La légèreté

Traumatisée par les attentats de Charlie hebdo auxquels elle échappa de justesse, la dessinatrice Catherine Meurisse livre avec La Légèreté un émouvant roman graphique. 

APRÈS LE 7 JANVIER

Le 7 janvier 2015 , tout comme le 13 novembre de la même année, restera une date essentielle dans l’histoire. Ce jour-là, deux frères se revendiquant d’un dieu qui ne leur avait rien demandé semaient la mort à coups de kalachnikov dans une salle de rédaction, rue Nicolas-Appert, à Paris .

Ce jour-là, Catherine Meurisse, dessinatrice de presse depuis dix ans à Charlie Hebdo, arrive en retard à la conférence de rédaction. Tout comme Luz, un autre pilier du journal qui lui aussi échappera au massacre (11 morts et 11 blessés) elle a cherché dans son art et son travail les raisons de croire encore en l’homme.

Quelques mois après cette tuerie, Luz faisait sa « Catharsis« . Catherine Meurisse, pour entrer en guérison, a choisi la Légèreté. C’est le titre d’un superbe album qu’elle publie ce printemps chez Dargaud.

COMMENT SE RECONSTRUIRE ?

Sans jamais être clairement formulée, c’est quasiment la seule question posée tout au long de ces pages. Sidérée dans les jours qui ont suivi la tuerie et coûté la vie à ses collègues et amis de Charlie, Catherine Meurisse cherche à revivre avec le dessin, pour « recouvrer une cohérence perdue le 7 janvier ». Mais tout lui est difficile. « Je voudrais être vivante, comme avant » témoigne-t-elle dans l’album. Alors, soutenue par des proches, aidée par un psy, au lieu comme beaucoup l’auraient fait, de sombrer dans le pathos et la colère, elle emprunte un autre chemin.

Portée par une intuition, cette diplômée de lettres modernes, comme quelques-uns des  auteurs qu’elle admire (Stendhal, Proust…) cherche la beauté. Elle devine, comme l’a dit en son temps un autre écrivain qu’elle  aime, Dostoïevski, que « la beauté sauvera le monde ».

Se confronter avec la beauté, s’imprégner de la poésie d’un paysage, de la force d’un tableau, de la musique d’un poème vont dans les mois qui suivent la tragédie de Paris constituer de formidables antidotes à l’horreur.

DANS LA VILLE ÉTERNELLE

Au fil des jours, la dessinatrice raconte sa quête vers la beauté. Pas facile quand on est flanquée au quotidien d’une protection policière rapprochée, que votre statut de rescapée vous culpabilise et vous questionne. Alors on va voir la mer, Cabourg, Balbec, parce que c’est là, lui rappelle une amie, que Proust, son écrivain préféré, passait ses vacances… Puis à l’automne 2015, c’est le départ pour l’Italie. Rome et la villa Médicis qui lui ouvre ses portes pour quelques semaines. Là, au siège de l’académie de France où les artistes sont accueillis en résidence, elle laisse aller ses pensées dans les jardins bien ordonnés où des statues de pierre lui rappellent que les hommes peuvent aussi créer, rêver, fixer les rêves dans les marbres et les plâtres…

Sans jamais céder au pathos et à la désespérance, la dessinatrice nous fait part de ses doutes, de son questionnement intime. Suis-je ou serai-je encore capable d’aimer ? Pourrai-je à nouveau rire, apprécier, goûter aux joies de la vie après avoir vécu un tel choc? En clair, retrouverai-je cette légèreté qui était la mienne avant? Au fil des pages et d’un crayonné de plus en plus appuyé, coloré, la dessinatrice nous fait vivre les différentes étapes de sa convalescence, comme Luz l’avait fait de son côté quelques mois plus tôt.

Si tout dans cette quête nous rappelle que nous sommes ô combien mortels, tout nous dit aussi que rien ne vaut la vie. Celle de Catherine Meurisse fût définitivement transformée au soir du 7 janvier 2015. De légère, elle est devenue plus grave, plus lourde. Un poids qu’elle nous invite à partager.

Article posté le vendredi 29 avril 2016 par Jean-Michel Gouin

Traumatisée par les attentats de Charlie hebdo auxquels elle échappa de justesse, la dessinatrice Catherine Meurisse livre avec La Légèreté un émouvant roman graphique. Cet album est décrypté par Comixtrip, le site BD de référence
  • La légèreté
  • Auteur : Catherine Meurisse
  • Editeur : Dargaud
  • Prix : 19, 99 €
  • Parution: 29 avril 2016

Résumé de l’album. Dessinatrice à Charlie Hebdo depuis plus de dix ans, Catherine Meurisse a vécu le 7 janvier 2015 comme une tragédie personnelle, dans laquelle elle a perdu des amis, des mentors, le goût de dessiner, la légèreté. Après la violence des faits, une nécessité lui est apparue : s’extirper du chaos et de l’aridité intellectuelle et esthétique qui ont suivi en cherchant leur opposé – la beauté. Afin de trouver l’apaisement, elle consigne les moments d’émotion vécus après l’attentat sur le chemin de l’océan, du Louvre ou de la Villa Médicis, à Rome, entre autres lieux de renaissance.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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