Souffre-douleur

Bruce Mutard cache d’énormes cicatrices psychologiques. Il fut harcelé adolescent. Ces stigmates, il les trainera comme un boulet pendant toute sa vie. Il raconte ces moments de cauchemars, de doutes et de dépression dans Souffre-douleur, un album coup de poing aux éditions Çà et là.

« Bruce, il aime pas les filles ! »

Melbourne, 1980. Né en 1967, Bruce Mutard fréquente le collège dans les années 80. Jusqu’à présent, tout s’était passé pour le mieux, puisque le jeune ado timide avait réussi à se fondre dans la masse.

Le futur dessinateur tombe de haut lorsqu’il est pris à partie dans les couloirs de l’établissement. Il répond du tac-au-tac à un de ses camarades :

 » – Qu’est-ce que t’as, Bruce ? T’aime pas les filles ?

– Nan. »

Cette réponse anodine fait alors basculer sa vie. C’est le début d’un très long acharnement contre lui. Les brimades, les insultes et les coups pleuvent. Il commence à vivre un véritable enfer.

L’adolescence : une période charnière

En sport, personne ne le choisit. Pour récupérer ses affaires dans son casier, il attend d’être seul. Tout cela le place au ban, le met à l’écart des autres. Bruce est au bord du gouffre, prêt à tomber.

Il aimerait bien avoir de la répartie et se battre contre les harceleurs, mais il n’y arrive pas, lui le jeune garçon tout frêle et introverti.

Cet acharnement, Bruce le subit au collège puis au lycée. Rien ne lui est épargné. Plus personne ne lui parle, il s’enfonce dans la solitude. Il faudra son entrée à l’université pour qu’il puisse un peu souffler…

Souffre-douleur : une vie en pointillée

Avec beaucoup d’humilité, Bruce Mutard décrit son calvaire. Il en faut de l’abnégation et une grande volonté pour se livrer comme cela, sans filtre.

Avec Souffre-douleur, l’auteur de Le silence (çà et là, 2013) veut faire réagir et prendre conscience que le harcèlement scolaire peut détruire une enfance, une adolescence, en un mot, une vie.

Si l’université lui permet de sortir la tête de l’eau, comme il le montre dans la deuxième partie de Souffre-douleur, ce harcèlement  a eu de grave conséquences sur son mental et son physique pendant de nombreuses années : nombreuses psychothérapies, problèmes alimentaires et vie avec sa mère. S’il va beaucoup mieux actuellement, cette longue période fut un supplice, une vraie épreuve.

Le dessin comme catharsis

Petit à petit, Bruce Mutard réapprend à vivre et à manger normalement. Les thérapeutes comportementaux ainsi que le dessin seront sa bouée de sauvetage.

Souffre-douleur est dur, est violent mais salvateur pour lui – cela a un effet cathartique – et permet de témoigner d’un mal encore tabou dans nos sociétés.

Le trait est simple, très lisible, extrêmement fort comme le noir qui entoure les vignettes de l’album. Ce bel exercice d’auto-analyse sonne le lecteur par la justesse de son propos.

Peu de bandes dessinées se sont penchées sur ce sujet fort. Pour le prolonger, on pourra citer notamment le bouleversant Les vestiaires de Timothé Le boucher (Mutard parle aussi de ces moments difficiles dans ce lieu clos), mais aussi L’âge dur de Max de Radiguès, Seule à la récré de Ana et Bloz, Super Cool de Tanja Ensch, Chaque jour Dracula de Loïc Clément et Clément Lefèvre, A silent voice de Yoshitoki Oima ou encore Les croques de Léa Mazé.

Souffre-douleur : un album pour engager le débat et la conversation entre les enfants et les adultes sur le thème délicat et encore trop tabou du harcèlement à l’école.

Article posté le vendredi 17 mai 2019 par Damien Canteau

Souffre-douleur de Bruce Mutard (çà et là)
  • Souffre-douleur
  • Auteur : Bruce Mutard
  • Éditeur : Cà et là
  • Prix : 20€
  • Parution : 17 mai 2019
  • ISBN : 9782369902683

Résumé de l’éditeur : 1980, Bruce a une douzaine d’années et il fait sa rentrée dans un collège de Melbourne. Chétif, timide, pas sportif pour un sou, il est la risée de la plupart des autres enfants. Lui qui semble ne pas être attiré par les filles – une hérésie – devient rapidement un véritable souffre-douleur. Bruce se réfugie alors dans un monde parallèle où il assouvit ses pensées morbides de vengeance et où il se fantasme lui-même harceleur de ceux qui le maltraitent. Cette situation va durer jusqu’à ses 18 ans… Ce n’est qu’à l’entrée à l’université que Bruce commence à mettre en place un mécanisme de défense et qu’il parvient, grâce à l’humour et un esprit de transgression très poussé, à repousser les jeunes de son âge qui lui cherchent des noises. Mais des années plus tard, une fois adulte et sa carrière de dessinateur bien entamée, Bruce va se rendre compte que les brimades subies dans son enfance auront un impact délétère à long terme et il devra se débattre avec un problème d’anorexie qui mettra sa vie en danger. Avec beaucoup d’honnête et de transparence, Bruce Mutard se livre à un véritable exercice d’auto analyse, et revient sur cette enfance dévastée. Il livre un récit dur et émouvant sur le harcèlement scolaire et ses répercussions sur la psyché de ceux qui en ont souffert.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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