La belle saison & L’hiver en été

Alfred et Jean-Pierre Gibrat font l’objet de publications de leurs travaux dans de magnifiques artbooks. La belle saison & L’hiver en été, deux ouvrages de deux auteurs très appréciés par Comixtrip. Plongée dans leurs fabuleux univers graphiques tout en délicatesse et en poésie.

La belle saison, Alfred chez Delcourt

Carte blanche à Alfred à la Cité internationale de la bande dessinée, La belle saison est donc le titre éponyme de ce merveilleux recueil de 80 pages chez Delcourt. De février à juin 2019, Alfred sera à l’honneur dans la cité charentaise à travers une exposition, des créations d’images, des lectures et des concerts dessinées.

Né en 1976, Alfred créa en 1995, Ciel Ether, une structure d’auto édition qui lui permit de rencontrer Eric Corbeyran avec lequel il réalisa entre autres L’orgreraie, Horreur de jeunesse, La Digue ou Abraxas. Dans les années 2000, il travailla avec David Chauvel sur la série Octave, avec Jean-Philippe Peyraud sur Le désespoir du singe, ainsi qu’Olivier Ka avec lequel il publia Pourquoi, j’ai tué Pierre (Fauve essentiel à Angoulême en 2007) et Capitaine Fripouille.

Seul, il adaptera deux romans de Guillaume Guéraud : Je mourrai pas gibier et La rage du dragon, mais surtout il publia l’extraordinaire Come prima, lauréat du Fauve d’or à Angoulême en 2014. Cet album bouleversant fait d’ailleurs l’objet d’une déclinaison en BD-Concert par La route production et le groupe Splendor in the grass. Un spectacle poignant que Comixtrip avait pu voir dans la cité des Valois en 2016. D’ailleurs, après cette magnifique récompense, il fut l’un des acteurs principaux des Concerts de dessins à Angoulême pour lesquels il imagina les scénarios (Hommage à Otomo, Le chapeau d’Areski) mais aussi le sublime spectacle Les contes dessinés avec Areski Belkacem, des déclinaisons de légendes berbères.

Ce qu’il y a de fascinant et d’envoutant chez Alfred, ce sont ses encres. Belles, entremêlées et audacieuses, elles apportent une véritable poésie à ses illustrations. Et c’est encore le cas avec La belle saison. Dans cet ouvrage, il met en lumière toutes les thématiques qu’il affectionne. Ainsi, l’album est composé de grands chapitres :

  • Jardins vivants. Il laisse son imagination vagabonder dans les parcs, à travers les plantes et les arbres. Comme son esprit, il aime se perdre dans ces dédales végétaux. Quelques bâtiments viennent casser le rythme des courbes des fleurs et arbres par leurs traits rectilignes. Des personnages lambda circulent aussi au milieu des plantes. Ici un baiser volé, là un homme arrosant, ici des personnes sur un banc sans oublier sa maman, main verte, qui aime transformer l’intérieur de sa maison en une jungle luxuriante. Parfois de grandes illustrations se glissent parmi celles plus petites. Elles font la part belle aux promeneurs et autres joggeurs des parcs publics.
  • Vagabondages graphiques. Comme il l’explique dans le texte de cette partie, Alfred ne passe pas un jour où il ne griffonne pas dans un carnet. Croquis, esquisses ou dessins plus poussés, il peut passer de 10 minutes à plusieurs heures penchés sur ces pages blanches qu’il colorise. Ici, il brosse le portrait d’inconnus croisés ou de personnages imaginés.
  • En dialogue. De dessins influencés par les arts anciens à des affiches illustrées, tout est beau chez Alfred. Il n’oublie pas sa fascination pour le cinéma italien des années 50-60-70. Celui-là même auquel il rendit hommage dans Come Prima. Aux crayons de couleurs, il croque les acteurs, actrices et réalisateurs. Federico Fellini, Nanni Moretti, Ettore Scola ou Vittorio Gassman, ils sont tous là.

L’hiver en été, Jean-Pierre Gibrat, Daniel Maghen

L’hiver en été est un sublime artbook reprenant de nombreux dessins de Jean-Pierre Gibrat issus de ses magnifiques séries Le sursis, Le vol du corbeau et Mattéo.

Né en 1954, Jean-Pierre Gibrat débuta sa carrière de dessinateur dans le magazine Pilote en 1977. Il rencontra Jackie Berroyer avec lequel il créa la série Godard, Visions futées ou La Parisienne entre 1978 et 1985.  Vinrent ensuite Narcisse Mulot avec Jean-Claude Forrest, Pinocchia avec Francis Leroy ou Marée basse avec Daniel Pecqueur.

Mais c’est avec Le sursis en 1997 que sa carrière prit un autre tournant. Ce diptyque en solo le fit entrer dans le cercle des grands auteurs de bande dessinée. Il enchaina ensuite avec Le vol du corbeau en 2002-2005 (Prix du dessin en 2006 à Angoulême) et enfin Mattéo à partir de 2008 (4 volumes, Futuropolis).

L’hiver en été publié par Daniel Maghen revient sur ses trois grandes séries. A travers 175 pages, le lecteur et amateur du trait de Jean-Pierre Gibrat découvre avec émerveillement la force graphique de son dessin. Les magnifiques aquarelles du Grand BDBoum 2010 se marient avec un trait réaliste de haut-vol.

Pour ce superbe ouvrage, Jean-Pierre Gibrat a été interrogé sur son parcours par Rebecca Manzoni. Depuis plus de vingt ans, l’animatrice de Pop&Co sur France Inter est son amie. Il semblait donc logique que ce soit elle qui pose des questions au scénariste des Gens honnêtes (avec Christian Durieux).

Ensemble, ils reviennent sur le point de départ du Sursis. Comme il l’explique, jusqu’au premier tome, il était reconnu par ses pairs et la critique mais le public ne suivait pas, malgré l’intelligence des albums avec Berroyer ou celui avec Pecqueur. Se lancer seul dans une aventure ne fut pas simple. Rebecca Manzoni l’interroge sur son rapport à l’Histoire (la résistance, l’Exode, la Guerre, le Front Populaire, mais aussi sur la Guerre d’Espagne), sur son dessin, ses couleurs, son travail pour le magazine Elle, sa manière de dessiner les femmes et en premier lieu Cécile.

Elle n’oublie pas d’aborder avec lui la bande dessinée, André Juillard et Les 7 vies de l’épervier qui sera son déclencheur, de Moebius, de cinéma et Audiard, de photographie et de Gerda Taro (compagne de Capa) ou de littérature et de Céline. Il prend même le temps de décrire avec précision la fameuse scène du Bivouac.

Très beau livre, L’hiver en été, est richement illustré. Des croquis s’entremêlent aux grandes illustrations sur une page ou des double-pages. C’est Gibrat lui-même qui a choisi le corpus de dessins. Et il a bon goût !

Article posté le dimanche 05 mai 2019 par Damien Canteau

La belle saison de Alfred (Delcourt)
  • La belle saison
  • Auteur : Alfred
  • Éditeur : Delcourt
  • Prix : 29.90€
  • Parution : 24 avril 2019
  • ISBN : 9782413016663

Résumé de l’éditeur : « J’ai toujours essayé de grandir en même temps que mon dessin. Afin qu’à travers les rencontres, les voyages, les expériences ou encore les erreurs de la vie, on se fige le moins possible. Prendre des chemins de traverses, au risque de me perdre pendant un temps, est l’un des moteurs de mon travail. Autodidacte longtemps complexé de l’être, c’est par ces champs d’explorations que, depuis des années, je nourris et fais évoluer ma pratique ». Alfred

L'hiver en été de Jean-Pierre Gibrat et Rebecca Manzoni (Daniel Maghen) - La belle saison
  • L’hiver en été
  • Auteur : Jean-Pierre Gibrat
  • Entretien réalisé par : Rebecca Manzoni
  • Éditeur : Daniel Maghen
  • Prix : 39€
  • Parution : 18 avril 2019
  • ISBN : 9782356740564

Résumé de l’éditeur : Été comme hiver est l’artbook consacré au travail de Jean-Pierre Gibrat de ces vingt dernières années, en particulier autour des séries Le Sursis, Le Vol du corbeau et Mattéo. L’auteur a lui-même sélectionné ses meilleurs dessins, supervisé la création du livre et porté le plus grand soin à la reproduction de ses dessins. Fait rare chez les auteurs de bande dessinée, Gibrat partage son temps entre ses séries et les illustrations qu’elles lui inspirent. On peut «lire» ses illustrations dans la continuité de ses albums, que l’on retrouve ses héroïnes en plein exode, parmi les réfugiés fuyant Paris, ou sur le quai d’une gare, regagnant la capitale après la défaite allemande. À travers ces dessins réalisés en couleur directe, Gibrat nous offre sa représentation de la beauté féminine, mélange de force, de fragilité, d’humour et de sensualité. On ne peut s’empêcher de tomber amoureux des femmes de Gibrat ! Jeanne, Cécile et Amélie sont mise à l’honneur dans ces pages grand format, dans les contextes historiques des événements du XXe siècle ou dans la simplicité de leur vie quotidienne, assises à la terrasse d’un café, dans le métro parisien ou songeuses, faisant quelques pas sur la plage. Tout au long du livre, dans une longue interview menée par son amie Rebecca Manzoni, Jean-Pierre Gibrat se dévoile et nous fait partager avec humour et sincérité son goût de l’Histoire, de la représentation féminine, ses influences en dessin, en littérature, en cinéma, et son parcours original, depuis les premières caricatures à la façon des Grandes Gueules jusqu’à ses derniers albums, en passant par l’incroyable richesse des années « Pilote ».

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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