Le Canard Enchaîné, 100 ans

Voilà un siècle que l’hebdomadaire satirique brocarde les puissants de ce monde à travers ses articles et ses dessins. Un beau livre lui rend hommage.

NÉ AU CŒUR DE LA GUERRE

Le Canard enchaîné, c’est une exception à plus d’un titre… D’abord parce qu’il est né deux fois. Au coeur de la première guerre mondiale, en 1915, pour cinq numéros seulement, puis en 1916, fondé par un certain Maurice Maréchal,  » anarchiste de coeur, de colère et de mots « , journaliste excédé par la propagande officielle de l’époque et par les va-t-en guerre. Ensuite par son exceptionnelle longévité et sa belle santé financière. Pour fêter dignement cet alerte centenaire, les éditions du Seuil publient un gros et beau livre sobrement intitulé  » Le Canard enchaîné, 100 ans, un siècle d’articles et de dessins « .

CAPACITÉ A RIRE ET A S’INDIGNER

Ennemi de toutes les censures, des bourrages de crâne, des abus de pouvoir et des mensonges d’Etat, le célèbre volatile paraissant chaque mercredi ne vit que de ses lecteurs, et, autre fait notable, sans publicité. Un gage d’indépendance et de liberté qui lui confère une certaine crédibilité. Car même brocardés à longueur de colonnes, dans les caricatures et les dessins proposés, les responsables politiques et les puissants rechignent bien souvent à voler dans les plumes du journal. C’est cet esprit gouailleur et frondeur que restituent les auteurs de cette volumineuse anthologie, Laurent Martin, professeur d’histoire et l’écrivain-journaliste Patrick Rambaud, à travers un choix  de plus de 2000 articles et dessins.

ESPRITS LIBRES

C’est aussi ce siècle d’esprit(s) libre(s) qui est ici restitué. Le journal a tout connu. Des crises internes, des clivages politiques ( mais seulement quatre directeurs ) la censure, l’espionnage ( la fameuse et fumeuse affaire des « micros  » dans les années 1970 ) des drames aussi, dont le plus récent, la mort tragique d’un de ses piliers, Cabu, en janvier 2015.  Au final, l’impertinent promène toujours sa belle santé dans le paysage d’une presse en crise et flirte chaque semaine avec les 400.000 exemplaires.

De Barrès à François Hollande en passant par le général De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac et Sarkozy, le journal aura eu de nombreuses têtes de turc, subtilement croquées par de nombreux et talentueux dessinateurs de presse. Les Cardon, Delambre, Kiro, Kerleroux ou aujourd’hui encore les Pétillon, Bouzard et Lefred-Thouron savent rendre d’un trait de plume, d’un sourcil arqué ou d’une ombre portée toute la force d’un visage ou le ridicule d’une attitude. Proche du pouvoir pour être bien informé mais suffisamment à distance pour ne pas s’y brûler les ailes, l’hebdo aura sorti quelques affaires retentissantes au cours de ces dernières décennies, de la fameuse feuille d’impôts de Chaban-Delmas aux diamants de Bokassa mais aussi l’affaire Papon…

Ces 600 pages organisées de manière chronologique plongent le lecteur dans l’histoire mouvementée de ces deux derniers siècles. La vie politique française y occupe évidemment une large place mais aussi les grands sujets qui ont traversé ou traversent encore la société, des guerres au colonialisme en passant par les media, les femmes, le foot, la religion…

Avec l’humour et la satire chevillées au corps, le palmipède a fait sienne cette devise: « Tu auras mes plumes, tu n’auras pas ma peau « .  Une belle histoire que relate Patrick Rambaud avec le « Roman du Canard »,  une centaine de pages incluses dans ce joli pavé. 

Article posté le jeudi 22 décembre 2016 par Jean-Michel Gouin

Le canard enchaîné 100 ans (Seuil) décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Le Canard Enchaîné, 100 ans
  • Auteurs : Patrick Rambaud et Laurent Martin
  • Editeur : Seuil Beaux Livres
  • Prix : 49 €
  • Parution : Octobre 2016

Résumé de l’éditeur. Né dans le fracas de l’été 1916, en pleine Première Guerre mondiale, Le Canard enchaîné fait clairement le choix, dès son premier numéro, de rire et faire rire de ce qui est à pleurer : « Mon premier mouvement, quand je vois quelque chose de scandaleux », répétait son fondateur Maurice Maréchal, « est de m’indigner, mon second mouvement est d’en rire. C’est plus difficile, mais autrement plus efficace. »Bataillant contre toutes les censures, contre les « bourrages de crâne », les intolérances, les abus de pouvoir, et les mensonges d’état, le journal, fidèle à cette ligne, a traversé gaillardement un siècle d’histoire en n’épargnant aucune autorité. Il est resté indépendant n’appartenant qu’à ses salariés. « L’hebdomadaire satirique paraissant le mercredi » ne vit depuis cent ans que de ses lecteurs. Sans publicité, il a su sauvegarder, sous trois Républiques, les moyens d’une indépendance économique et donc d’une liberté qui font aujourd’hui figure d’exception. Cette liberté de moyens et de ton confèrent à l’hebdomadaire que de Gaulle nommait « Le Volatile » sa force et sa crédibilité, y compris auprès des puissants qui, chaque semaine, y sont brocardés.C’est de cet « esprit Canard», désormais séculaire, que plus de deux mille articles et dessins réunis dans ce livre retracent l’histoire. De son côté l’écrivain Patrick Rambaud, chargé d’assurer la chronique d’un siècle de Canard, a choisi d’en faire un roman, riche d’anecdotes savoureuses et de personnages hauts en couleur.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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