Le silence de l’ombre

Lorsque l’on perd un être cher, rien n’est jamais simple. Nao, inconsolable, est surtout très en colère. Mais sa maman lui raconte le deuil dont elle fut touchée plus petite. Xavier Bétaucourt et Élodie Garcia dévoilent Le silence de l’ombre, un album intelligent et puissant édité par Jungle.

Un cœur qui lâche, un cœur qui se brise

Au milieu de la forêt, une charmante maison en bois est pleine de vie. Le grand-père de Nao le pousse sur une balançoire. Rien n’est plus beau qu’un garçon de 10 ans jouant avec son papi.

Mais le cœur du vieil homme s’arrête. Le temps s’arrête. Une crise cardiaque fauche en plein vol le grand-père de Nao. Le cœur du petit garçon se brise lui aussi…

De la colère contre la mort

Lors des funérailles, Nao est inconsolable. Tout est nul. Qui pourra lui raconter des histoires maintenant ? Qui jouera avec lui ?

« Et toi, maman, pourquoi tu n’as rien fait ? »

A 10 ans, lorsqu’une personne qu’on aime par-dessous tout disparait, on est en colère contre la mort et contre la terre entière. Nao est en colère. Et même contre sa propre mère. Qu’a-t-elle fait ? Rien. Et surtout : pourquoi ne pleure-t-elle pas ?

La boîte aux secrets

Pour tenter de consoler son fils, Aiko la maman commence à lui raconter une histoire, son histoire, celle de Naora, sa sœur adorée qui est décédée alors qu’elle était plus petite.

La mère de Nao avait, elle aussi, les mêmes questions, la même colère contre son père qui n’avait rien fait pour sauver sa fille.

« Je suis seule… toute seule… »

Aiko s’endort, toujours aussi triste. En pleine nuit, sans faire de bruit pour ne pas la réveiller, un gros ours dépose une boîte à secrets sur sa table de chevet. Le lendemain, elle l’ouvre, chausse les lunettes trouvées à l’intérieur et lit un message des plus mystérieux : « Si tu es perdue… »

Le silence de l’ombre : surmonter un deuil

Surmonter ses émotions lors d’un deuil n’est jamais simple. Comme l’explique Aiko, tout le monde ne réagit pas de la même façon lorsqu’un être cher disparait. Pleurs infinis, colère ou intériorisation, rien n’est prédéfini. Rien n’est mauvais ou juste. Tout s’entend, se comprend et se conçoit.

Pour tenter d’apaiser les souffrances de son fils, Aiko lui parle du décès de sa propre sœur. Un parallèle saisissant parce que la petite fille avait à peu près le même âge que Nao lorsqu’elle perdit sa sœur et lui son grand-père.

Une personne âgée qui décède, c’est le cycle de la vie. Une petite fille qui décède, c’est cruel et injuste. Pourtant, les émotions sont identiques, vives et à fleur de peau.

Un récit fantastique tout en délicatesse

Afin de conter cette souffrance pour les jeunes lecteurs, Xavier Bétaucourt et Elodie Garcia, au scénario, choisissent de faire basculer son récit dans le fantastique. L’auteur du Grand A, Trop vieux pour toi et Monsieur le commandant et la dessinatrice plongent Aiko dans un univers proche de celui d’Alice au pays des merveilles. Créatures et animaux doués de parole sont acculés par de terribles ombres noires. Quant à la petite fille, elle suit un chemin qu’elle ne doit jamais quitter pour sa sécurité.

On apprécie cette douceur des êtres fantastiques qui se fracasse à la froideur de ces êtres difformes et gribouillés.

Le scénariste avait déjà abordé le thème de la mort et de la fin de vie dans le bouleversant Quelques jours à vivre, un récit sur une unité de soins palliatifs ; un récit pour les adultes. Dans Le silence de l’ombre, il navigue dans un univers féerique. Il n’oublie pas d’y glisser de l’humour, comme la vie le veut – pleurs et rires – pour créer des sas de décompression dans une histoire à la thématique sombre.

Un superbe dessin très vivant

Lors de la lecture, on aime aussi la belle justesse des relations entre le grand-père et Nao, mais aussi entre le petit garçon et sa mère et enfin celles entre Aiko et Naora sa soeur. Nao / Naora, sans doute pas un hasard pour les prénoms de ces deux personnages, comme un fil conducteur. Malgré le deuil et les décès, il y a beaucoup de vie dans Le silence de l’ombre. Il y a beaucoup de petites joies de vie, un sourire, un rire et des paroles réconfortantes.

Cette vie est admirablement mise en image par Élodie Garcia. L’autrice, dont c’est le premier album publié, réalise de magnifiques planches. On apprécie son bestiaire, les créatures volantes de la page 32 comme l’ours tout doux et protecteur. Les expressions des yeux sont d’une belle justesse.

Le silence de l’ombre : un très joli conte philosophique autour de la mort et des souffrances du deuil. Une belle histoire pour entamer un dialogue entre adulte et enfant sur ces thématiques jamais simples à aborder.

Article posté le dimanche 28 août 2022 par Damien Canteau

Le silence de l'ombre de Xavier Bétaucourt et Elodie Garcia (jungle)
  • Le silence de l’ombre
  • Scénaristes : Xavier Bétaucourt et Élodie Garcia
  • Dessinatrice : Élodie Garcia
  • Editeur : Jungle
  • Prix : 19,95 €
  • Parution : 20 janvier 2022
  • ISBN : 9782822234078

Résumé de l’éditeur : Nao est inconsolable, il vient de perdre son grand-père et ne l’accepte pas. Aïko, sa maman, a vécu un chagrin identique lorsqu’elle était une petite fille. Elle emmène alors son fils dans son monde imaginaire, là où elle a combattu l’ombre, une créature qui voulait geler son coeur. Commence alors un voyage fantastique qui aidera le jeune garçon à accepter la disparition de son grand-père.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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