Mauvaises Filles

Deuxième publications de l’auteure Ancco aux éditions Cornélius Mauvaises Filles exprime d’un beau dessin âpre la dureté de la condition adolescente dans la société sud coréenne à la fin des années 90. Un ouvrage incontournable sans concessions.

« Mon adolescence m’évoque des nuits très sombre, et une odeur particulière ».

En une phrase l’ambiance est posée. Nous sommes aux alentours de 1997, comme de nombreux pays asiatique la Corée du Sud subie une crise financière ravageuse. La misère gagne le pays et personne n’est épargné, pas même le père de Jin-Joo, petit entrepreneur en BTP. Personnage central des différentes histoires qui composent cet ouvrage, Jin-Joo est une sorte de double de l’auteure, Ancco, dont les expériences nourrissent le récit. Autour d’elle se déploient une galerie d’individus, ces Mauvaises Filles, qui chacune à leur façon portent un fardeau familial dont la violence est le point commun.

Le destin sur un fil

Dans la fumée de cigarette et les vapeurs d’alcool prohibé les adolescentes évoquent leurs vies brisées et imaginent des lendemains meilleurs enfin émancipées de leurs parents et professeurs. En témoigne l’aventure de Jin-joo, qui accompagné de son amie Jung-ae, découvrira à  l’occasion d’une fugue salvatrice le monde interlope des bars à hôtesses, la sensation de liberté et les promesses futiles de l’argent facile. A chaque page résonne en nous l’impression qu’un geste, qu’une rencontre ou qu’une décision prise à la hâte pourrais faire basculer à jamais le destin de ces jeunes filles maintenues sous la coupe stricte des adultes.

Une société violente

La violence, omniprésente dans les rapports humains, parait être la manière la plus simple et efficace de communiquer. Devenue la norme elle se transmet à travers l’échelle sociale. Brimades, sévices corporels, et coups sont le lot quotidien des ados sud coréen. Étonnamment, Ancco juge peu les protagonistes de son récit et semble ne ressentir ni acrimonie ni haine envers ceux qui l’ont pourtant sans cesse battue. Comme si les Hommes et femmes des ces tranches de vie n’étaient, peut être, finalement que des jouets cassés et la violence dont ils abusent une forme d’exutoire des peurs et des frustrations d’une société perdue entre tradition et modernité.

Une lueur d’espoir

Néanmoins, la construction de l’ouvrage, alternant passé et présent, permet à Ancco d’aménager quelques recoins d’espoir. On la retrouve dans son atelier où devenue dessinatrice elle porte la parole d’une jeunesse coréenne opprimée et silencieuse. Elle semble heureuse de pouvoir vivre sa vie comme elle l’entend malgré sa rude adolescence passée à encaisser ou à fuir les coups des adultes. Ainsi, l’optimisme point par moment, nuançant et enrichissant le propos de l’auteur en évitant de tomber dans le drame absolu. De plus, quelques superbes illustrations pleines pages permettent au lecteur d’effectuer des pauses plus réflexives laissant l’esprit vagabonder et se détacher d’une rude réalité.

Un dessin fin très évocateur

Le dessin sec tout en traits fins exprime clairement les blessures et les contradictions de cette adolescence vidée de son sens par la violence quotidienne de la société sud coréenne. Parfois contemplative, les planches alternent cases en fond noir ou blanc imprimant un rythme et une ambiance singulière à l’ouvrage. Les gestes lourds de sens et la position des corps apportent une réelle densité au récit. Mauvaises Filles est une BD subtile dont la beauté rêche subjuguante, éloignée des canons graphique du manhwa commercial rappelle bien volontiers le gegika japonais. Une œuvre essentielle dans la droite ligne des éditions Cornélius.

Article posté le jeudi 31 mars 2016 par Thomas Follut

Mauvaises Filles d'Ancco raconte d'un trait sec la condition adolescente en Corée du sud entre désillusions, violence et espoir d'un avenir meilleur aux éditions Cornélius, décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Titre : Mauvaises Filles
  • Auteur : Ancco
  • Éditeur : Cornélius
  • Parution : 24 Mars 2016
  • Prix : 20.50 euros
  • Résumé de l’éditeur : Jin-joo est une mauvaise fille. Elle fume, découche, nargue ses professeurs et cause du souci à ses parents. Son père, un petit patron, n’a que ses poings pour exprimer sa peur de la voir mal tourner. Alors il la passe à tabac, régulièrement. La Corée subit la crise économique de la fin des années 1990 et la violence demeure la forme la plus simple et naturelle du contact humain. Au collège, les professeurs cognent les élèves et les anciennes rossent les nouvelles. Dans l’in- différence générale, on meurt sous les coups d’un père ou d’un petit copain. L’adolescente trouve un peu de chaleur humaine auprès de Jung-ae, la fille d’un petit voyou, encore plus paumée qu’elle. Une fugue avortée les mène jusqu’au quartier des bars à hôtesses. Si la famille de Jin-joo la récupère, la rue avale Jung-ae, qui n’aura pas de seconde chance. Le ton âpre et désespéré d’Ancco évoque le Céline de Mort à crédit. Vivre, c’est expier. Un instant de bonheur, d’insouciance, se paie comptant. Les hommes mènent des existences lourdes, tristes et solitaires, qui se révèlent vides de sens. «Dès qu’on met le pied dehors, constate Jin-joo, c’est plein de choses incompréhensibles. » Après Auiourd’hui n’existe pas, publié par Cornélius en 2009, Mauvaises filles confirme le talent u ~ i q u e d’Ancco. La construction multiplie les allers-retours entre le passé et le présent. Servie par un trait sec et précis, un noir et blanc désolé, elle rend inexorable et bouleversant ce voyage au bout de la nuit coréenne.

À propos de l'auteur de cet article

Thomas Follut

Libraire et passionné par la BD sous toutes ses formes et dans toutes ses déclinaisons possibles (franco-belge, indé, roman graphique, comics, manga, fanzine) j'aurais à cœur de vous faire découvrir des ouvrages originaux et de qualités.

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