Kiss The Sky : Gimmick A Man

Après Love in Vain, le dessinateur Mezzo et le scénariste Jean-Michel Dupont signent une nouvelle adaptation de la vie tourmentée d’un musicien noir : Robert Johnson et les enfers fait cette fois place à Jimi Hendrix et les cieux avec Kiss The Sky. Mais aussi opposés soient-ils en termes géographiques, le chemin pour atteindre ces deux mondes est-il si différent qu’il n’y parait ?

LE ROI DES EMBUCHES

Mezzo est principalement connu des amateurs de bande dessinée pour ses travaux avec Michel Pirus au scénario. Des Désarmés à Mickey Mickey, de Deux Tueurs à Un Monde Etrange, leurs histoires se situent souvent à la frontière entre polar et horreur, composées de personnages cintrés et de tranches de vies folles.

Il y a plus de dix ans, ils ont déshabillé le polar de leurs histoires pour mieux les rhabiller derrière la chronique adolescente qui part en couilles. Avec Le Roi des Mouches, ils ont frappé fort. Ils racontent l’étrange cavale d’Eric en faisant se cogner les influences du Black Hole de Charles Burns avec le Ghost World de Daniel Clowes. Sur fond d’esprit rock’n roll et d’incroyables hallucinations visuelles, le récit se racontait dans un écrin Vosgien fantasmé plus proche de la banlieue Américaine pourrie que ce à quoi ressemble vraiment l’Est de note cher hexagone. 

En 2014, Mezzo collabore avec Jean-Michel Dupont. Pour Glénat, ils signent Love in Vain ou le destin trouble du chanteur de Blues Robert Johnson. Dans un récit court et tendu, ils parcourent en noir et blanc une tranche de vie haute en couleurs dans laquelle la musique se construit à même le corps et l’âme. Johnson est en effet connu des amateurs comme étant celui qui aurait pactisé avec le Diable pour pouvoir exercer sa musique.

Aujourd’hui, les auteurs récidivent et proposent l’histoire des premières années de la vie de Jimi Hendrix dans Kiss The Sky: Jimi Hendrix 1942-1970. Si Love in Vain sonnait comme un exercice artistiquement réussi autant qu’un bon starter à ce nouveau livre, Kiss The Sky étoffe le récit, les enjeux et les compositions et s’avère autrement plus puissant à lire, une nouvelle expérience à vivre.

TENTER SA CHANCE A NOUVEAU

Le livre s’entame sur une page scindée en neuf cases. Pour les auteurs, elle contient les germes du personnage d’Hendrix, son début mais aussi sa fin. Ils reprennent ainsi l’esprit du morceau Belly Button Window, chanson dans laquelle il raconte depuis le nombril de sa mère, son point de vue sur sa vie à venir et le sentiment tenace qu’il a d’être un enfant non désiré. Ainsi rejeté, Hendrix n’aura cherché tout au long de son existence qu’une chose: renaitre. 

L’histoire de Jimi Hendrix est donc pétrie d’autant de tentatives de se chercher, de se trouver, de parfois se planter et de temps en temps de réussir, que ce soit des groupes dans lesquels il aura joué même quelques semaines à son passage en tant que parachutiste à l’armée. 

Jimi Hendrix a eu une vie particulière, quasi semblable à celle de Robert Johnson, une existence pauvre faite de misères et de difficultés ou l’amour semble être un jeu auquel tout le monde participe mais qui ne trouve jamais aucun vainqueur. Dans son étrange quête de bonheur, Jimi joue ce modèle à l’envie, à l’infini, comme le musicien chercherait en permanence l’inspiration en grattant sa guitare au réveil ou entre deux concerts. 

Nait ainsi dans la narration, l’idée du gimmick tant musical que visuel. Les auteurs déroulent la partition d’une vie qui fonctionne par phases, parfois aussi peu changeantes qu’un bon riff de guitare, parfois ponctué de moments intenses. Comme par magie, le gimmick/riff revient régulièrement, rappelant à la quête désespérée de son modèle, à son voyage inaltérable et sans fin vers la destruction. Dans ce voyage se croise du beau monde, des icônes du rock et de la soul d’Elvis à Little Richard, de Sam Cooke à Aretha Franklin, eux aussi des âmes tourmentées qui ont jouées avec plus ou moins de succès sur la partition de la vie. 

LA LÉGENDE DE JIMI

L’ambiance visuelle ne donne pas encore l’image qu’appelle Jimi Hendrix quand on l’évoque. Du psychédélisme dont il sera l’un des chantres, le récit est ici raconté dans un noir et blanc riche et foisonnant ou les références audio-visuelles parcourt les cases pour mieux nous étreindre dans le marasme que représente l’époque.

La quête d’Hendrix, Mezzo la figure dans des cases carnassières ou son mordant la met en scène de manière assez spectaculaire. Certaines sont de véritable exercice de composition picturale et rappellent autant aux travaux dantesques de Jérôme Bosch qu’à ceux qui représentent aujourd’hui la pop culture dont Hendrix aimait se régaler.

Que ce soit le scénario de la vie de Jimi, ce qui intime sa légende et l’aurait construit ou l’aspect très travaillé de certaines cases, la lecture de l’oeuvre est dense, tenue, fouillée. Prendre le livre, en lire une partie, la découvrir et la digérer lui permet d’être apprécié de différentes façons, évitant alors l’idée d’une consommation immédiate mais plutôt celle d’un bon vin à laisser murir pour mieux en saisir les multiples saveurs.

Après le format à l’italienne qui était celui de Love In Vain, les auteurs font ici place au format carré, proche évidemment de celui d’un disque vinyle, dans un objet où la teinte se donne en noir et blanc avec, Hendrix oblige, des touches de pourpre. En fin d’ouvrage, un rappel des différentes chansons qui parcourent le récit est proposé. Ces morceaux permettent de cartographier l’époque, ses modes et ses évolutions et donnent à comprendre les influences dont Hendrix se nourrira avant de définitivement imposer le jeu qui fera son identité et sa marque de fabrique. 

DEATH CLUB

Robert Johnson et Hendrix font parti du fameux club des 27 qui réunit parmi d’autres Brian Jones, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain ou encore Amy Winehouse. Un club ou il ne fait pas bon vivre puisque la particularité de toutes ces personnalités est qu’elles sont mortes à l’âge de 27 ans. 

L’histoire nous laisse ainsi dans la vingt-quatrième année d’Hendrix, celle qui le conduira vers le succès qu’on lui connait. Un premier volume qui raconte vingt-quatre années, un second qui n’en racontera que trois: la curiosité nous pique de savoir de quoi sera constituée la suite…Probablement d’une furie furieuse qu’on espère en couleurs, aussi vive narrativement et visuellement que ce premier volume, la crème d’Hendrix qui se terminera par un voyage sans retour. Vouloir embrasser le ciel a définitivement un prix. 

Article posté le mardi 06 décembre 2022 par Rat Devil

Kiss the Sky tome 1 de Jean-Michel Dupont et Mezzo (Glénat)
  • Kiss The Sky: Jimi Hendrix 1942-1970
  • Dessinateur: Mezzo
  • Scénariste: Jean-Michel Dupont
  • Editeur : Glénat
  • Prix : 24,50€
  • Parution : Octobre 2022
  • ISBN :9782344030233

Résumé de l’éditeur : Avant de devenir le plus célèbre guitariste de tous les temps, Jimi Hendrix fut un gamin laminé par une enfance à la Dickens puis un obscur musicien au parcours semé de galères et d’humiliations. C’est cette part sombre de sa vie et sa soif désespérée de reconnaissance que raconte cette première partie du portrait intime que lui consacrent Mezzo et JM Dupont, auteurs du remarqué Love in Vain.

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