Les pizzlys

Une fratrie quitte Paris pour les grandes plaines d’Alsaka. Plus de téléphones portables, plus de confort, juste l’immensité des espaces sauvages où Les pizzlys, croisement d’ours rôdent. Après les merveilleux La saga de Grimr et Le discours de la panthère, Jérémie Moreau imagine un album entre relations humains/animaux, dérèglement climatique et quête d’identité. Émouvant et brillant !

Les Pizzlys, de la force de l’émotion

Jérémie Moreau est un auteur que l’on suit, que l’on voit évoluer, s’épanouir au fil des albums. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il commence vraiment à compter dans le monde du 9e art. Né en 1987, il remporte le prix de la bande dessinée scolaire du festival d’Angoulême en 2005, puis le prix jeunes talents cinq ans plus tard toujours lors de l’événement angoumoisin.

Les lecteurs découvrent un dessinateur de grand talent grâce au Singe d’Hartlepool avec Wilfrid Lupano. Il signe ensuite un diptyque réussit sur le tennis avec Max Winson. Il enchaîne avec Tempête au haras, son incursion dans les univers de la bande dessinée jeunesse. Mais son premier coup de poing, c’est La saga de Grimr, une sublime épopée en Islande. Si Penss et les plis du monde nous avait moins convaincu, Le discours de la panthère nous avait réconcilié avec son œuvre.

Aujourd’hui, avec Les Pizzlys, il renoue avec ses thèmes de prédilections : l’écologie, le dérèglement climatique, les relations entre les hommes et les animaux. Une histoire intime et humaine d’une rare force narrative et graphique. Nathan dérive et entraine avec lui son frère et sa sœur, jusqu’à quand ?

A force d’Uber, plus de courage

Nathan est un jeune majeur chargé de famille. Il doit s’occuper de Zoé et Etienne, sa petite sœur et son petit frère. Pour subvenir aux besoins du foyer, il n’a pas d’autre choix que d’être chauffeur Uber. Les yeux rivés sur la route et son téléphone portable, il slalome entre les voitures de la capitale.

Alors que son téléphone ne fonctionne plus, il croise Annie dans une boutique de réparation de mobiles. La vieille femme lui demande alors de l’emmener à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Mais dans un moment hors de son corps, la voiture de Nathan finit sa course dans un poteau. C’est la fin. Les deux se retrouvent alors aux urgences.

Partir pour un ailleurs meilleur

Nathan propose alors à Annie de l’héberger pour la nuit. Après une tension entre les frères et sœurs, le vieille dame lui soumet l’idée de partir avec elle en Alaska.

« Je ne rigole pas. Passer son enfance ici est un crime. La ville est toxique. Elle vous rend tous malades. Tu as des trous dans ton esprit. Et eux ? Ils ne savent même plus regarder avec les yeux. Venez dans la forêt. J’ai une petite cabane là-bas. Je vous apprendrai comment vivre. »

C’est décidé, la petite famille de Nathan accompagne Annie. Née en Alaska, la vieille femme a suivi un Français à Paris. Mais après quarante ans, elle repart dans son pays natal.

Annie et les pizzlys

Le trajet est long. Entre l’avion et un voyage en voiture, les quatre arrivent enfin chez Annie. Sa maison de bois n’a pas changé en quarante ans. Ses amis se sont chargés de l’entretenir. Ils savaient qu’un jour, elle reviendrait.

Mais le spectacle de ces grandes plaines n’est plus ce qu’il était. Les glaces fondent très vite, les oies migrent plus tôt que d’habitude et les pizzlys se rapprochent dangereusement des habitations. Le pizzly est une hybridation entre un grizzly et un ours blanc. S’ils sont rares, leur multiplication est due au réchauffement climatique…

Eblouissant, brillant et déstabilisant

Je ne dis pas que quelques-uns d’entre-vous pourront verser une larme sur des planches des Pyzzlis, je dis juste que cet album de Jérémie Moreau est brillant. Il imagine une histoire humaine et intimiste pour aborder des thématiques de plus en plus prégnantes de nos jours.

Le lauréat du fauve d’or de la meilleure bande dessinée en 2018 pour La saga de Grimr parle d’héritage, d’exode rural, de coutumes qui s’effilochent, de force des esprits, de dépression et de la force de la nature.

Rien n’est plus fort et intelligent qu’un scénario de Jérémie Moreau lorsqu’il est aussi bien écrit, ficelé et fait de peu de mots. Flamboyant, son récit nous fascine, nous surprend et nous donne quelques uppercuts de ci, de là. Il nous interroge sur notre propre rapport à la nature.

Quand dérive le climat

Les Pizzlys est puissant notamment dans ses questionnements autour de l’environnement. Alors que le climat se réchauffe, que l’on connait de plus en plus de périodes de canicule, que la banquise fond à vue d’œil et que les ouragans sont plus nombreux ; tout cela amène leur lot de désolation : exil climatique, famine et morts par milliers, l’album de Jérémie Moreau arrive à point nommé pour nous faire réfléchir sur ces thèmes. L’inaction climatique et une génération faite d’éco-anxiété, tout est là, près de nous mais rien n’est fait pour entrer dans la sobriété.

Mais là où l’auteur est intelligent, c’est qu’il ne fait pas de grands discours moralisateurs et n’est pas péremptoire. Il montre juste la vérité des choses. Pour cela, il met en scène Nathan, un jeune garçon pressé de réussir pour faire famille. Il a la pression. Cela le fait dériver, comme dans une dépression. Il y a Etienne pragmatique et vrai chasseur et Zoé qui devient amie Genee dont le père sombre dans l’alcool. Et Annie, vraie grand-mère pour eux trois. Rien n’est laissé au hasard dans les relations humaines. Tout est simple, parfois dur mais tellement juste.

Les Pizzlys, couleurs hypnotiques

Sans oublier des moments d’humour, Jérémie Moreau suit le fil de la vie entre rêve et réalité. Les rites païens, les croyances et le chamanisme lient les personnages des Pizzlys.

Le tout bénéficie du talent graphique de l’auteur du Suicidaire altruiste. Les couleurs sont parfois irisées soulignant le bleu du ciel ou le rose fluo qui fait s’élever Nathan. Elles rehaussent des planches numériques dont les compositions sont d’un rare enchantement. Jérémie Moreau parvient à nous faire ressentir les sensations et les émotions de ses personnages avec des double-pages grandioses ou des plans serrés sur les visages.

Les pizzlys : un album émouvant et intelligent. Le monde s’écroule sous nos yeux mais il y a de l’espoir. Et si la reconnexion entre l’homme et la nature était la solution ?

Article posté le dimanche 18 septembre 2022 par Damien Canteau

Les pizzlys de Jérémie Moreau (Delcourt)
  • Les pizzlys
  • Auteur : Jérémie Moreau
  • Éditeur : Delcourt
  • Prix : 29,95 €
  • Parution : 05 octobre 2022
  • ISBN : 9782413040811

Résumé de l’éditeur : Sillonnant Paris jour et nuit au volant de sa BMW à crédit, Nathan enchaîne les courses Uber pour subvenir aux besoins de ses frères et soeurs. Faisant littéralement corps avec son GPS, Nathan plonge dans un vide assourdissant quand son portable tombe en panne. Suite à un accident, Annie, sa dernière cliente, lui propose de partir vivre en forêt avec Zoé et Etienne au fin fond de l’Alaska.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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