Les visés

Les visés. En 1966, un jeune étudiant perpétrait l’un des premiers meurtres de masse aux Etats-Unis. Les auteurs Thomas Gosselin et Giacomo Nanni retracent dans un album hors normes la trajectoire morbide de cet assassin et questionnent la notion de culpabilité.

Un enfant intelligent

Un visage poupin d’enfant aux cheveux blonds coupés en brosse.  A l’âge de 22 ans, sur une photo noir et blanc, les traits de Charles Whitman, souriant devant l’objectif, n’ont guère changé. On dirait un enfant de choeur ou presque… Diagnostiqué 138 à l’âge de 6 ans à un test de QI (on dirait aujourd’hui enfant précoce) le jeune Charles Whitman est entré dans l’histoire de son pays, les Etats-Unis, de la pire manière qui soit, le sang et les larmes.

Son parcours dans la vie, aussi court qu’il fut, aura pourtant marqué les esprits. C’est ce parcours, jalonné par la violence, que retracent Thomas Gosselin et Giacomo Nanni dans Les Visés.

Fasciné par les armes

Au tout début des années soixante, le jeune Whitman sait ce qu’est une arme à feu, initié semble-t-il très tôt, comme ses frères, à leur maniement, par un père collectionneur.  Adolescent il est servant d’autel puis scout avant de s’enrôler à 18 ans dans le corps des marines des Etats-Unis. En 1966, ses parents divorcent. Un élément qui semble avoir agi comme un déclencheur chez ce dernier, dont le comportement change alors du tout au tout.

Prêt à mourir

Charles Whitman tenait un journal, en fait une série de carnets dans lesquels il consignait grands et petits événements de son existence. Il y transcrit notamment ses rêves, comme celui par lequel s’ouvre l’album. Perché sur le haut d’un immeuble, fusil à l’épaule, il croit qu’il tue le président Kennedy. Et puis il y a ces conflits avec ce père, ce mariage avec une jeune femme qu’il dit aimer mais qu’il frappe à l’occasion… Début 1966, tout un ensemble d’éléments semble se mettre en place pour libérer la vague de violence qui va submerger Whitman et faire de lui le premier mass murderer américain du vingtième siècle. « I am prepared to die » écrit -il dans une note retrouvée chez lui, « Je me suis préparé à mourir. Après ma mort, je souhaite qu’une autopsie soit effectuée pour voir si j’ai un trouble mental » . Annonce prémonitoire quand on sait qu’effectivement l’examen post mortem révéla que le meurtrier était atteint d’une tumeur près de l’hypothalamus qui l’aurait peut-être tué à brève échéance…

Seize morts et trente-deux blessés

Dans la nuit du 1 er août 1966 à Austin, peu après minuit, les événements se précipitent. Whitman tue d’abord sa mère puis sa poignarde sa femme avant de se diriger, bardé d’armes de toutes sortes, vers le bâtiment principal de l’université du Texas. Il s’installe sous les horloges de la grande tour et tire sans discernement sur les étudiants et les passants en contrebas. La tragédie dure une heure trente. Une heure trente pendant laquelle seize personnes seront tuées, trente-deux autres blessées. Au terme d’une longue fusillade, Whitman , alors âgé de 26 ans, sera tué à son tour.

Ce fait divers sera malheureusement le premier d’une longue série. Au fil des décennies qui ont suivi les Etats-Unis semblent en effet s’être fait une spécialité des tueries de masse. Celle de Whitman préfigure en effet d’autres tragédies (Université Virginia Tech en 2007, Orlando en 2016 ou Las Vegas en 2017 pour ne citer que les plus récentes) . Entre 1967 et 2017, on  a ainsi répertorié 146 fusillades de masse. Avec à chaque fois ou presque le même débat autour du port d’armes et de leur vente dans le pays… Avec Les Visés, Gosselin et Nanni ne tranchent pas ce débat. Ni moralisateurs ni complaisants, ils retracent les derniers moments de ce meurtrier.

Le dessin est naif, presque enfantin, avec des codes couleurs un peu rétro. Le tout est réussi mais glaçant…

Cet album, paru début 2018, fait partie des cinq titres retenus dans la sélection Fauve Polar SNCF 2019 du 46e Festival international de la BD d’Angoulême.

Article posté le lundi 31 décembre 2018 par Jean-Michel Gouin

Les visés
Auteurs : Thomas Gosselin et Giacomo Nanni
Editeur : Cambourakis
Prix : 22 euros
Parution janvier 2018
ISBN : 9782366243208

Résumé de l’éditeur : Cet album retrace la trajectoire de Charles Joseph Whitman (1941-1966), connu pour avoir commis un meurtre de masse le 1er août 1966 à l’université du Texas à Austin. Plongeant dans les notes du journal qu’il avait tenu au cours de sa courte vie, les auteurs suivent et reconstituent les faits marquants de son enfance jusqu’au jour fatidique : son éducation très religieuse, son engagement chez les scouts, sa fascination précoce pour les armes à feu, son engagement chez les Marines, l’affection qui le liait à sa mère et les conflits qui l’opposaient à son père… Ceci jusqu’à leur divorce, qui a agi comme un déclencheur chez le jeune Charles dont le comportement s’est trouvé profondément transformé. Au point qu’il perde pied, tue sa mère et sa femme et décide d’assassiner nombre d’anonymes depuis la tour de l’université d’Austin. Autant d’événements qui nous sont contés minute par minute, dans les pas du tueur, nous faisant partager l’angoisse des victimes et des forces de l’ordre tout en nous invitant à reconstituer a posteriori les explications psychologiques de ses folies. Un récit glaçant et haletant, qui fait écho aux meurtres de masse commis avec une régularité déconcertante depuis lors aux États-Unis et qui interroge la notion de culpabilité, d’intentionnalité. dans une esthétique un peu rétro parfait reflet de l’époque.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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