Le quatrième mur

Corbeyran et Horne adaptent le livre Le Quatrième Mur, de Sorj Chalandon, en bande dessinée. Un récit dur et âpre. Mais étonnamment, le dessin adoucit la violence de l’œuvre originelle.

Faut-il encore présenter Sorj Chalandon? L’ex journaliste de Libération, aujourd’hui  au Canard Enchainé, enchaîne depuis une dizaine d’année les livres coup de poings plus ou moins inspirés de sa vie et de ses expériences de grand reporter. Des livres jamais très gais, mais toujours extrêmement puissants. Le quatrième mur, sorti en 2013 et lauréat du prix Goncourt des Lycéens, ne dérogeait pas à la règle. Le livre mêlait histoire et Histoire, et proposait au lecteur un diamant noir, beau, dur et impitoyable.

Du théâtre en zone de guerre

L’histoire? C’est celle de George, metteur en scène et militant antifasciste pas forcément très futé, qui se retrouve un peu malgré lui à Beyrouth en guerre, à tenter d’organiser une représentation du Antigone d’Anouilh avec des acteurs venus des différents camps qui se tapent dessus à longueur de journée. C’est un beau projet, idiot et utopique comme une fable, le genre de projet qu’on voudrait voir triompher de la guerre, pour donner une bouffée d’air et d’espoir le temps d’une heure. Mais Le quatrième mur n’est pas une fable. Tout comme le Antigone d’Anouilh, c’est une tragédie avant tout.

Scènes coupées et récit épuré

La réussite du livre, c’était sa gestion des symboles. Ce quatrième mur, métaphore théâtrale désignant la frontière invisible séparant acteurs du public. Cette scène où le narrateur servait bien malgré lui de soutien à un fusil d’assaut sur fond de poésie. Cette autre scène où son chauffeur lui apprenait à répartir ses laissez-passer, l’un contre son cœur, l’autre contre son cul, en fonction de ses accointances avec les forces en présence. Cette fin faisant écho, à la fois sur la forme et sur le fond, avec le Antigone d’Anouilh…

Des scènes qui, malheureusement, disparaissent dans la bande dessinée. Corbeyran a dû faire des choix, qui parfois frustreront les lecteurs qui connaissent le livre. Sa vision de l’histoire, néanmoins, n’est pas dénuée d’intérêt. Sorte de version light, adaptation centrée sur l’essentiel.

Un dessin fantastique sur une histoire réaliste

Cette version BD, on lui reprochera aussi, paradoxalement, d’être encore trop bavarde. Trop littéraire. Tant qu’à adapter en bande dessinée, autant le faire à fond et oublier les phrases de base, aussi belles soit-elles, penseront certains.Car c’est peut-être dans sa plus belle réussite que cet album se loupe aussi le plus: il ne laisse pas suffisamment parler les images d’Horne, le dessinateur. Horne que l’on découvre ici avec un trait très différent de celui auquel il a pu habituer les lecteurs de Le Maitre du jeu ou de Réincarnations. Là où il mettait un trait réaliste sur des histoires fantastiques, il fait ici l’inverse, plaquant un dessin fantastique sur une histoire réaliste. Du noir et blanc, des traits de crayons et de pinceaux, des visages découpés à la serpe: le parti-pris graphique est tranché et bien pensé, laissant à l’imagination le soin d’animer les parts d’ombres.

Le quatrième mur version BD, c’est donc cet étrange objet: séduisant physiquement et graphiquement, mais peut-être pas aussi puissant que ne l’était le livre. Ceux qui ont déjà lu Sorj Chalandon resteront peut-être un peu sur leur faim. Le autres trouveront là une belle porte d’entrée dans l’œuvre d’un grand auteur contemporain, et un roman graphique superbement mis en scène.

 

 

 

 

 

Article posté le mardi 18 octobre 2016 par Thierry Soulard

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  • Le quatrième mur
  • Auteur : Sorj Chalandon
  • Scénariste: Corbeyran
  • Dessinateur: Horne
  • Éditeur : Marabout
  • Prix : 17,95€
  • Parution : 19 octobre 2016

Résumé de l’éditeur :  L’idée de Samuel était belle et folle : monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé. Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m’a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l’a fait promettre, à moi, le petit théâtreux de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m’offre brutalement la sienne.  (Sorj Chalandon)

À propos de l'auteur de cet article

Thierry Soulard

Thierry Soulard est journaliste indépendant, et passionné par les relations entre l'art et les nouvelles technologies. Il a travaillé notamment pour Ouest-France et pour La Nouvelle République du Centre-Ouest, et à vécu en Chine et en Malaisie. De temps en temps il écrit aussi des fictions (et il arrive même qu'elles soient publiés dans Lanfeust Mag, ou dans des anthologies comme "Tombé les voiles", éditions Le Grimoire).

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