Jules Verne et l’Astrolabe d’Uranie #1

Quand on évoque le nom de Jules Verne on s’évade spontanément en pensant à ses romans issus des Voyages extraordinaires. Dans le monde de la bande-dessinée, ses œuvres ont été fréquemment revisitées. Que vont bien pouvoir apporter de plus Esther Gil & Carlos Puerta dans ce nouveau diptyque ? Dans ce premier tome de Jules Verne et l’Astrolabe d’Uranie , les premières planches relatent l’enfance du futur grand écrivain français. On comprend alors que les auteurs vont se démarquer en s’intéressant à sa vie. Pour ce récit imaginaire parsemé de faits historiques et d’anecdotes authentiques, c’est, au minimum, un parcours découverte sur l’existence du romancier que nous proposent ses créateurs. Pour les plus avisés, ils constateront le travail minutieux fourni par un duo, sans aucun doute, passionné par leur sujet.

LA FRUSTRATION D’UN ENFANT

1839, Jules Verne a 11 ans. Ce préadolescent montre déjà de bonnes dispositions pour le goût du voyage. Il n’hésite pas ainsi, à monter clandestinement sur un trois-mâts, la Coralie qui s’apprête à partir pour les Indes. Rattrapé in extremis par son patriarche, il aura le temps de contempler un curieux objet fraîchement délivré des eaux par le capitaine du navire. Mais surtout, les invectives de son père lui feront promettre de ne « voyager qu’en rêve »…

JULES VERNE RENOMMÉ, MAIS UN HOMME PEINÉ

1867, on retrouve Verne en compagnie de Hetzel, son fidèle éditeur de vingt ans durant. À ce moment là, Voyage au centre de la Terre est déjà sorti de sa plume et ils peaufinent la prochaine œuvre qu’est Les Enfants du Capitaine GrantEn sillonnant les rues parisiennes en pleine restructuration haussmannienne, les deux hommes ne semblent pas être habités par la même motivation. Hetzel pousse son écrivain à la production tandis que Verne semble assez démotivé et prétexte l’arrivée imminente de Paul, son frère pour couper court à la rencontre.

Avant de le retrouver, Verne divulguera une des raisons de son mal-être. Estelle. Qui la hante sans cesse depuis sa (probable) mort. Au détriment même de l’amour porté à son épouse Honorine. Un détail qui a son importance puisqu’il le poursuivra tout au long de ce premier opus.

UN VOYAGE MOUVEMENTÉ

Mais Paul, marin expérimenté qui arrive de Rotterdam, va faire sortir Jules Verne de sa mélancolie. Ces deux grands voyageurs vont avoir, pour la première fois, l’occasion de partir ensemble. Pour cette excitante expédition, quoi de mieux que d’emprunter le paquebot le plus luxueux de l’époque appelé Great Eastern. Ainsi, la moitié de l’album se déroulera sur cet immense terrain de jeu baptisé initialement Le Léviathan (dont le constructeur Brunel, voulait, et s’y tiendra, rendre le navire insubmersible… Contrairement à son « successeur » qui avec la même réputation, coula cinq jours après sa première traversée en 1912).

L’aventure commence à ce moment précis. Au moment où Jules et Paul foulent les pieds sur le gigantesque bateau. De l’Angleterre jusqu’en Amérique, les deux frères vivront diverses secousses. Aussi bien climatiques qu’émotionnelles. D’abord ébahis par les entrailles de la machine,  ils feront de mystérieuses rencontres notamment le docteur Pitferge. Mais surtout ce dénommé Orpheus qui porte sur ses épaules une lourde valise. De celle-ci sort la chanson d’une cantatrice dont la voix est formellement reconnue par Jules. Celle d’Estelle.

La vision de son âme errante conjuguée à la légende qui habite leur antre des mers donnent une dimension fantastique épaississant un peu plus l’intrigue de ce récit. À la fin de ce premier tome qui se veut introductif, quelques inconnues restent en suspens sans pour autant être frustrantes grâce à la belle énergie employée pour se focaliser sur le ressenti des protagonistes. La prochaine parution devrait donner les clés pour comprendre l’importance de cet Astrolabe d’Uranie. C’est tout ce qui nous manque.

L’ART DE BROUILLER LES PISTES

Esther Gil avait démontré avec Victor Hugo : aux frontières de l’exil  son aisance à jongler entre le fictif et le véritable. Avec Laurent Paturaud et ses sublimes illustrations, elle plonge le lecteur dans une enquête où le romancier endosse la casquette du détective pour découvrir la cause véritable (alors qu’elle ne souffrait d’aucune suspicion), de la mort tragique de sa fille Léopoldine.

Dans Jules Verne et l’Astrolabe D’Uranie, on y trouve le même respect envers l’Histoire. L’autrice utilise des faits avérés pour y greffer des doutes, des suppositions qui amènent naturellement à de nombreuses péripéties. Ici, E. Gil pose les bases avec une anecdote sur Jules Verne enfant. Puis elle respecte au mieux l’époque dans laquelle l’écrivain s’épanouit : La ville parisienne qui se transforme, la Révolution Industrielle, la traversée sur ce célèbre bateau avec son frère, cet amour secret avec Estelle. Elle prend également plaisir à intégrer Hugo qui faisait parti de ceux qui inspiraient Verne. Ainsi, on observe ce dernier en pleine contemplation devant un poème du dramaturge romantique.

UN DESSIN UNIQUE EN SON GENRE

Et pour donner vie en images à cette aventure, Carlos Puerta éblouit nos yeux avec son trait qui, si on l’a vu une fois, devient tellement identifiable. Pour Jules Verne et l’Astrolabe d’Uranie, il met un point d’honneur à reproduire les décors, éléments, structures, bateau tels qu’ils existaient au XIXe siècle (cet effort se vérifiait déjà dans dans Baron Rouge). On sait, en outre, qu’il aime ajouter ce côté fantastique (déjà appréciable dans Adamson). Pour cet album, il y a des passages formidables d’intensité comme la tempête en mer ou l’attaque des indiens. Chaque case de C. Puerta mérite qu’on s’y attarde. Il joue également avec le lecteur en dessinant quelques célèbres acteurs de cinéma…

Une scénariste déroutante par son travail de mélange imaginaire/réalité, accompagnée d’un dessinateur habitué à illustrer ce type d’exercice. Cela donne Jules Verne et l’Astrolabe d’Uranie. Une bande-dessinée immersive du début jusqu’à la fin. Et justement, à la fin, on en redemande.

Article posté le lundi 24 octobre 2016 par Mikey Martin

Jules Verne et l'Astrolabe d'Uranie (1er tome) de Esther Gil & Carlos Puerta (Ankama), décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Jules Verne et l’Astrolabe d’Uranie : Tome 1
  • Auteur : Esther Gil
  • Dessinateur : Carlos Puerta
  • Couleur : Carlos Puerta
  • Éditeur : Ankama
  • Prix : 14,90 €
  • Parution : septembre 2016

Résumé de l’éditeur : Été 1839. Alors qu’il n’est encore qu’un enfant rêveur, Jules Verne fugue. Son escapade le mène dans le porte de Nantes où il assiste à une étrange scène : un homme acquiert un astrolabe qui serait doté d’un fabuleux pouvoir… 28 ans plus tard, l’écrivain embarque pour les Amériques afin d’y trouver l’inspiration. A bord, il croit reconnaître celle qu’il a tant aimée et qu’il pensait morte… Mais qui est ce mystérieux savant nommé Orpheus qui semble la retenir prisonnière ? Que manigance cet homme et quel lien peut-il avoir avec ce qu’il a vu dans son enfance ? Pour le découvrir, Jules se lance à la poursuite d’Orpheus. De New York aux chutes du Niagara, il devra braver mille dangers dans ce monde que l’on qualifie de « nouveau » et qui lui inspirera tant de voyages extraordinaires.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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