L’odeur des garçons affamés

Accompagné de Milton et de Stanley, Oscar, photographe parcourt les plaines du Texas au 19e siècle pour prendre des clichés des peuples indiens et découvrir aussi de nouveaux territoires. Loo Hui Phang et Frédérik Peeters dévoilent L’odeur des garçons affamés, un western fantastique étonnant, fort et addictif. Une pépite.

LE TEXAS POUR BATIR SON REVE

Texas, 1872. Juste après la Guerre de Sécession, le Gouvernement américain ouvre une campagne pour exploiter les terres inconnues à l’Ouest du Mississippi. L’ingénieur Stinley veut profiter de cette opportunité pour s’accaparer un immense terrain afin d’y créer une nouvelle société. Si cela semble plutôt aisé, il n’oublie pas les populations ancestrales qui y sont installées. Il faudra donc les expulser. Afin que cela ne se voit pas de trop, il utilise les services de Oscar Forrest, photographe. Pendant qu’il prend des clichés, l’homme d’affaires peut recenser avec précision les peuples rencontrés. Pour les aider dans leurs taches quotidiennes, le jeune Milton les accompagne.

LE PHOTOGRAPHE ET LE JEUNE ÉPHÈBE

Les deux accompagnateurs de Stanley ont accepté la mission notamment pour fuir leur quotidien et leur passé tumultueux. Photographe européen homosexuel dont le compagnon a disparu, Oscar doit se faire oublier des chasseurs de prime à ses basques, puisqu’il a escroqué des centaines de clients qui venaient à peine de se remettre d’un deuil de leur proche. En faisant apparaître le fantôme de ces derniers sur leur photographie – grâce à un procédé chimique et une juxtaposition – ils leur rendaient ainsi le sourire.

De son côté, Milton, jeune éphèbe très habile, cache un lourd secret. Troublé par Oscar, l’adolescent se rapproche dangereusement de lui…

L’ODEUR DES GARÇONS AFFAMES : NOUVEAU WESTERN

Quelle excellente idée ont eu les éditions Casterman que de signer L’odeur des garçons affamés ! Western d’un genre nouveau et d’une grande modernité, le récit de Loo Hui Phang attire le lecteur grâce  à une histoire intelligente, forte et à l’atmosphère électrique. La jeune scénariste – qui connait Frédérik Peeters depuis leurs débuts chez Atrabile notamment grâce à Bile Noire, un recueil d’histoires courtes – a proposé au dessinateur trois récits dont ce western en 2009. Alors que les années passent et que le dessinateur du remarquable Pilules bleues est accaparé par d’autres projets, Loo revient à la charge et l’album est alors mis en route.

SEXUALITÉ, FUITE DE SON PASSE ET PEUPLES INDIENS

Si l’art de la photographie est au cœur de L’odeur des garçons affamés, le récit de Loo Hui Phang met avant tout en lumière l’histoire de ces trois personnages qui fuit leur passé : Oscar, celui de la mort de son compagnon et sa petite entreprise d’escroquerie (mais aussi les chasseurs de primes). Il détonne un peu dans cette région aride : bien habillé, chaussures cirées, parfumé et tiré à quatre épingle. Milton, androgyne, malin et qui cache un drôle de secret. Stinley, chef d’entreprise aux mœurs douteuses, qui veut utiliser tous les moyens pour réussir, qui met en avant l’inégalité des races et qui incarne parfaitement le capitalisme débridé qui commence à naître aux Etats-Unis.

Tout compte fait, le western semble être un prétexte pour dévoiler une histoire humaine très forte entre ses trois protagonistes. L’apport du fantastique ajoute ce coté magnétique et chamanique au récit. Loo Hui Phang a voulu rendre hommages à ce genre car : « (elle) aime bien reprendre un genre pour en faire sortir des codes et les détourner. Le western, c’est en général une histoire d’hommes plongés en milieu hostile. Ce qui m’intéresse, c’est de reprendre ces éléments pour en faire autre chose. Je n’avais pas envie d’être servile par rapport au genre, mais de passer par le western pour raconter des choses intimes ». Et c’est ce qu’elle réussit admirablement.

Les grands espaces sauvages américains produisent paradoxalement : « un huis-clos à ciel ouvert, où l’environnement, le climat et les Indiens pourraient intervenir directement dans l’intrigue », souligne aussi la scénariste de L’art du chevalement (avec Philippe Dupuy, Futuropolis).

Subtilement, elle parle aussi de sexualité, d’homosexualité et de genre pour en faire un élément clef de l’album.

POUR LE DESSIN DU TALENTUEUX FREDERIC PEETERS

Les deux auteurs semblent en parfaite harmonie sur l’album. Les dialogues et situations sous-entendus, tout en délicatesse, font écho à une partie graphique de haut-vol. Frédérik Peeters – qui avait déjà goûter au western par le remarquable Les miettes (avec Ibn Al Rabin, Atrabile) – charme le lecteur par un trait d’une grande sensibilité mais surtout pour les visages des indiens et ses décors virevoltants. Loo Hui Phang lui permet de mettre en lumière son travail graphique à travers des planches muettes contemplatives d’une grande beauté. Ses belles couleurs envoûtent et participent à cette ambiance douce-amère du récit.

Haletant et accrocheur, L’odeur des garçons affamés subjugue, attire grâce à un récit sensible, subtil et intelligent mais aussi grâce à un dessin fort et envoutant. Electrique et magnétique ! Une perle ! Un des plus beaux albums de ce début d’année 2016 !

Article posté le mardi 19 avril 2016 par Damien Canteau

Remarquable album L'odeur des garçons affamés est signé Loo Hui Phnag et Frederik Peeters aux éditions Casterman, décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • L’odeur des garçons affamés
  • Scénariste : Loo Hui Phang
  • Dessinateur : Frédérik Peeters
  • Editeur : Casterman
  • Prix : 18,95€
  • Parution : 30 mars 2016

Résumé de l’éditeur : Texas, 1872. Oscar Forrest, photographe, répertorie les paysages de l’Ouest pour le compte du géologue Stingley. Entre Oscar et Milton, jeune garçon à tout faire du groupe, s’installe une relation ambiguë… Alors qu’autour de l’expédition, rôdent un inquiétant homme en noir et un Indien mutique. Stingley a conduit la mission aux portes d’une région hostile, dernier bastion de résistance des redoutables Comanches. Sur cette frontière lointaine, les limites entre civilisation et sauvagerie s’estompent. Un western intense où la Nature révèle les secrets les plus troubles.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

En savoir