Harleen

C’est en voyant le, très réussi, film d’animation Batman : assaut sur Arkham que se produit le déclic chez Stjepan Šejić. L’auteur de Sunstone va s’approprier le couple mythique de Gotham formé par Harley Quinn et le Joker. Ainsi va naître Harleen. L’intérêt de ce beau bébé de plus de deux-cents pages ne résidant pas dans de nouvelle révélations sur les origines de leur rencontre. L’attrait se situe ailleurs, dans une narration profonde, équilibrée qui mène inéluctablement à la folie qui caractérise ce duo unique en son genre. De Harleen à Harley, la descente aux enfers lentement et brillamment revisitée par S. Šejić.

UNE FEMME TOURMENTÉE ET AMBITIEUSE

Harleen est sujette à beaucoup de rêves. C’est en entrant dans l’un d’eux que nous la découvrons en proie à un épouvantable duel face à une chauve-souris bien plus monstrueuse que celle que nous connaissons tous. Mais ce qui semblait être un cauchemar se transforme en une fin presque romantique. C’était encore l’époque où Harleen avait des ambitions, des certitudes et une âme qui ne s’était pas encore abandonnée dans les bras du chaos.

L’EMPATHIE : LA CLÉ POUR ANNIHILER LE MAL

Les intentions de départ étaient pourtant bonnes. Elles auraient pu même être salvatrices pour sauver la ville de Gotham de tous ces bandits qui sévissent dans ses rues. Car le docteur Harleen Quinzel, avec son assurance mélangée à la fragilité de son jeune âge, expose une thèse tellement improbable qu’elle en laisse interdits les quelques financiers venus l’écouter. Comment rendre crédible l’idée que devenir un criminel résulterait d’une maladie auto-immune privant le patient d’une absence totale d’empathie ? Comment leur expliquer que ceux enfermés pour tant d’ignobles crimes dans les prisons d’Arkham ou Blackgate, pourraient être des sujets parfaits pour y déceler cette pathologie et pourquoi pas les guérir ?

ARKHAM : LES PORTES DE L’ENFER

Il suffira d’un seul homme pour lui ouvrir une porte. Lucius Fox, conseiller scientifique en chef de de la fondation d’un certain Bruce Wayne, assure croire au potentiel de la jeune femme et de sa théorie. Le financement de ses recherches acquis, Harleen va pouvoir pénétrer dans Arkham. Son engouement et son ambition ne lui offrent pas la clarté requise pour comprendre que sa vie va prendre un virage à 180 degrés.

À son entrée dans les murs, quelques minutes suffiront pour qu’elle croise celui qu’elle avait déjà vu en liberté auparavant. Le Joker ne semble pas la reconnaître. Encore traumatisée par leur première rencontre, Harleen repoussera l’échéance de lui rendre visite avant de s’auto-persuader que c’est le sujet idéal pour son étude. Après avoir visionné bon nombre d’entretiens filmés entre ses confrères et lui, Harleen est prête à l’affronter. Et sans en dévoiler le contenu, ce premier tête à tête offrira un virement immédiat dans l’attitude de la gentille et dévouée doctoresse. La folie est là, toute proche…

HARLEEN VS HARLEY

Fantastique ! Incroyable ! Exceptionnelle relecture du personnage crée par Bruce Timm et Paul Dini. Stjepan Šejić livre une partition de haute volée avec cet album retraçant le déclin de la brillante psychiatre qui deviendra le plus célèbre des arlequins. Tout est distillé avec une justesse impressionnante. À commencer par cette tension palpable dès les premières planches et qui ne cessera de croître jusqu’à la dernière page. L’esprit torturé d’Harleen la nuit contraste avec ses convictions professionnelles et sa clairvoyance de jour. On assiste ainsi à un combat incessant entre ces deux personnalités. On sait qui gagnera, mais Šejić développe le duel avec une telle pression qu’on se laisse porter au point d’oublier que l’on sait comment l’histoire se finira.

Et comment ne pas parler de la partie narrative ! Entrer dans les pensées de la jolie blonde est totalement immersif. Les dialogues entre elle et les différents protagonistes sont toujours bien sentis et jamais anodins. Chaque mot, chaque phrase rendent service à l’intrigue.

DE SPLENDIDES SUPER-VILAINS

Le dessin ? La cerise sur le gâteau. Avec son découpage dynamique l’habitué de l’univers DC Comics, envoie des planches pour lesquelles on a envie de s’y arrêter longtemps. Pour ne rien manquer. L’occasion de parler du deuxième personnage importantissime dans la vie de Harleen. Šejić le comparant lui-même à Dawid Bowie, le Joker est véritablement la rock star de l’album. Sa démence est savoureusement illustrée. Reproduire ses multiples tiques faciaux ne doit pas être chose aisée. Là encore, l’auteur de Harleen s’en sort avec brio.

Sans oublier tous les intervenants secondaires et récurrents comme Dent/Double-Face, Batman, Poison Ivy, Killer Croc ou Gordon, pour ne citer qu’eux, Šejić illustre les acteurs du théâtre de Gotham de remarquable façon.

En conclusion, Harleen qui séduit avant même qu’on parcourt les pages, grâce à sa couverture, n’est ni plus ni moins que l’une des meilleures publications sorties chez Urban Comics cette année. Et on n’est pas loin de dire que c’est tout simplement la plus aboutie concernant celle qui deviendra la légendaire Harley Quinn.

 

Article posté le jeudi 18 juin 2020 par Mikey Martin

Harleen de Stjepan Šejić (Urban Comics), la naissance de Harley Queen décryptée par Comixtrip, le site BD de référence
  • Harleen
  • Scénariste : Stjepan Šejić
  • Dessinateur : Stjepan Šejić
  • Éditeur : Urban Comics (Black Label)
  • Prix : 19,00 €
  • Parution : 12 juin 2020
  • ISBN : 979-1026816065

Résumé de l’éditeur : Après des études mouvementées qui ont entamé sa confiance en elle, la jeune psychologue Harleen Quinzel pense enfin avoir décroché le poste de ses rêves en étant embauchée à l’Asile d’Arkham afin d’apporter son soutien et son expertise aux plus grands criminels de Gotham. Mais il est un être au sein de cet asile qui va à la fois faire chavirer son esprit et son coeur : le Joker ! Petit à petit, Harleen va se laisser séduire puis sombrer dans un abîme de folie y laissant à tout jamais son innocence et ses illusions perdues.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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