Killer Smile

Le Joker passera la fin de ses jours dans l’asile d’Arkham. Il est l’être le plus dangereux qu’ait connu Gotham et pourtant, un psychiatre est persuadé qu’il peut le guérir.

Killer Smile, par Jeff Lemire et Andrea Sorrentino nous invite à plonger dans l’esprit malade d’un des plus grands super-vilains jamais créés.

AU JEU D’ÉCHEC, LES FOUS SONT AU PLUS PRÈS DE LEUR ROI.

Enfermé dans une cellule capitonnée de l’asile d’Arkham, il fait partie des patient voués à ne jamais ressortir.

En effet, de tous les psychopathes qui ont été arrêtés par le chevalier noir, il est le plus violent, le plus instable, le plus dangereux. On l’appelle le Joker.

Pourtant, son psychiatre attitré Benjamin Arnell est persuadé qu’il réussira là où tous ceux qui s’y sont essayés ont lamentablement échoué…

« Je ne suis pas là pour établir un diagnostic. On sait tous ce que vous êtes. Non. Je suis là pour vous soigner. »

« Soigner » le Joker… L’idée a de quoi surprendre.

Et pourtant… Si c’était possible ?

Il faut dire que le docteur Benjamin Arnell semble parfaitement qualifié pour mener cette tâche à bien.

Il a le soutien bienveillant de sa supérieure, le docteur Hutchins, et surtout, il a la chance de pouvoir compter sur l’amour de sa femme Anna et de son fils Simon.

Ils représentent sa bouffée d’oxygène, sa soupape de sécurité.

Et par-dessus tout, il voit des progrès chez son patient ; il le sait, c’est une question de semaines…

Et s’il parvient à conserver son propre équilibre, il peut y arriver.

Alors, malgré la tâche considérable qu’il s’est attribuée, il garde un rythme de vie qui lui permet de profiter de sa famille. En fin de journée, il rentre à l’heure prévue, ou alors jamais avec plus d’une heure de retard. Et surtout, tous les soirs, il lit une histoire à son fils avant de s’endormir.

C’est ce rituel qui lui prouve qu’il a raison et qu’il peut y arriver…

Mais un soir, il s’étonne : d’où vient cette histoire que Simon lui a demandé de lire ? Qu’est-ce que ce curieux personnage appelé M. Sourire, qui se promène avec « un étonnant bidule » qui ressemble à s’y méprendre à une tronçonneuse ? Qui a bien pu donner ce livre à Simon ?…

« C’est toi qui me l’as donné, papa. Tu te souviens ? »

L’ANTRE DE LA FOLIE.

Jeff Lemire est désormais un auteur reconnu et bon nombre de ses œuvres sont devenues incontournables.

Le talentueux scénariste a déjà écrit dans l’univers DC, mais avec Killer Smile, il s’attaque à un monument et pas seulement des comics, mais de la pop culture toute entière : le Joker.

En soi, écrire un comic book mettant avant tout en scène le Joker représente une première difficulté.

Le fait est que d’ordinaire, le super-Vilain n’existe que par Batman ; cette confrontation a donné naissance à des œuvres de légende comme Killing Joke de Brian Bolland et Alan Moore.

Mais depuis quelques temps, on constate que les auteurs tentent, et parfois avec succès, de placer le Joker au premier rang. C’est le cas dans Joker de Lee Bermejo et Brian Azzarello.

On notera à ce titre un parti pris de Jeff Lemire, puisque dans Killer Smile, l’homme chauve-souris ne fait que de très brèves apparitions et n’influe pas dans l’intrigue.

Dès lors, on s’attend à voir le Joker au premier rang, et pourtant, ce n’est pas le cas : contre toute attente, le personnage principal est Benjamin Arnell, le psychiatre du Joker.

Bien entendu, l’homme qui rit est lui aussi omniprésent, mais toujours au second plan, dans l’ombre, tel un virus qui feint de se faire oublier pour mieux frapper.

UN SOURIRE NE COÛTE RIEN ET PRODUIT BEAUCOUP.

C’est ainsi que Jeff Lemire conçoit le Joker : bien plus qu’un super-Vilain, bien plus qu’un personnage emblématique, il est un symbole, une idée qui se propage et contamine.

Dès lors, la question qui se pose est de savoir comment on risque de se faire contaminer et comment on peut lutter contre ce qu’on ne voit pas…

Tels sont les enjeux présents dans Killer Smile.

Tantôt hypnotique dans sa première partie, tantôt angoissante et dérangeante dans la seconde, l’œuvre inquiète, au sens propre du terme. Le lecteur est réellement déstabilisé et ce n’est qu’au bout de plusieurs lectures que certains éléments finissent par trouver un éclaircissement.

Dans cette entreprise, le scénariste canadien est plus que secondé par un artiste qu’il connaît bien : Andrea Sorrentino. A eux deux, ils ont déjà créé la série Gideon Falls, référence de l’horreur récompensée par l’Eisner de la meilleure série en 2019.

Dans Killer Smile, le dessinateur laisse libre cours à tout son talent. Les planches sont déstructurées, à l’image de l’esprit torturé du Joker. Le dynamisme qui en ressort envoûte et terroriser au fur et à mesure que la palette de couleurs glisse irrémédiablement vers le rouge sang.

En adoptant pas moins de trois styles graphiques radicalement différents, le dessinateur crée des univers qui accompagnent magistralement la narration.

Petit à petit, grâce à cette symbiose entre l’intrigue et les dessins, le lecteur se laisse entrainer dans un tourbillon dont il ne ressortira pas indemne.

Parfois complexe, la lecture de Killer Smile interroge et nous permet de plonger dans l’univers d’un des plus grands vilains jamais créés.

Article posté le dimanche 18 octobre 2020 par Victor Benelbaz

Killer Smile de Jeff Lemire et Andrea Sorrentino (Urban Comics / DC Comics)
  • Killer Smile
  • Scénariste : Jeff Lemire
  • Dessinateur : Andrea Sorrentino
  • Éditeur : Urban Comics
  • Prix : 15.50 €
  • Parution : 18 septembre 2020
  • ISBN : 9791026818885

Résumé de l’éditeur : Quand un psychiatre affilié au Joker tente de guérir le plus grand criminel de Gotham, c’est le début d’une descente aux Enfers pour celui qui était jusqu’ici un père de famille aimant et paisible. Mais cette spirale de dépression et d’hallucinations violentes ne cache-t-elle pas aussi un réel gouffre au sein même de sa psyché ?

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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