L’appel

Les attentats de novembre 2015 ravivent de douloureux souvenirs. Depuis le massacre survenu au siège de Charlie Hebdo, de nombreux auteurs/dessinateurs ont éprouvé le besoin de se libérer d’un poids, lourd à porter seul. Plusieurs bandes-dessinées touchantes sont pour l’attester. L’appel apporte une nouvelle vision. Avec cette œuvre, Laurent Galandon et Dominique Mermoux, créent un point de départ. À l’image d’un adolescent aux portes de la radicalisation, et de sa mère qui assiste, à distance, à la transformation de son fils. L’appel ou l’interminable attente de Cécile. Pour espérer sauver Benoît.

L’ATTENTE DE L’APPEL

Fin août 2014. L’époque où Cécile reçoit cette vidéo dévastatrice. Dans laquelle elle apprend de la bouche de son unique fils qu’il est en Turquie, et pas en Ardèche pour faire du rafting comme il l’avait laissé croire. Non, après un discours froidement serein, Benoît laisse sous-entendre un départ imminent vers la Syrie.

Face à cette effroyable nouvelle, on comprend rapidement que c’est une mère courage qui se présente à nous. Même laissée dans  l’expectative tout au long du récit, elle ne flanche pas, ne s’effondre pas. Son premier réflexe est d’aller trouver Sofiane, son ex-compagnon de six ans durant. Ce dernier la rassure et conforte certainement son idée première. Attendre. Il allait rappeler et elle pourrait le ramener à la raison et à la maison…

LE COMBAT D’UNE FEMME

Mais hors de question pour elle de rester les bras croisés. On la suit ainsi dans ses investigations qui vont l’amener à entrer dans la vie privée de Benoît. Son ordinateur reformaté, ce sont les causes de sa rupture avec sa dernière petite amie qui vont mettre la puce à l’oreille de Cécile. Benoît a deux grands amis. À eux trois ils forment les trois « B », et se réunissent souvent devant leur passion commune, la boxe. Bien que Bilal ne puisse pratiquer ce sport pour raisons de santé, il est toujours présent. Un soir, en sortant de l’entraînement ensemble, Benoît sera témoin d’une belle bavure policière dont Bilal fera les frais. Ce sera l’élément déclencheur du destin de Benoît.

UN SEUL GRAIN DE SABLE

Car ensuite, vont très vite s’enchaîner les découvertes autour de Bilal. De la bouche du troisième ami, Baakari, Cécile découvre comment Bilal est devenu un gamin attiré mais d’abord méfiant par les messages d’un certain Abou Muhajir. Jusqu’à ce que son discours devienne de plus en plus convaincant. Il n’aura pas le temps de se faire complètement endoctriner…

Les conséquences directes du dénouement de la vie de Bilal sont implacables pour Benoît. Ce dernier, dont l’enfance aura été quelque peu bouleversée connaîtra l’équilibre nécessaire pour malgré tout s’épanouir. Avec la boxe notamment, et l’éducation de sa mère, il revendique le respect et ne supporte pas l’injustice. L’acte pour lequel il est témoin va irrémédiablement le conduire à une révolte envers la société. Le doigt mis dans l’engrenage, il est persuadé avoir fait le bon choix.

Cécile va tout tenter pour le « réveiller ». Cette femme, qui n’abdiquera jamais, usera de tous ses indices trouvés pour aller personnellement le chercher. Ce personnage en devient très captivant. Notamment grâce à l’imperturbabilité dont cette femme fera preuve. Du début à la fin.

PAS DE MORALE

L’un des intérêts majeurs de cette œuvre tient du fait qu’elle ne porte aucun jugement. Laurent Galandon maîtrise parfaitement son récit. À tel point que cette histoire imaginée nous semble être tellement probable. En utilisant des protagonistes issus de différents milieux sociaux, le scénariste démontre que cela peut arriver à n’importe qui. Il tient également à intégrer ces planches informatrices dont certaines laissent un goût vraiment amer.

Au dessin, Dominique Mermoux semble porté par l’histoire. Les niveaux de gris collent parfaitement à l’ambiance du récit. Les expressions faciales de chaque personnage sont très parlantes. Tout comme les nombreuses cases sans phylactères si éloquentes. On lui connaissait cette sobriété dont il se sert encore brillamment dans l’appel. N’oublions pas la couverture de ce one shot où le dessinateur traduit de belle manière ce côté oppressant jusqu’à la calligraphie du titre des plus évocatrices.

UN ESPOIR À NOURRIR

À la fin de cette œuvre, se dégage une multitude d’émotions. Sans qu’on puisse en mettre une en avant. Si ce n’est être comme Cécile et se battre à tout prix. être plus fort qu’un discours, par amour. Même si cela semble déjà trop tard. On ne naît pas terroriste, on le devient… Ce qui laisse, entre temps, une chance d’y échapper. Certes, Laurent Galandon n’offre pas  clairement cet optimisme, mais au travers de son héroïne, il pousse le lecteur à réfléchir en ce sens.

Article posté le lundi 28 novembre 2016 par Mikey Martin

L'Appel de Galandon & Mermoux (Glénat), une fiction si réelle décryptée par Comixtrip le site BD de référence
  • L’appel
  • Auteur : Laurent Galandon
  • Dessinateur : Dominique Mermoux
  • Couleur : Dominique Mermoux
  • Éditeur : Glénat
  • Prix : 17,50 €
  • Parution : novembre 2016

Résumé de l’éditeur : Pour Cécile, mère célibataire, ce devait être un matin comme les autres. Sauf que Benoît, son fils, n’est pas là. À sa place, un message vidéo dans lequel il annonce être parti faire le Djihad en Syrie auprès de ses « frères » de l’État Islamique. Il lui dit qu’il est heureux, qu’elle n’a pas à s’inquiéter. Il promet de l’appeler… Cécile est sous le choc, elle n’a rien vu venir. Elle a besoin de comprendre : comment son fils, qui n’était même pas croyant, a-t-il pu se radicaliser aussi vite ? Qui sont les responsables ? Et pourquoi ne s’est-elle rendue compte de rien ? Interrogeant ses amis, ses connaissances, elle part en quête du moindre indice. Mais le soir, seule, chez elle, ne reste que le silence de l’attente. Les yeux rivés sur son téléphone, elle attend son appel. Celui qui lui redonnera peut-être espoir.Fiction d’un réalisme social saisissant, L’Appel est à la fois un roman graphique sur la radicalisation des jeunes, et un récit sur l’incompréhension : celle d’une mère face aux choix de son fils, qui fait écho à celle de notre société face à ce phénomène qui la frappe en son cœur.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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