L’âge d’or

Petit bijou narratif et graphique, L’âge d’or est sans nul doute l’une des plus belles bandes dessinées de cette rentrée. Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa imaginent une somptueuse fable médiévale entre complots, tensions et combats épiques. Formidable chanson de geste féministe, elle emporte le lecteur dans un âge sombre du Moyen-Age. Sublime !

Tilda promise au trône

Dans des temps troublés où la faim est présente chez les plus démunis, le roi Armand est au crépuscule de sa vie. A son chevet, Tilda sa fille aînée est désignée comme sa successeure au trône. Cette désignation n’est pas du goût de tout le monde, notamment des plus anciens conseillers de Armand mais aussi son épouse.

Il faut dire que la future reine est plus au fait des sujets du royaume et de leurs difficultés du quotidien. Elle recadre là un seigneur voulant encore augmenter les impôts sur ses terres, là des conseillers trop présents.

Jeune adulte à la santé fragile, elle a souvent prise d’étourdissements mais elle peut compter sur Tankred et Bertil, ses deux fidèles alliés. Ce dernier la connait depuis sa tendre enfance où ils aimaient s’amuser dans les jardins du château.

Tilda expulsée du château

Alors que tous les seigneurs ont été invités au sacre de la reine, Tilda vient se recueillir devant la dépouille de son père.

« Calmez-vous ma sœur… Posez cette dague derrière laquelle vous êtes bien seule, je le crains et agenouillez-vous devant votre roi. »

Tous les vassaux viennent de prêter allégeance au frère de Tilda. Ce complot fomenté par sa propre mère déstabilise la reine déchue. Le nouveau roi étant trop jeune, le royaume est confié à un régent jusqu’à ce que le souverain soit capable de régner seul.

Tilda est alors jetée dans un carrosse-prison afin d’être bannie du royaume. Mais c’était sans compter sur la loyauté de Tankred et Bertil, venus la sauver. Après un combat sanglant, la jeune femme est libérée mais fortement blessée. Le trio emprunte alors les chemins de l’exil…

L’âge d’or : sublime fable médiévale

Si l’on peut lire L’âge d’or comme une épopée médiévale classique, le récit imaginée par Roxanne Moreil regorge de mille et une thématiques et c’est cela qui plait à sa lecture. Pour son premier scénario, l’ancienne étudiante en Histoire des Arts et ex-libraire, touche juste. Le lecteur le sent, cet album a connu une longue maturation pour connaître sa forme définitive.

Les mots sont recherchés et pesés, la documentation solide. La scénariste – elle coprésida la Maison Fumetti – propose un vrai livre politique. Si l’intrigue se déroule dans un Moyen-Age non-daté, les échos sont très actuels. L’âge d’or est une fable sur le pouvoir, les complots et les trahisons.

Dans une interaction permanente avec son compagnon – il a aussi participé au scénario – Roxanne Moreil utilise ce coup d’état pour parler de féminisme. En effet, dans le royaume de France, il était impossible pour une femme d’accéder au trône (la fameuse loi salique qui réglemente la succession au Trône de France, écartant les femmes). Les codes sont alors inversés dans L’âge d’or faisant d’une très jeune femme, l’héritière. En étant bannie, elle devient alors l’héroïne de ce premier opus. Malgré une santé chancelante, le lecteur la découvre forte, engagée, prête au sacrifice et véritable meneuse d’hommes. Nous pouvons donc la qualifier de « preuse chevaleresse ».

L’âge d’or : donner la parole aux femmes et aux plus pauvres

Si la religion catholique – ici absente pour ne pas brouiller le récit – a régenté la vie des Hommes; elle a surtout  imposé le patriarcat à la société; les femmes étant voué à la procréation et à la tenue du foyer. Dans les hautes sphères de la société, cela était moins oppressant, certaines étaient lettrées. La reine déchue est ainsi le symbole de rébellion au pouvoir des hommes. Sans trop en dévoiler, la communauté de femmes qui recueille Tilda et ses deux fidèles chevaliers, est elle aussi un endroit étonnant; un lieu de vie paisible et de savoirs.

Donner la parole aux femmes était donc central dans L’âge d’or. Cette fable très politique mais d’une rare justesse fait aussi la part belle aux plus démunis. Les scènes des trois pauvres hères confirment cette volonté des deux auteurs de leur rendre honneur. Il faut dire que les guerres, la famine et les épidémies ne les ont pas épargné. Si Tilda semble proche du bien-être de ses sujets, cela semble encore qu’une utopie tant le pouvoir seigneurial est fort. L’on pense aussi aux révoltes de paysans au Moyen-Age dans certaines campagnes françaises, réprimées dans le sang par les seigneurs locaux.

De la force de la partie graphique

Lorsque que le lecteur prend en main l’album, tout de suite il est subjugué par une partie graphique de haut vol dévoilée par Cyril Pedrosa. Après Auto-bio, Sérum ou les superbes Les Equinoxes et Portugal, l’auteur natif de Poitiers confirme son statut de très grand dessinateur avec L’âge d’or.

Ancien élève de l’Ecole des Gobelins et intervalliste aux studios Disney (sur le Bossu de Notre-Dame puis Hercule), cela se ressent dans ses merveilleuses pages. Cet enrichissement professionnel lui permet d’imprimer beaucoup de mouvements à ses personnages, notamment dans les scènes de combats ou parfois dans leur cheminement intra-vignette comme le faisait admirablement Fred.

Nous le connaissions formidable coloriste, cela se confirme avec ce premier tome. Il élève encore le niveau de son dessin et de ses couleurs. Il s’est inspiré de tissus, de fresques et de tapisseries médiévales pour réaliser ses planches. Il y a aussi un travail proche des enluminures ou encore des Très riches heures du duc de Berry. D’abord traitées à l’encre, ses planches sont rehaussées par des couleurs sous Photoshop. Par ce magnifique travail, le lecteur ressent même les matières des costumes ou des arbres de la forêt.

Après ce premier volume absolument merveilleux, l’on a hâte de découvrir la suite et la fin de L’âge d’or, un diptyque qui démarre de façon magistrale. Puissant, passionnant et fascinant !

Article posté le jeudi 13 septembre 2018 par Damien Canteau

L'âge d'or de Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa (Dupuis/Aire Libre) - Comixtrip
  • L’âge d’or, tome 1/2
  • Scénariste : Roxanne Moreil
  • Dessinateur : Cyril Pedrosa
  • Editeur : Dupuis, collection Aire Libre
  • Parution : 07 septembre 2018
  • Prix : 32€
  • ISBN : 9791034730353
Résumé de l’éditeur : Après l’autobiographique Portugal et l’intimiste Les Équinoxes, Cyril Pedrosa signe avec Roxanne Moreil au scénario L’âge d’or, une épopée flamboyante dans un Moyen Âge politique et enchanté. Il était une fois au château du bois d’Armand, un roi mourant et son héritière désignée, sa fille aînée la princesse Tilda. Hélas, un complot ourdi par l’infâme éminence Loys de Vaudemont l’écarte du trône au profit de son petit frère. La révolte gronde dans le royaume. Exilée, Tilda s’évade et projette de reconquérir le pouvoir en partant à la recherche du trésor secret qui consumait son père à la fin de sa vie.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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