Ladies with guns #1

La couverture de cette nouvelle série qui réunit le trio inédit Bocquet/Anlor/De Cock se suffit à elle-même pour deviner la trame de ce western prévu en trois tomes. A commencer par son titre, Ladies with guns. Estampillé d’éclaboussures de sang, on comprend rapidement qu’il s’agira de suivre le destin de quelques femmes dont on aperçoit les silhouettes de dos, s’engouffrant ensemble vers un horizon explosif. Le mot « Ladies » n’est pas anodin et marque déjà une certaine respectabilité envers ces héroïnes que l’on ne connait pas encore. Et au moment d’entrer dans cette fournaise, nul doute qu’elles vont l’affronter bien équipées. Lecture de cette magnifique couverture faire, il est temps de découvrir ce que nous offre ce premier volet de Ladies with guns

« Klunk ». Une onomatopée traduisant le bruit lourd d’une cage en fer en mouvance vient perturber le festin d’un vautour. Probablement vexé d’avoir été dérangé dans son dépeçage, le rapace s’éloigne précipitamment du cachot retenant prisonnière une silhouette féminine. Progressant tant bien que mal vers la forêt, la jeune fille ne se doute pas encore qu’un regard gourmand suit délicieusement la pénible avancée de son potentiel déjeuner.

LES OPPOSÉES ÇA TIRE

Cette première page de Ladies with guns donne immédiatement le ton d’une tension palpable qui sera ressenti tout au long de ce récit. Nous faisons donc connaissance avec la première, et la plus jeune, des cinq héroïnes. Abigail est en fâcheuse posture. Emprisonnée dans cette cage, elle doit se débarrasser d’une horde de coyotes affamés. Malgré sa témérité et une pugnacité étonnantes, il faudra l’aide d’un coup de fusil tiré au loin pour que la meute se résigne à lâcher sa proie.

Le salut d’Abigail vient de l’arme tirée par Kathleen Parker, une nomade partie de Londres qui vient tout juste de perdre son mari. La conquête de l’Ouest lui tendait les bras, mais son passage dans le territoire indien en a décidé autrement. Désormais veuve, Kathleen ne garde de son passé récent que ses bonnes manières et un mystérieux tonneau de sel auquel elle tient particulièrement. Mais pour l’heure, ses préoccupations sont doubles : délivrer Abigail de sa prison ambulante en obtenant le soutien de Chumani, une amérindienne surgit de nulle part sans être une coïncidence. Pour cela, l’autochtone devra mettre en veille sa vengeance née de l’attaque de sa tribu, qui a entraîné la mort de son frère.

COUP DE FLINGUE A NOTTING HILL

Autour de ce trio féminin unit par le fruit du hasard, va se greffer deux autres rencontres aussi improbables que précieuses. Il y a d’abord Daisy McCormick, une institutrice retraitée, robuste et qui a manifestement soif de tranquillité. Pour autant, l’entrée tonitruante de Kathleen dans le drugstore où elle était en plein ravitaillement, suffira à éveiller sa nature altruiste et ainsi sortir de son confort de sédentaire. Enfin, la dernière protagoniste répond au nom de Cassie Coltrane. La prostituée reste la plus énigmatique des cinq ladies. Discrète, voire impassible, Cassie semble suivre le mouvement dans le seul but de quitter la ville.

Une fois les présentations faites, le décor est bien planté. Quatre femmes que tout oppose par des vies totalement différentes vont rassembler leurs forces autour d’Abigail. La délivrer de sa cage deviendra un symbole d’une liberté menacée pour chacune d’entre elles. Pour la conserver, elles devront faire face à des situations musclées et détonantes.

LADIES WITH GUNS OU LA RÉVOLTE DES FEMMES

Pour cette nouvelle série imaginée par Olivier Bocquet, d’aucuns s’attendraient à un western traditionnel et qualitatif puisqu’emmené par le splendide trait d’Anlor. Ils auraient en partie raison. Car bien évidemment, lorsque la dessinatrice d’A coucher dehors dégaine à nouveau son crayon, on ne peut qu’avoir la certitude d’une partie graphique nourrie d’une sensibilité qui lui est propre et qu’on aime tant. Mais ce qu’il faut absolument mettre en exergue est bien l’originalité du scénario du créateur de Frnck.

Si tous les codes du genre sont respectés (la poussière, le saloon, l’alcool, la violence, l’atmosphère anxiogène, la maison à l’écart de la ville, les indiens, les embuscades…), il y a cette différence notable. Le héros n’est pas un homme. Pire ou mieux, les hommes sont tous des salopards. Face à eux, ce n’est pas une, deux, trois mais bien cinq femmes qui vont leur voler la vedette ! Terminé les institutrices ou pourvoyeuses de plaisir éprises du cow-boy dont la tête est mise à prix. Dans Ladies with guns, ce sont elles qui portent les armes, ce sont elles qui se défendent, ce sont elles qui ont soif d’aventure. Ces dames-là ont toutes un passé qui auraient pu les déconstruire. Mais c’est sans compter sur leur incroyable force mentale.

L’ÉMOTION DANS LE CRAYON

Et pour illustrer cette aventure dotée de personnages féminins si charismatiques, O. Bocquet n’est certainement pas passé à côté de ceux crées par la diplômée de L’EnsAD (on pense pêle-mêle à Asia, Amédée, Ekaterina ou encore Katyusha). Anlor était donc la dessinatrice qui pouvait s’emparer de ces héroïnes en développant leurs forces mêlées à leurs faiblesses. Comme à son habitude, elle leur donne beaucoup d’expressivité dans leurs regards et attitudes. De sorte que le lecteur repère chacune d’entre elles notamment en identifiant naturellement leurs traits de caractère.

Et même si c’est la première fois qu’elle s’aventure dans l’illustration d’un western, Anlor semble s’être parfaitement appropriée son ambiance poussiéreuse et suffocante. Comme un film à la Tarantino, la dessinatrice installe le récit, crée une tension lourde jusqu’à l’explosion inéluctable. Mention spéciale à toutes ces onomatopées qui décrivent le bruit infernal des scènes d’action. Tout comme ces découpages de cases qui semblent vouloir sortir des pages tant leurs contenus « éclatent » de tous les côtés.

UNE COULEUR DANS TOUT SES ÉTATS

Un autre fait inédit d’Anlor pour cet album, c’est que mises à part la première et quatrième de couverture, elle ne s’est pas occupée de la couleur. Elvire de Cock s’en est brillamment chargée. Que ce soit pour les ambiances crépusculaires, celles d’un combat intense et sanglant ou encore cette double-page où deux scènes se succèdent cases à case, la coloriste apporte un panel de nuances sur lesquelles il faut absolument s’attarder tout au long de ces soixante-quatre pages.

Ce premier tome de Ladies with guns est digne d’intérêt pour de nombreux points. Si on devait n’en garder qu’un, ce serait cette agréable sensation que ces cinq femmes marquent déjà leur empreinte dans l’univers transpirant et irrespirable de ce western palpitant.

Article posté le dimanche 03 avril 2022 par Mikey Martin

Ladies with Guns (Dargaud) de Bocquet & Anlor, un western violent porté par des héroïnes écorchées. Premier tome décrypté par Comixtrip, le site BD de référence
  • Ladies with Guns, tome 1
  • Scénariste : Olivier Bocquet
  • Dessinatrice : Anlor
  • Coloriste : Elvire de Cock
  • Éditeur : Dargaud
  • Prix : 16,00 €
  • Parution : 14 janvier 2022
  • ISBN : 978-2205087338

Résumé de l’éditeur : L’Ouest sauvage n’est pas tendre avec les femmes… Une esclave en fuite, une indienne isolée de sa tribu massacrée, une veuve bourgeoise, une fille de joie et une irlandaise d’une soixantaine d’années réunies par la force des choses. Des hommes qui veulent les maintenir en cage. Des femmes qui décident d’en découdre, et ça va faire mal. Ladies with guns est l’histoire de la rencontre improbable entre des femmes hors du commun refusant d’être des victimes. Un western iconoclaste et jubilatoire où rien ne vous sera épargné.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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