Préférence système

Un bébé élevé par un androïde, une censure des œuvres artistiques et un homme tentant d’en sauver quelques-unes, voilà Préférence système, l’univers créé par Ugo Bienvenu. Encore une petite pépite de l’auteur de Sukkwan Island.

Sous les fourches caudines de la censure

An 2056. Tout juste après avoir enterré son père, Yves est de retour chez lui. Il est archiviste au Bureau des Essentiels. Son travail consiste à apporter des éléments positifs afin de sauvegarder des pièces artistiques uniques . Il se rend chaque jour auprès de deux responsables des Prophètes afin de défendre au mieux ces films, romans et autres poésies.

Néanmoins, tous ne sont pas conservés. Il a donc décidé clandestinement de les sauver. Il le duplique sur une clef et les insère dans Mikki, son robot de compagnie.

Emy, son épouse, travaille aussi pour les Prophètes. Elle coupe les films, publicités et autres vidéos afin de les rendre présentables aux yeux du public. Elle censure, au grand dam de son mari, épris de liberté et de savoirs.

Mikky, robot-porteur de bébé

Emy est toujours autant furieuse contre Yves. Elle ne comprend pas ces « sauvetages » et a peur pour lui. D’autres personnes dans le même cas n’ont plus donné signe de vie après avoir été arrêtées.

En attendant, le couple devrait être heureux. Un bébé s’annonce. Mais au lieu d’Emy, c’est Mikki qui porte le bébé. L’androïde, dans la famille d’Yves depuis très longtemps, voit son ventre s’arrondir chaque jour.

Mais la menace des Prophètes se rapproche. La famille doit fuir…

Préférence système, « C’est l’histoire d’un robot qui va malgré lui sauver la beauté de l’humanité »

Après le magistral Sukkwan Island et le néanmoins aussi bon Paiement accepté, Ugo Bienvenu frappe encore très fort avec Préférence système ! Ce thriller d’anticipation est formidable, tant sur le fond que sur la forme.

Le réalisateur du clip Fog pour le groupe Jabberwocky (avec Kevin Manach) parle tour à tour de transmission, de paternité, de PMA, d’écologie et de nature.

Très moderne dans son propos, Préférence système fustige la censure et le pouvoir autoritaire dans cette très belle dystopie. Hymne aux arts, au cinéma, à la littérature et à la poésie, l’album glisse d’une simple histoire de couple à un thriller mené tambour-battant.

Dystopie glaçante

Alors que l’Humanité à besoin de solides fondations artistiques pour continuer sa progression, les Prophètes anéantissent toute velléité d’émancipation. L’art et la culture permettent de se forger un esprit critique;  trop dangereux dans un pouvoir ne laissant que peu de place aux libertés individuelles.

Sous couvert de trouver de l’espace libre dans les data-centers, ils exercent des coupes parfois étonnantes. Quid des poèmes de Rimbaud ou 2001 l’odyssée de l’espace ?

Si l’album peut sembler sombre par cette censure, il est lumineux dans sa deuxième partie, celle où Eve, la fille d’Emy et Yves grandit. Préférence système est donc un album engagé, politique, anticapitaliste et philosophique (la morale, la sensibilité, la mémoire, le temps ou la transmission).

Les planches d’Ugo Bienvenu nous enchantent comme dans ces deux précédentes publications. Les dessins très réalistes, distants et qui pourraient paraître froids, sont d’un modernisme absolu. Mikky et le bébé sont d’une grande richesse graphique. Si Trump avait un rôle dans Paiement accepté, Richard Anconina en trouve un dans cet album.

Préférence système : magistrale dystopie autour des arts ! A lire !

Article posté le lundi 07 octobre 2019 par Damien Canteau

Préférence système de Ugo Bienvenu (Denoël Graphic)
  • Préférence système
  • Auteur : Ugo Bienvenu
  • Editeur : Denoël Graphic
  • Prix : 23€
  • Parution : 03 juin 2019
  • IBAN : 9782207142219

Résumé de l’éditeur : Après le très remarqué Sukkwan Island et son premier album personnel, Paiement accepté, Ugo Bienvenu, auteur complet, figure de proue de la nouvelle animation, poursuit son exploration du futur. En 2120, le data est devenu si volumineux qu’il faut commencer à effacer des données. Toute archive frappée d’un visa d’élimination par le corps des « Prophètes », chargé d’opérer les choix cruciaux, doit être supprimée. Yves, archiviste humaniste du Bureau des Essentiels, ne peut s’y résoudre. Pour les sauver de l’oubli, il sauvegarde clandestinement certaines données, plus poétiques que politiques, et les rapporte chez lui pour les stocker dans la mémoire de Mikki, son robot domestique. Une infraction grave à l’éthique de sa profession. Les progrès de l’intelligence artificielle ayant par ailleurs permis de confier la charge de la gestation pour autrui (GPA) aux machines, Mikki, bot hermaphrodite, porte l’enfant d’Yves et Julia, son épouse.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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