Scum

Dans Scum., la scénariste Théa Rojzman et le dessinateur Juan Bernardo Muñoz Serrano s’emparent de la vie mouvementée de Valérie Solanas, connue dans l’histoire contemporaine américaine pour une tentative d’assassinat sur Andy Warhol et figure du féminisme radical.

DANS LE NEW-YORK DES ANNÉES SOIXANTE

« Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu’à renverser le gouvernement, en finir avec l’argent, instaurer l’automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin… » Nous sommes à New-York en 1967. Une jeune femme de 31 ans, Valérie Solanas, vient d’écrire un texte incendiaire, Scum Manifesto, pamphlet radical remettant en cause tous les fondements de la société dont au premier chef le patriarcat.

Fuyant son New-Jersey natal et un père qu’on devine agresseur sexuel, elle vit dans  la rue, se prostitue pour survivre, fait de drôles de rencontres… Et rêve de devenir célèbre pour promouvoir ce livre qui elle l’espère changera peut-être la face du monde.

RENDEZ-VOUS A LA FACTORY

Pour qui veut faire parler de lui et briller, Greenwich Village est déjà « the place to be « . C’est là que débarque un jour cette Valérie Solanas, persuadée que la célébrité passe par cet endroit bohème et la fréquentation de ses vedettes… Parmi elles, il y a Andy Warhol, et sa Factory, un atelier d’artistes ouvert depuis 1964 où se croisent et se produisent de nombreux artistes. Ce sera par elle aussi que Solanas deviendra célèbre mais de la plus mauvaise des façons. D’abord accueillie par le « maître  » puis rejetée par ce dernier, apeuré par ses outrances, elle va tenter de le tuer, ne parvenant qu’à le blesser gravement…

Entre faits divers et tragédie grecque, c’est cette histoire que racontent avec brio la scénariste Théa Rojzman et le dessinateur espagnol Bernardo Muñoz dans Scum, l’un des derniers albums de la collection Karma( Des vies, des révoltes) dirigée chez Glénat par Aurélien Ducoudray. C’est d’ailleurs ce seul épisode que l’histoire retiendra de la vie dense et mouvementée de cette femme rebelle. Les auteurs, eux, déroulent avec finesse le fil d’une existence qui prit fin en 1988.

ICÔNE FÉMINISTE OU FEMME MEURTRIE ?

A travers un séquençage sans temps mort, un graphisme et des couleurs « pop » en phase avec le psychédélisme de l’ époque, Muñoz s’approprie les tourments et les déviances de cette femme hors normes,  diagnostiquée schizophrène paranoïde avec une dépression profonde. Il met parfaitement en scène la violence et les délires de Solanas en proie à ses démons intérieurs. Au fil de ces 128 pages, un rat accompagne à l’image la rebelle. Comme un Gemini Cricket murmurant à l’oreille de Pinocchio, il prend Solanas telle qu’elle se présente, extrémiste et borderline et suit ses dérives jusqu’à la chute finale dans une chambre minable d’un hôtel de San Francisco…

L’auteure du scénario n’est pas dans le jugement vis à vis de ce personnage. Icône féministe ou simplement femme meurtrie éprise de liberté ?  Chacun choisira. Alternant dialogues et extraits choisis du texte du manifeste ( la typographie est différente dans ces bulles ) le lecteur est embarqué dans cette spirale mortifère que fut la vie de Valérie Solanas. Théa Rojzman (Emilie voit quelqu’un, Dominos, Assassins les psychopathes célèbres) et son complice Muñoz réussissent en tout cas à  restitue au plus près le parcours de cette femme attachante dont la vie ne peut se résumer à un simple faits divers…

Article posté le lundi 01 mars 2021 par Jean-Michel Gouin

Scum de Théa Rojzman et Bernardo Munoz (Glénat)
  • Scum. La tragédie Solanas.
  • Scénariste: Théa Rojzman
  • Dessinateur: Juan Bernardo Muñoz Serrano
  • Editeur:  Glénat
  • Prix : 22 €
  • Parution : 17 février 2021
  • ISBN: 978-2-344-03323-4

Résumé de l’éditeur: En 1968, Valérie Solanas tente d’assassiner Andy Warhol. S’il y a de la haine et de la folie dans cet acte, elle l’a d’abord commis pour accéder à la célébrité. Devenir célèbre pour faire entendre sa voix et celles de toutes les femmes. Devenir célèbre pour écraser l’immonde et arbitraire patriarcat. Devenir célèbre et promouvoir son manifeste féministe radical : le SCUM manifesto. La cible n’est finalement qu’à moitié atteinte car Valérie Solanas est aujourd’hui surtout connue pour ce crime raté…En contant l’histoire de cette femme douée mais borderline, Théa Rojzman nous explique comment Valérie Solanas s’est forgée. Des agressions répétées de son père, en passant par sa vie dans la rue, la nécessité de se prostituer et ses rencontres avec les personnages de la pop culture new-yorkaise des années 1960… La vitalité de l’écriture de Théa, mêlée à la force de la mise en scène et du séquençage de Bernardo Juan Serrano brossent dans les pages de cette bande dessinée un portrait psychologique d’une grande subtilité.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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