Le sentier des reines

Avec Le sentier des reines, Anthony Pastor propose un nouvel album fort et réaliste qui retrace le parcours de deux femmes dans la France d’après 1914.

EN L’ABSENCE DES HOMMES

En 1920, la Savoie est un morceau de territoire qui a lui aussi payé un lourd tribut à  » la Grande Guerre » . Nombre de ses hommes ne sont pas revenus vivants des champs de bataille, laissant aux femmes l’accomplissement de tâches et des responsabilités qui n’étaient pas les leurs auparavant. C’est dans ce décor et ce contexte que se situe Le sentier des reines, superbement dessiné par Anthony Pastor, auteur d’albums déjà remarqués comme  Castilla drive  ou Bonbons atomiques.

MARCHER DANS LA NEIGE

Parce que la guerre leur a pris leurs hommes, Blanca Dupraz et sa belle-fille Pauline décident un jour de quitter leur village savoyard perdu dans les montagnes enneigées. Elles emmènent avec elles Florentin, un jeune orphelin, un mulet et des objets de mercerie qu’elles comptent revendre au long de leur chemin. Les deux femmes vont disparaître pendant la messe qu’on donne au village en hommage aux hommes disparus. Commence alors pour le trio un long road movie qui va les mener des Alpes jusqu’à la Normandie.

La route est semée d’embûches. il y a d’abord la neige, omniprésente avec ses risques d’avalanche, le froid et les mauvaises rencontres. C’est ainsi qu’apparaît Félix Arpin, un ancien poilu, ivrogne et qui semble en vouloir à leur argent. Ce dernier dit avoir été l’ami du mari de Pauline et partagé avec lui la vie des tranchées. Ce dernier n’aura de cesse de les suivre, à distance, pour récupérer une montre en or qu’il aurait prise   sur un cadavre avec le mari…

UNE FICTION HISTORIQUE

Les deux femmes finiront par trouver le bon chemin. Tout d’abord celui de la probité (près de Rouen) où elles iront rendre la montre à une autre veuve, éplorée. Les deux héroines es de cette histoire le sont moins. On ne les voit pas en pleurs, se morfondant dans le souvenir de leurs maris perdus mais pleines d’un idéal de liberté. Figures fortes, elles incarnent une soif d’émancipation (Blanca lit des revues féministes et se prend à rêver qu’un jour les femmes pourront voter …; Pauline, encore jeune, croit encore à la force de vie…Bientôt d’ailleurs elles prendront le large.

 » Cette aventure, explique Anthony Pastor dans un cahier graphique en fin de volume, ne s’inspire pas de faits réels, mais j’ai tenté de l’inscrire au mieux dans la réalité d’une époque ». On comprend par exemple que si les femmes ont pu le temps de la guerre, s’émanciper en prenant la place des hommes, elles l’ont une fois celle-ci terminée, à nouveau perdue.

En France, elles seront vite de nouveau cantonnées dans un rôle de mères qui doivent repeupler la nation. Elles devront ainsi attendre 1944 pour obtenir le droit de vote, à l’inverse de leurs soeurs britanniques ou allemandes (1918).

Côté graphisme, cet album est aussi une belle réussite. Pastor sait croquer les gueules et les trognes avec un réalisme saisissant, y ajoute des lumières rasantes ou aveuglantes qui transcendent ses décors. On croit jusqu’au bout à cette histoire de deux reines en quête d’évasion.

Article posté le jeudi 29 octobre 2015 par Jean-Michel Gouin

  • Le sentier des reines
  • Auteur: Anthony Pastor
  • Editeur: Casterman
  • Prix: 20 euros
  • Parution: octobre 2015

Résumé de l’éditeur : Savoie 1919. Blanca et Pauline ont attendu toutes la guerre le retour de leurs hommes. Lorsqu’ils rentrent enfin, miraculeusement sains et saufs, c’est pour périr aussitôt dans une avalanche. C’en est trop, elles décident de quitter leur montagne, emportant avec elles Florentin, un orphelin de 11 ans. Commence alors une grande aventure, et, à travers elle, une véritable interrogation de la condition des femmes dans cette époque charnière des années 1920.
Le chemin sera initiatique, de manière totale et profonde; le parcours : social, politique, spirituel et humain.

  • Le sentier des reines
  • Auteur: Anthony Pastor
  • Editeur: Casterman
  • Prix: 20 euros
  • Parution: octobre 2015

 

Un autre avis sur l'album

Le sentier des reines est un très beau roman graphique signé Anthony Pastor. Belle fresque historique, il est solidement documenté comme le montre le mini-dossier de 6 pages adossé à l’album. L’auteur de Las Rosas (Actes sud/ L’an 2, 2010) y précise qu’il s’est beaucoup appuyé sur Le poids de la guerre, les poilus et leurs familles après 1918 (Dominique Fouchard, PUF, 2013) ou encore Les femmes au temps de la guerre de 14 (Françoise Thébaud, Payot&Rivages, 2013).

Son récit est avant tout fondé sur une histoire de femmes, Blanca et Pauline. Les deux ayant perdu leur mari pendant la Première Guerre Mondiale ou dans une grave avalanche en 1923. Obligées de se débrouiller seules, elles survivent dans leur petit village montagnard de Savoie. Si la vie est rude, les villageois se serrent pourtant les coudes. Peuple voyageur, les Savoyards vont travailler dans d’autres régions en été, certains mêmes s’installeront en Argentine (voir La fabuleuse odyssée de l’exil des Savoyards en Argentine, Claude Chatelain, La fontaine de Siloé, 2001) comme le père de Blanca.

Alors qu’une messe annuelle est dédiée à leurs maris, les deux femmes s’enfuient de leur village avec Florentin, un jeune adolescent orphelin, et un âne La plus âgée emporte une grande malle contenant des objets de mercerie,afin de vendre les objets. C’est le début d’un long voyage, à travers les montagnes, en ville. Les trois personnages si solitaires allant de maison en maison, chez des cousins ou des connaissances. Dure au mal, Blanca se fera même un ennemi, Arpin, un ancien soldat en guenilles et souvent alcoolisé, qui s’accrochera à elle comme un véritable puce.

Ce périple de 120 pages est merveilleusement raconté, notamment par des rebondissements variés et fréquents. En plus de ce voyage, il est question d’émancipation des femmes, de lecture et de relations humaines fortes. Le trait réaliste d’Anthony Pastor lui permet de restituer les émotions fortes des personnages (des cadrages serrés très réussis) mais aussi toute la rudesse des hivers montagnards.

Damien Canteau

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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