Sabrina

Teddy  est au bord du précipice depuis que sa fiancée Sabrina a mystérieusement disparu. Pour surmonter cette épreuve, il trouve refuge chez Calvin, un ami d’enfance. Nick Drnaso imagine Sabrina, le très beau portrait d’une middle-class américaine trumpienne laissée de côté. Surprenant !

Trouver refuge

Teddy attend patiemment Calvin sur un siège dans un aéroport. Son ami d’enfance qu’il n’a pas vu depuis longtemps lui a proposé de venir habiter quelque temps chez lui afin de surmonter son chagrin : sa compagne Sabrina a disparu !

Sur le chemin de la maison, non loin du Mont Cheyenne dans le Colorado, Calvin tente de faire la conversation. Délicat avec un homme complétement perdu. L’hôte lui aussi n’est pas au mieux : sa femme et sa fille sont partis de la maison pour aller habiter très loin, en Floride. Seul, l’informaticien pour le compte de l’US Air Force, passe sa vie entre la télé, les flingues, la bière, les repas fast-food et la cellule psy de l’armée.

Sabrina assassinée ?

Les journées de Teddy se ressemblent : prostré dans la chambre d’ami, il erre, entre pensées complexes et besoins primaires. Calvin part tôt le matin et ne revient que tard le soir : un temps très long pour cet homme blessé.

Lorsqu’il est chez lui, le militaire tente d’entrer en contact avec son ami de lycée. Il lui parle de tout et de rien, fait ressurgir des souvenir mais cela ne suffit pas : ils sont côte à côte sans vraiment se parler.

D’autant que la vie de Teddy va basculer encore plus vers l’Enfer. Sabrina aurait été assassinée. Ce possible meurtre déchaine les passions et l’emballement médiatique est à son comble…

Portrait glaçant de la middle-class américaine

Après une année faste où il avait reçu le Fauve Révélation du Festival d’Angoulême et un Ignatz Award pour Beverly, Nick Drnaso la finit en beauté par une autre nomination dans la prestigieuse sélection officielle de la cité charentaise pour Sabrina. Auteur américain de moins de trente ans, il nous fascine par sa faculté de proposer un portrait fidèle et glaçant de cette middle-class laissée de côté.

En choisissant de faire se rencontrer deux hommes à la dérive, il peut parler de son Amérique, celle qu’il connait le mieux depuis sa tendre enfance.  Pêle-mêle, il peut aborder les thèmes de l’armement individuel, l’hyper-connexion, du complotisme, du pouvoir des images et de la nuisance des réseaux sociaux lorsqu’ils sont noyautés par une frange extrémiste. En effet, tout tourbillonne, tout s’accélère lorsqu’une rumeur prétend que Sabrina aurait été assassinée.

« presque tous les attentats terroristes sont mis en scène par le gouvernement qui rêve de dépouiller le peuple américain de sa liberté » [le présentateur du JT]

Rien de mieux d’incarner son histoire dans une ville moyenne, là où tout se sait et se déforme. Ce terreau favorable à Trump, aux conservateurs voire aux suprémacistes fait peur et glace le sang; comme l’histoire du Chicagoan. L’intelligence de Drnaso, c’est de ne jamais nommé le président des USA, ni de parler de politique frontalement. Mais le lecteur devine, sait où il est emporté.

Les tréfonds de l’âme humaine

Nick Drnaso soigne la psychologie de ses personnages. Deux êtres qui se sont connus mais n’arrivent pas à communiquer. Il explore avec minutie les tréfonds de l’âme humaine, entre névrose et burn out. Seuls, les deux n’arrivent même pas à s’épauler correctement. Le lecteur est presque gêné par cette non interaction entre eux. Il a mal de cette éloignement moral alors qu’ils sont si près physiquement. L’auteur américain dévoile aussi un récit où l’absence est un personnage principal. De Sabrina – fantôme qui flotte dans l’air – on ne sait pas grand chose; tout comme l’ex-compagne et la fille de Calvin.

Cette ambiance froide est rehaussé par un appartement où rien ne se passe, si vide, sans âme et sans décoration qui pourrait le rendre chaleureux. Cet endroit n’est qu’un lieu de passage, un lieu où Calvin ne fait que dormir, trop accaparé par son travail et son chagrin d’une fille trop lointaine. L’atmosphère de malaise est aussi renforcée par un dessin rigide, les personnages ont peu d’expression et les couleurs sont froides.

Sabrina vous surprendra par sa narration, ses propos très contemporains et ses dessins singulier !

Article posté le samedi 05 janvier 2019 par Damien Canteau

Sabrina de Nick Drnaso (Presque lune)
  • Sabrina
  • Auteur : Nick Drnaso
  • Editeur : Presque Lune
  • Parution : 13 septembre 2018
  • Prix : 25€
  • ISBN : 9782917897409

Résumé de l’éditeur : Séparé de sa femme et sa fille, Calvin accueille Teddy un ami d’enfance en dépression dont la petite amie Sabrina a disparu mystérieusement. Travaillant au sein de l’armée de l’air américaine dans un service informatique de décryptage de messages de hackers mal intentionnés, il découvre peu à peu les mensonges et suppositions qui parcourent les réseaux sociaux sur cette disparition. Un jour, le journal local reçoit une cassette vidéo sur laquelle Sabrina est tuée en direct par un homme cagoulé. Malgré ses images très vite présentes sur internet, cette tragédie est déformée par des théoriciens du complot dont les récits dégénèrent peu à peu. Sabrina montre avec une tension insoutenable et particulièrement dérangeante les ravages des « fakes news » aux USA. Après Beverly, récompensé du Fauve Révélation à Angoulême en 2018, Nick Drnaso confirme dans cette oeuvre vertigineuse son talent de grand auteur.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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