Le monde à tes pieds

Dans un roman graphique soigné, Le monde à tes pieds, le jeune dessinateur espagnol Nadar dresse le portrait de trois trentenaires malmenés par la crise économique. Chronique d’une génération sacrifiée à laquelle on avait promis un avenir radieux.

CARLOS, DAVID ET SARA

C’est l’histoire d’un malaise. Et celui d’une génération. Dans l’Espagne des années 2010, on vit de moins en moins bien. En 2008, après des années où l’immobilier tirait la croissance dans le pays, la crise économique touche le monde et atteint de plein fouet la péninsule ibérique. Le marché se retourne, le chômage explose. Les plus jeunes, même les plus diplômes, paient les pots cassés. C’est dans ce contexte que Nadar, jeune lui aussi (il est né en 1985) situe l’histoire de ses trois personnages, Carlos, David et Sara, dans Le monde à tes pieds. Ils ne se connaissent mais partagent la même inquiétude des lendemains incertains…

  • Carlos est ingénieur. Il vit avec Diego, kinésithérapeute, et vend des vêtements dans une boutique quand il se voit proposer un emploi à sa mesure. Mais pour cela il lui faudra partir, à Tallin, en Estonie. Au détriment de son couple…
  • David est au chômage depuis quatre ans. Il vit chez sa mère. Quand il décroche enfin un entretien d’embauche qui ne débouche sur rien de concret, c’est la déception. Alors, pour gagner de l’argent, son ultime recours sera de répondre à une annonce dans les journaux:  » Femme mûre recherche sexe. Je paye. 6268… » La relation avec sa « cliente » s’avère rapidement sans issue. Il dira bientôt son fait à cette bourgeoise essentiellement préoccupée par le règlement de son divorce et la sauvegarde de son train de vie. La mère de David, contente qu’il ait enfin trouvé un travail de « commercial » ne saura rien de ses activités d’escort boy.
  • Sara est une brillante étudiante promise à un bel avenir. Mais pour l’heure elle est employée dans un centre d’appels et vend des assurances-vie. Elle vit avec Nico, un graphiste. Ils ont du mal à joindre les deux bouts. Elle rêve d’une vie meilleure. Des trois personnages dépeints dans ce tableau de l’Espagne contemporaine, elle est l’un des rares personnages à mettre des mots sur la révolte d’une génération sacrifiée, contrainte de vivre dans la précarité …

LA PEUR DU DÉCLASSEMENT

Malgré leurs différences (chacun réagit à sa manière aux difficultés financières qu’il doit affronte) les trois personnages principaux partagent la même inquiétude latente. Désespérant de connaître un jour l’aisance et le confort d’un avenir assuré, ils partagent cette fameuse peur du déclassement. Le concept est savamment développé dans une postface confiée au chercheur Philippe Lemistre, qui analyse d’un point de vue sociologique le positionnement des trois personnages.  Selon lui,  » les crises économiques amplifient le déclassement, mais n’en sont pas la raison principale pour les diplômés « . Il avance d’autres arguments  tels que le concept de « files d’attente pour l’emploi « .

Dans ce roman graphique à l’esthétique soignée, un graphisme réaliste à l’américaine, le dessinateur espagnol Nadar (déjà auteur de Papier Froissé, Futuropolis) signe une histoire attachante et aux visées universelles. Chacun au final se bat avec ses armes dans la quête du bonheur personnel même s’il lui faut un temps l’abandonner au profit de la survie…

Article posté le jeudi 30 mars 2017 par Jean-Michel Gouin

Le monde à tes pieds de Nadar (Comixtrip) décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Le Monde à tes pieds
  • Scénario et dessin : Nadar
  • Editeur : La Boîte à bulles
  • Prix : 20 €
  • Parution : mars 2017

Résumé de l’éditeur. Chronique de l’Espagne contemporaine en trois chapitres, Le Monde à tes pieds se penche sur le malaise de trois existences. Celle de Carlos — ingénieur surdiplômé contraint d’émigrer en Estonie au détriment de son couple — de David — chômeur depuis 4 ans et dont la seule opportunité financière devient une femme mûre en mal d’amour — et de Sara — promise à un brillant avenir mais finalement devenue une démarcheuse téléphonique  aux ressources insuffisantes… Ils ne se connaissent pas mais partagent le même mal-être, les mêmes ressentiments, les mêmes vies éclaboussées par l’échec.

 

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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