Histoire de la sainte Russie

Avec son Histoire de la Sainte Russie, éditée pour la première fois en 1854, l’illustrateur Gustave Doré faisait figure de précurseur par sa façon de dessiner et de découper le récit.

Le génial autodidacte

Né en 1832 à Strasbourg, mort en 1883 d’une crise cardiaque,  Gustave Doré aura été un enfant précoce. Sans doute ce qu’on n’appelait pas encore à l’époque un surdoué. À quinze ans seulement, il rencontre Charles Philipon, directeur du Journal pour Rire et éditeur chez Aubert et Cie. C’est le début de sa carrière de caricaturiste. Dans les sept ans qui suivent, il fournira pas moins de 1379 dessins, devenant l’une de ses vedettes. Doré signe également quatre albums de bande dessinée dans sa jeunesse :  Les Travaux d’Hercule (1847), Trois artistes incompris et mécontents (1851), Des-Agréments d’un voyage d’agrément (1851) ; et le plus célèbre, Histoire pittoresque, dramatique et caricaturale de la Sainte Russie (1854)

Il cherchera longtemps  une reconnaissance que la veine comique ne lui apportera pas . Il se lancera alors dans une vaste entreprise d’illustration des classiques de la littérature et abandonnera presque définitivement l’écriture. C’est le temps des chefs-d’œuvre : Don Quichotte, l’Enfer, les Fables de la Fontaine, le Capitaine Fracasse, le Baron de Munchhausen… Dans le même temps, il se fait peintre et sculpteur, ce qui le rendra surtout célèbre dans le monde anglo-saxon. Au terme de son existence, on recensera une œuvre riche de presque 10 000 illustrations, 133 toiles et quelques aquarelles…

Un récit fleuve

Son Histoire de la sainte Russie témoigne d’une inventivité et d’une liberté qui la rendent étonnamment moderne. Celles et ceux qui auront en main cette réédition intégrale de 1854 pourront le constater. Décadrages, dessins pleine page, aplats de couleur, mouvements, variété graphique préfigurent ici ce que feront bien des années plus tard les pères de la bande dessinée contemporaine. Pour réaliser son Histoire de la Sainte Russie, un récit-fleuve, l’auteur a utilisé la gravure sur bois. Il s’agit là peut-être de la plus ancienne technique de gravure de reproduction. Sa naissance est attestée dès les années 1400.

Charge pamphlétaire

Lorsque Doré construit son Histoire de la Russie, il a 22 ans. Fantaisiste, irrespectueux, il fait avec près de 500 gravures le portrait corrosif et iconoclaste de l’histoire en marche. Nous sommes en pleine guerre de Crimée qui oppose alors la Russie à l’empire ottoman et ses alliés, dont la France de Napoléon III. Même si on trouvera dans cette œuvre quelques « éléments historiques véritables » ou « derrière les propos convenus, se dissimule une petite part de vérité «  écrivait l’historienne Hélène Carrère d’Encausse en 1991, cela n’est pas le plus important. L’humour absurde, parfois dadaïste, le plus souvent irrévérencieux de l’auteur sert d’écrin à une imagination graphique qu’on a plaisir à retrouver au fil des 120 pages noir et blanc de ce bel album.

Article posté le mercredi 14 janvier 2015 par Jean-Michel Gouin

  •  Histoire pittoresque, dramatique et caricaturale de la sainte Russie
  • Auteur : Gustave Doré
  • Editeur : éditions 2024
  • Prix : 26 euros
  • Parution : 31 janvier 2014

Résumé de l’éditeur: « Son titre complet résume à lui seul une bonne part de ce récit fleuve et débridé (près de 500 gravures) dessiné pendant la guerre de Crimée qui opposa la Russie à l’empire ottoman et ses alliés, dont la France de Napoléon III. C’est donc animé d’un élan patriote que le jeune Doré, alors âgé de 22 ans, se lance dans cette histoire iconoclaste, volontiers outrancière et farouchement parodique. Mais de trouvailles narratives en audaces graphiques, il transcende pleinement sa charge pamphlétaire et pose là un jalon essentiel dans l’histoire de la bande dessinée. 40 ans avant La Famille Fenouillard de Christophe, 70 ans avant Krazy Kat d’Herriman, Doré donne ici toute la mesure de sa géniale exubérance. Dépassant largement la simple curiosité patrimoniale, cette œuvre témoigne surtout d’une inventivité et d’une liberté qui n’a rien à envier aux travaux les plus expérimentaux de la bande dessinée contemporaine. Depuis sa publication voilà 160 ans, aucune réédition n’a pu s’appuyer sur une édition originale complète ; il s’agit donc ici de la première réédition intégrale et fidèle de ce chef d’œuvre inconnu. »

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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