Khat

Natan, jeune Érythréen, fuit la dictature pour l’Ethiopie et l’Europe. Son parcours déchirant et bouleversant est raconté par Ximo Abadia dans Khat. Percutant !

« Pour Natan Getachew et pour tous ceux qui traversent les frontières en quête d’une vie meilleure. »

Le 17 juin 2018, Natan touche enfin les terres espagnoles, lui qui partit quelques mois plus tôt de son pays natal, l’Érythrée. C’est un jeune homme fatigué et amaigri qui est accueilli à Valence.

Depuis quelques années, les autrices et les auteurs de bande dessinée se sont emparés de la thématique des réfugiés. Citoyen.nes, ils regardent comme nous autres, ces vies brisées, parfois les noyé.es en Méditerranée, qui tentent de fuir la faim ou les dictatures pour enfin vivre en paix. Ainsi, Sandrine Martin a réalisé Chez toi, Troubs et Baudoin Humains, la Roya est un fleuve et Fabien Toulmé, L’odyssée d’Hakim. Même les auteurs jeunesse s’y sont penchés pour aborder ce thème avec les plus petits : Koko au pays des toutous de Jean-Benoît Meybeck et Chandelle-sur-Trouille de Céline Fraipont et Vincent Bailly.

Quant à Natan, comment est-il arrivé jusque-là ? Quel fut son parcours du combattant pour un ailleurs meilleur ?

Du Khat pour se nourrir

Situé au nord-ouest de l’Afrique, l’Érythrée est un pays sous le joug de Isaias Afewerki, un dictateur. En 1993, cet état devient indépendant de l’Éthiopie. Depuis, les guerres et tensions sont toujours à vif entre les deux pays. Et comme à chaque fois que des guerres s’invitent sur des terres, elles sont le théâtre de morts et de famines pour les populations qui n’ont rien demandé.

Natan et son père ont passé la frontière pour s’installer en Éthiopie, laissant derrière eux la mère du jeune garçon. Mais les Erythréens ne sont pas les bienvenus dans leur ancien pays. Pourtant, comme ils ont pu, avec les moyens du bord, ils ont construit des abris de fortune, faisant fleurir des bidonvilles dans les villes.

Alors, pour manger, ils fouillent les poubelles, volent ou mâchent du khat, feuilles d’un arbuste qui leur permet de remplir leurs ventres affamés mais aussi d’entrer dans une transe. Tel une drogue, le khat fait oublier pour quelques heures, leur triste sort.

Il est temps de partir

Natan passe ses journées à errer avec Sofi et Yoannes. L’école, il n’aime pas ça. La mère du premier tente de le faire venir dans son établissement scolaire afin d’y apprendre les bases. Au collège, il n’y reste pas longtemps. Son père malade, il doit retourner travailler pour survivre.

Avec ses deux amis, ils mettent en place un petit trafic de faux papiers. Grâce à eux, de nombreuses familles fuient l’Éthiopie. Dénoncés, ils sont alors emprisonnés. Natan réussit à s’évader. Il est alors temps de quitter son foyer pour tenter de voir l’Europe…

Khat et ses couleurs éclatantes

Lorsque l’on ouvre Khat, on est tout de suite attiré par les planches de Ximo Abadia, réalisées à la craie grasse. Cette technique donne un grain particulier à ses pages et une force indéniable à son propos. Comme les contours peuvent parfois être flous, cela peut s’apparenter à de l’abstraction. Les couleurs vives pour souligner certaines choses, y compris dans les bulles, permettent de faire éclater la vérité à la figure des lecteurs. Sans cadre, les illustrations s’entremêlent avec une justesse incroyable.

Les réfugiés et autres personnages comme Natan, filiformes, tranchent avec les soldats et autres passeurs ou policiers bien en chair. On les sent fragiles, prêts à se casser sous les coups.

Khat, bouleversant journal d’un réfugié

Né en 1983 à Alicante, Ximo Abadia, s’est fait connaître en France grâce aux éditions La joie de lire qui ont eu la riche idée de publier Le dictateur et Le potager. Ce dernier ouvrage fut même inclus dans la sélection des 10 meilleurs livres illustrés de l’année 2019 par le New York Times et la New York Public Library.

Aussi fort et impressionnant que les albums dont j’ai parlé auparavant, Khat ne laisse pas indifférent ses lecteurs. Cette bande dessinée est ultra importante pour nous Européens. Parce qu’à part des images de JT, on connait mal le sort des réfugiés. Trop loin de nous ? Trop répétitif ? On s’en détourne alors que l’on ne devrait pas.

L’histoire permet de donner corps à ces inconnus, de les rendre visible, de les humaniser alors qu’ils ne le sont plus dans leurs barques de fortune. De la misère du pays quitté à l’arrivée sur le continent europées, les obstacles sont nombreux. Parfois au risque de leur propre vie, ils  tentent le tout pour le tout, pour enfin vivre dignement…

Article posté le dimanche 12 juin 2022 par Damien Canteau

Khat de Ximo Abadia (La joie de lire)
  • Khat, journal d’un réfugié
  • Auteur : Ximo Abadia
  • Traducteurs : Anne Calmels et David Schavelzon
  • Éditeur : La joie de lire
  • Prix : 22,90 €
  • Parution : 17  juin 2022
  • ISBN : 9782889085965

Résumé de l’éditeur : Le 17 juin 2018, trois bateaux accostent au port de Valence. A leur bord, des centaines de migrants. Ximo Abadia raconte le destin de l’un de ces anonymes qu’il a rencontré.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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