Mata Hari

Depuis leur unique mais mémorable collaboration en 2013 avec Victor Hugo : aux frontières de l’exil, Esther Gil & Laurent Paturaud signent enfin leur retour en évoquant une figure toute aussi emblématique en la personne de Mata Hari. Celle qui est principalement réputée pour avoir été une espionne au profit de l’Allemagne durant la Grande Guerre, va se présenter sous un autre aspect. En effet, sans éluder son destin tragique, la scénariste va préférer se concentrer sur la vie de Margaretha Zelle dont les étapes l’amèneront à devenir Mata Hari. Avec une vision aussi romantique qu’inédite magnifiée par les planches envoûtantes de Laurent Paturaud.

DU RÊVE AU CAUCHEMAR

Les premières cases grises et brumeuses collent dramatiquement avec le dénouement qui se profile pour Mata Hari. Nous sommes le 15 octobre 1917. La jeune femme se présente face au peloton d’exécution. Son visage est aussi grave qu’impassible. Son refus de porter le bandeau devant les yeux traduit son courage jusqu’à l’acte final. Tout juste aura-t-elle le temps de voir les grands moments de sa vie défiler sous ses yeux et de nous les faire partager.

Lorsque ses souvenirs remontent vingt ans plus tôt pour l’amener sur les côtes néerlandaises, rien ne laissait entrevoir chez la jeune femme une destinée à l’issue aussi sombre. Mariée au capitaine MacLeod et maman d’un petit garçon, le bonheur se concrétisait un peu plus dans le décor splendide qu’offrait l’île de Java. Mais alors que tout semblait idyllique pour Margaretha la réalité sera bien plus rude au fil des mois. Même la naissance de sa fille ne calmera pas la tempête.

LA NAISSANCE DE MATA HARI

L’apaisement, elle le trouvera dans le Gandrung. Cette danse traditionnelle indonésienne qui s’exerce toute la nuit en hommage à une divinité. Happée par ce rituel local, Margaretha y trouvera un second souffle. Une révélation qui lui sera salvatrice tant le bonheur semble inexorablement lui échapper.

En 1902, le Paris de la Belle-Epoque lui tend les bras. Elle le sent, C’est le moment de devenir la femme libre et passionnée qu’elle n’avait jusqu’alors pas pu être. Désormais seule, elle va pouvoir montrer l’étendue de son talent de danseuse orientale. Et grâce à sa rencontre avec Emile Guimet, un collectionneur d’art réputé dans la capitale française, celle qui se faisait appeler Lady McLeod troquera ce nom par un pseudonyme bien plus séduisant. Ainsi va naître Mata Hari.

S’ensuivront quelques années où la belle néerlandaise sera en harmonie totale avec son corps et probablement avec ses ambitions financières. Le temps fera ensuite son œuvre et d’autres danseuses commenceront à lui voler la vedette. Ajouté au contexte historique de la première guerre mondiale, Mata Hari endossera un nouveau costume dont les fonctions l’étiquetteront rapidement d’espionne pour les allemands. Connue sous le code H-21, cette étape de sa vie sera la plus floue et en même temps celle qui scellera précipitamment son existence à 41 ans.

UNE SCÉNARISTE TRÈS IMPLIQUÉE

Lorsque Esther Gil s’éprend d’un personnage qu’elle admire et qu’elle décide de le mettre en scène en bande dessinée, on lui connaît cette (bonne) habitude à pousser très loin ses recherches documentaires. Ce qui lui permet d’être au plus près de son sujet, à tel point qu’elle s’autorise à mêler fiction et réalité des faits avec une rare fluidité.

Ainsi, avec son talent scénaristique, elle va « s’attaquer » à des monstres littéraires tels que Victor Hugo ou Jules Verne (dessiné par Carlos Puerta) et leur donner un profil inédit sans que le lecteur ne soit pour autant perdu tant elle les renvoie à leur Œuvre respective et mondialement connue.

Dans Mata Hari, Esther Gil nous démontre une nouvelle fois l’intérêt qu’elle a pour cette femme aux multiples facettes mais animée par une seule flamme : la passion. En parcourant les grandes étapes de sa vie, l’autrice survole le destin d’une femme devenue énigmatique par ce que la fin de son existence lui a réservée. Alors qu’elle n’aspirait qu’à une chose : trouver le bonheur dans sa forme la plus simple, la jeune femme devra faire face à la violence, la jalousie, et à la plus impossible épreuve donnée à une mère. Autant d’éléments qui écorneront ses projets de vie.

UN DESSINATEUR TRÈS INSPIRÉ

Pour leur seconde association, Laurent Paturaud confirme, s’il en était besoin, tout le contenu de son talent. Dès la couverture, il ne nous trompe pas sur la marchandise. L’héroïne est entre de bonnes mains. Pour avoir illustré le XIXe siècle dans son dernier album où Victor Hugo était son guide, nous savions que le dessinateur vouait un vrai engouement pour l’époque du romantisme. Pour Mata Hari, on peut y voir une certaine forme de continuité naturelle. Il ajoute une émotion de plus en plus palpable au travers de sa représentation graphique de la gente féminine. Il suffit de se délecter des apparitions telles que Juliette Drouet dans Victor Hugo… pour s’apercevoir que Mata Hari reçoit autant de respect dans l’émotion que dégage le visage du personnage.

On pourrait s’attarder sur les différentes époques relatées dans Mata Hari et superbement nuancées par Laurent Paturaud. On pourrait parler des ces doubles-pages pleines et splendides à regarder. On pourrait évoquer ce bel hommage (volontaire ?) à l’église de Notre-Dame. Il y a tant à dire dans le rendu graphique de cet auteur que le seul moyen de s’en imprégner à sa juste valeur est d’ouvrir cet album et ne pas en perdre une miette.

UNE HÉROÏNE AUX MULTIPLES FACETTES

C’est une nouvelle fois, un pari réussi pour E. Gil et L. Paturaud. Et lorsqu’on s’est intéressé au parcours de leur protagoniste et qu’on apprécie le travail de ces deux auteurs, on se dit que oui, la fabuleuse complexité de ce personnage était faite pour eux.

Au final, que l’on considère Mata Hari comme espionne, mythomane, courtisane, danseuse, voire manipulatrice, elle était surtout et d’abord une petite fille que son père considérait comme une princesse. Et toute sa vie, elle cherchera auprès de nombreux hommes cette même attention. Mais l’amour ne se présentant jamais vraiment, son éblouissante personnalité lui ouvrira d’autres portes qu’elle poussera fatalement.

Article posté le samedi 30 novembre 2019 par Mikey Martin

Mata Hari de E. Gil et L. Paturaud (Editions Daniel Maghen) décryptée par Comixtrip, le site BD de référence
  • Mata Hari
  • Scénario : Esther Gil
  • Dessin & couleur : Laurent Paturaud
  • Éditeur : Daniel Maghen
  • Prix : 16,00 €
  • Parution : 19 septembre 2019
  • ISBN : 978-2356740755

Résumé de l’éditeur : Par un matin d’octobre 1917, en pleine Première Guerre Mondiale, Mata Hari, convaincue d’intelligence avec l’Allemagne, est condamnée à mort par l’armée française. Celle qui ensorcela le Tout-Paris de la Belle-Époque grâce à son célèbre numéro d’effeuillage sur des danses orientales était-elle réellement coupable ? Mata Hari a-t-elle vraiment été un agent double ou a-t-elle servie de bouc-émissaire aux services secrets français ?

Ce récit, dont l’action commence à la toute fin du 19e siècle et se termine en 1917, a pour toile de fond les Indes néerlandaises et le Paris de la Belle-Époque. Il relate les trois grandes étapes de la vie de Margaretha Zelle, surnommée Mata Hari : son séjour avec son mari officier dans les Indes néerlandaises où elle s’initia aux danses indonésiennes, son retour en Europe et son ascension fulgurante en tant que danseuse orientale, puis son arrestation par les services secrets français pendant la Première Guerre Mondiale en tant qu’espionne au profit de l’Allemagne se concluant avec son procès qui aboutira à sa condamnation à mort. Cette histoire est entièrement basée sur des faits et personnages réels. Après leur succès « Victor Hugo, aux frontières de l’exil », Esther Gil et Laurent Paturaud adaptent avec talent et précision l’incroyable existence de Mata Hari.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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