Toutes les morts de Laila Starr

Que se passerait-il si La Mort perdait son travail et était envoyée sur Terre en tant que simple mortelle ? Ram V et Filipe Andrade nous le racontent dans Toutes les morts de Laila Starr, une magnifique fable philosophique aussi touchante qu’envoûtante, parue chez Urban comics.

TOUTES LES MORTS DE LAILA STARR OU LE CYCLE DE LA VIE.

Le douzième jour du douzième mois, assise sur la banquette arrière d’une voiture, une femme enceinte grimace. Le travail a commencé et le bébé sera là d’un moment à l’autre.

Au même moment, non loin de là, tout en haut d’un immeuble, une belle jeune femme fume une cigarette, assise sur un rebord de fenêtre. Elle semble pensive.

Un instant plus tard, elle se laisse tomber, la cigarette aux lèvres.

Et lorsqu’elle touche le sol, à l’hôpital voisin, naît un petit garçon du nom de Darius.

AU MÊME MOMENT, BIEN LOIN DE LÀ…

Mais en ce jour que beaucoup qualifieront de beau, la déesse aux six bras fut aussi convoquée par le dieu tricéphale, souverain des cieux.

« Depuis combien de temps es-tu avec nous, Mort ? On a l’impression que ça fait une éternité, hein ? Quel dommage, alors… Oui, Mort. J’ai bien peur qu’on doive se séparer de toi. »

Toutes les objections furent vaines car la raison était irréfragable.

« Tu vois, c’est écrit ici, page 64 : « Au douzième jour du douzième mois adviendra l’enfant qui apportera la vie éternelle. ». Donc, c’est seulement une question de pragmatisme. Il n’y aura plus vraiment de … morts… donc… »

En récompense de ses bons et loyaux services, comble de l’ironie, Mort se vit offrir un corps humain pour qu’elle puisse connaître les joies de la vie mortelle.

Mais avant de partir, Mort, l’œil noir, passa un ultime marché :

« Quand tu m’enverras en bas et que tu me donneras un corps mortel, tu pourras faire en sorte que je ne sois pas loin du gosse ? »

Et c’est ainsi que le douzième jour du douzième mois, Mort fut chassée du royaume céleste et se retrouva dans le corps d’une mortelle, celui de Laila Starr.

L’EXISTENTIALISME SELON RAM V.

Indiscutablement, Toutes les morts de Laila Starr comporte la patte de Ram V. Une fois de plus, le scénariste parvient à merveille à mêler mythologie et philosophie. Dans le cas présent, sur fond d’hindouisme, il réalise une fable dont il a le secret. L’auteur de These Savage Shores a en effet l’idée aussi simple que géniale de redistribuer les cartes de l’existence.

Et si la Mort devenait mortelle… Ainsi, en 5 épisodes parfaitement construits, elle se retrouve confrontée la complexité de la vie.

L’idée est belle. Et son exploitation l’est tout autant.

TOUTES LES MORTS DE LAILA STARR : UNE INVITATION AU VOYAGE.

À la manière d’un conte des origines dont le titre serait essentiel, chaque épisode comporte un début et une fin. Et à l’image des tesselles antiques, ils constituent tous une pièce unique et indispensable pour la mosaïque finale. On se retrouve alors porté par la poésie de l’histoire. Et un rythme langoureux et apaisant nous guide vers des horizons exotiques.

Pourtant, si l’histoire se déroule bien à Bombay, à aucun moment les noms de Kali ou de Trimūrti ne seront nommés. Le message délivré se doit d’être universel. En témoigne d’ailleurs la fin malicieusement ouverte. Ainsi, le lecteur prend lui aussi part à ce mystérieux voyage qui prend vie grâce au trait de Filipe Andrade et à l’aide apportée par Inês Amaro pour la sublime colorisation.

QUAND LE MYTHE PREND FORME.

Par un savant mélange de tradition et de modernité, le dessinateur nous fait littéralement voyager. Véritable voyage sensoriel, la lecture donne l’impression d’être transporté dans les rues de Mumbai, avec ses odeurs d’encens et sa chaleur moite. Et plus que jamais le choix des couleurs joue son rôle. Le rose, l’ocre, le fuchsia, le vert se mêlent dans des tableaux enivrants. Le simple fait de tourner les pages envoûte comme par magie. L’expérience est totale et l’émotion ressentie est réelle, de la première à la dernière page.

 

Avec Toutes les morts de Laila Starr, Ram V fait une fois de plus preuve de son incroyable talent de conteur. Magistralement, accompagné aux dessins par Filipe Andrade, il nous offre une œuvre forte, touchante et inoubliable qui rappelle que pour vivre, il faut apprendre à mourir.

Article posté le lundi 05 septembre 2022 par Victor Benelbaz

Toutes les morts de Laila Starr de Ram V et Filipe Andrade (Urban)
  • Toutes les morts de Laila Starr
  • Auteur : Ram V
  • Dessinateur : Filipe Andrade
  • Coloristes :  Filipe Andrade et Inês Amaro
  • Traducteur : Benjamin Rivière
  • Éditeur : Urban
  • Prix : 19 €
  • Parution : 06 mai 2022
  • ISBN : 9791026823032

Résumé de l’éditeurMumbai, de nos jours. Mme Shah, en plein travail et coincée dans un embouteillage, hurle sur son mari au téléphone. Laila Starr, une jeune femme déjà fatiguée de tout, est allongée sur le rebord d’une fenêtre ouverte, plusieurs étages au-dessus du trafic. Et plus haut encore, bien au-delà des nuages, la déesse de la Mort est convoquée dans le bureau de son patron. Ces trois destins se rejoignent au moment où, simultanément Laila saute dans le vide, Mme Shah donne naissance à son fils Darius, et la Mort est renvoyée sans ménagement. Dans un futur, Darius est en effet celui qui découvrira le secret de l’immortalité et reléguera la Mort au rang de désagréable souvenir. Mais la Mort, incarnée dans le corps sans vie de Laila, compte bien retrouver sa place, même si elle doit pour cela éliminer le jeune Darius. Du moins, c’était le plan avant qu’un camion ne la fauche et qu’elle ne se retrouve à nouveau ressuscitée quelques années plus tard…

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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