L’envol

Décédée prématurément à l’âge de 37 ans, Kuniko Tsurita fut une très grande mangaka. Les éditions Atrabile lui rendent hommage en publiant L’envol, un magistral recueil de ses histoires réalisées entre 1965 et 1981.

Kuniko Tsurita, une mangaka parmi les plus grands

Née en 1947, Kuniko Tsurita débute sa carrière dès l’âge de 18 ans. Cette mangaka précoce fut publiée pour la première fois dans la fameuse revue Garo en 1965 alors qu’elle n’est pas encore professionnelle : chose inhabituelle pour être soulignée.

Dans ce magazine avant-gardiste, elle côtoie tous les plus grands auteurs de cette époque : Shigeru Mizuki (NonNonBa), Yoshiharu Tsuge (L’homme sans talent), Shohei Kusonoki (Peuple invisible), Yoshihiro Tatsumi (Rien ne fera venir le jour) mais également Sanpei Shirato (Seton dōbutsuki).

Première femme a avoir été publiée dans Garo, Kuniko Tsurita fut ainsi l’équivalent de ces illustres auteurs masculins. En quinze ans, elle réalisa des centaines de pages, la faisant entrer dans ce Hall of Fame du manga. Mais en 1985, elle meurt prématurément, laissant derrière elle une œuvre forte et surprenante que les éditions Atrabile mettent en lumière dans L’envol, un recueil de très grande qualité.

L’envol : 30 histoires, 496 pages et des univers divers

Pour la première fois en langue française, les histoires de Kuniko Tsurita sont compilées dans un très bel album. Une trentaine de récits sont au programme de ce manga de 496 pages. Mis en perspective par Léopold Dahan (traduction et postface), ils empruntent des genres très divers, de la science-fiction à la chronique sociale, en passant par l’autofiction ou la poésie.

Si ces premières histoires sont assez proches graphiquement et narrativement de celles du maître Osamu Tezuka, elle s’en éloigne rapidement pour emprunter son propre chemin. La science-fiction lui permet d’aborder des thématiques contemporaines de ces années 1960-1970.

Les genres bousculés

Si aujourd’hui l’on parle beaucoup des genres (femme, homme, non-binaire, non-genré…), Kuniko Tsurita était en avance sur son temps en abordant déjà ce thème. Ainsi, elle ne voulait pas se contenter de réaliser des récits féminins pour les femmes uniquement mais voulait s’adresser à tout le monde. Ses personnages ne sont parfois pas identifiables comme femme ou homme. Elle n’hésite d’ailleurs pas à parler d’amours homosexuelles entre femmes.

Ses histoires sont féministes, sont avant-gardistes mais également intimistes. Elle puise dans son histoire personnelle pour raconter ses histoires.

Ode à la littérature française

Dans L’envol, les récits courts de Kuniko Tsurita mettent en lumière de grands auteurs français. Ainsi, elle révèle son amour pour la littérature de chez nous. Elle fait référence à Raymond Radiguet (Le diable au corps) mais aussi de Lautréamont (Les chants de Maldoror). La mangaka s’immisce ainsi plus vers des histoires poétiques et oniriques.

Alors qu’elle apprend sa maladie, ses récits s’orientent (consciemment ?) vers des thématiques plus sombres autour de la maladie et de la mort (Le quotidien de Yuko, La femme acrobate). Sont aussi présents le suicide et l’alcoolisme.

Avec L’envol, le public français découvre une autrice japonaise majeure, entrant elle aussi au panthéon des mangakas nippones telles Yumiko Igarashi (Candy), Riyoko Ikeda (La rose de Versailles), Rumiko Takahashi (Maison Ikokku), Moto Hagio (Le coeur de Thomas) ou Miyako Maki (Mashūko banka).

Article posté le samedi 19 juin 2021 par Damien Canteau

L'envol de Kuniko Tsurita (Atrabile)
  • L’envol
  • Autrice : Kuniko Tsurita
  • Traducteur : Léopold Dahan
  • Editeur : Atrabile
  • Prix : 30 €
  • Parution : 14 mai 2021
  • ISBN : 9782889231010

Résumé de l’éditeurDisons-le comme on le pense : la publication du travail de Kuniko Tsurita, complètement inédit en français, est un événement en soi, aussi bien pour ses qualités intrinsèques que pour sa valeur patrimoniale. L’Envol présente sur 496 pages un panorama, si ce n’est complet, en tout cas très représentatif de l’oeuvre de Kuniko Tsurita, et la trentaine d’histoires qui composent ce recueil montrent ainsi l’évolution d’une artiste au parcours et au profil atypiques, et dont le travail, profondément ancré dans son époque, se rattache en grande partie au mouvement du gekiga. Réalisées entre 1965 et 1981, ces histoires (plus ou moins) courtes dessinent aussi en creux le portrait d’une artiste en prise directe avec son époque; des histoires de science-fiction en vogue dans les années 60 à des récits aux accents autobiographiques, de moments plus expérimentaux et poétiques aux interrogations franchement politiques et féministes, L’Envol nous permet de découvrir une des voix les plus singulières, et attachantes, du manga d’auteur. Souvent présentée comme étant «la première femme à avoir été publiée dans Garo» (revue de bande dessinée d’avant-garde aujourd’hui défunte, et ayant publié des auteurs majeurs comme Yoshiharu Tsuge, Shigeru Mizuki, Yoshihiro Tastumi, Sanpei Shirato, etc.) Kuniko Tsurita livrera hélas une oeuvre qui s’étalera tout juste sur une quinzaine d’années. Publiée précocement dès l’âge de 18 ans déjà, Kuniko Tsurita décède prématurément en 1985, à 37 ans.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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