes blancs dominants. Comment faire voler en éclat ces clichés ? Comment démythifier tout cela ? Ce sont toutes ces interpellations que Juliette Mancini met sur la table à travers Éveils. Passionnant !

Article posté le lundi 22 mars 2021 par Damien Canteau

Eveils de Juliette Mancini (Atrabile)
  • Eveils
  • Autrice : Juliette Mancini
  • Editeur : Atrabile
  • Prix : 18 €
  • Parution : 19 février 2021
  • ISBN : 9782889230976

Résumé de l’éditeur : Grandir. Se confronter aux autres, faire face aux premières déconvenues, au regard de l’autre, aux attentes du monde. Et puis faire des découvertes. Comprendre, se révéler à soi, aux autres. Se construire. A travers des bribes de sa vie et de son parcours, Juliette Mancini se raconte, elle, mais aussi le monde dans lequel elle a grandi. La légende viriliste du grand-père qui a fait la guerre ; les premiers clichés sexistes (la force des garçons, la grâce des filles) ; la première main aux fesses dans la foule, la peur et la honte qui surgissent, mais aussi la découverte qu’on peut être désirable. En choisissant ces moments marquants, où en tout cas significatifs de sa vie et de son parcours, en les déconstruisant avec la plus grande acuité, Juliette Mancini réussit une prouesse trop rare, celle de transformer le particulier en universel. Avec pudeur, délicatesse, intelligence, et juste ce qu’il faut de mise à distance, elle nous promène ainsi de l’enfance à l’âge adulte, de l’acceptation de fausses évidences au déboulonnage des mythes, pour mieux décortiquer les injonctions d’une société si prompte à nous assigner des rôles. Son précédent livre, De la Chevalerie, s’intéressait déjà aux mécanismes de la domination, et, sans manichéisme, relevait avec justesse la complexité de ces mécanismes, refusant la (trop) simple dualité dominant-dominé. C’est la même finesse d’analyse qui est à l’oeuvre ici, en démontrant, par exemple, comment le regard de l’autre peut avoir quelque chose de tour à tour flatteur, inquisiteur ou avilissant. Elle nous rappelle aussi à quel point les paradoxes et les contradictions semblent être le propre de l’être humain ; mais aussi, sans doute, ce qui en fait sa richesse. Avec Eveils, Juliette Mancini signe une oeuvre forte, un livre ouvertement politique, qui, bien plus que d’asséner des vérités toutes faites, invite à la réflexion. Une grande réussite.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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