Après Peer Gynt d’Antoine Carrion édité chez Métamorphose, c’est au tour d’une autre pièce de théâtre d’Henrik Ibsen d’être adaptée en bande dessinée. Avec la parution d’Un ennemi du peuple de Javi Rey chez Aire Libre-Dupuis, tout nous montre que les écrits du dramaturge norvégien du XIXe siècle sont plus au goût du jour que jamais.
Henrik Ibsen (1828-1906), un homme de théâtre
C’est alors qu’il est étudiant en médecine, qu’Henrik Ibsen commence à écrire des pièces de théâtre, même si celles-ci n’ont, au départ, qu’un succès relatif. En prenant la direction du Norske Theater de Bergen (1852) puis du Théâtre National d’Oslo (1857), l’auteur perfectionne sa technique d’écriture. Mais, en raison de son alcoolisme et sa gestion calamiteuse du théâtre, il est renvoyé. En 1864, il décide de quitter la Norvège pour s’exiler en Italie.
Un exil synonyme de reconnaissance
Après ses quelques années passées à Rome, Henrik Ibsen posera ses malles à Dresde, Munich et de nouveau dans la capitale italienne. C’est pendant cette période de 27 ans qu’il écrira ses plus grands succès, des pièces de théâtre qui font de lui, encore aujourd’hui, un des plus grands auteurs dramatiques.
Peer Gynt 1867
Les piliers de la société 1877
Une maison de poupées 1879
Un ennemi du peuple 1882
Le canard sauvage 1884
Un retour au pays
En 1891, Henrik Ibsen, auréolé d’un immense succès international, décide de rentrer chez lui, en Norvège. Sa soif d’écrire continuera jusqu’à ce qu’il soit en incapacité de le faire en raison d’une attaque cérébrale (1900). Il s’éteindra en 1906 dans le pays qui l’a vu naître devenant l’un des auteurs européens les plus connus.
En Folkefiende, Un ennemi du peuple, la pièce de théâtre
C’est en 1882, alors qu’il est en Allemagne (1885-1891) que le dramaturge écrit cette pièce en cinq actes qui sera présentée pour la première fois en janvier 1883 au Christiania Theater à Oslo.
Cette pièce va asseoir sa popularité et faire de lui un auteur majeur. Pour cette œuvre a choisi de faire se dérouler son intrigue en plusieurs lieux et pendant plusieurs journées. Aucune unité de temps ou d’espace contrairement à certaines de ses œuvres précédentes, qui étaient des huis clos.
Un ennemi du peuple, l’adaptation graphique
Voilà plus de dix ans que l’auteur de bandes dessinées Javi Rey voulait adapter la pièce d’Henrik Ibsen. Même si cette œuvre a 140 ans, il y voyait un parallèle à faire avec la situation vécue sur les réseaux sociaux où pullulent les fake news.
L’autre thème également traité dans cette adaptation est la santé et ses conséquences, quand la notion d’économie entre en jeu.
La pièce de théâtre se déroule au XIXe siècle. Le dessinateur d‘Adelante, d’Intempérie et de Violette Morris a décidé de la transposer dans une époque contemporaine. Une époque non définie, mais où les téléphones étaient filaire. Et où les journalistes se servaient encore de machines à écrire.
Un ennemi du peuple, une satire contemporaine
Le docteur Thomas Stockmann a fondé avec son frère Peter, le maire, une station thermale sur son île. Celle-ci est devenue prospère avec l’arrivée de nouveaux touristes. À la suite d’analyses qu’il a demandées sur la qualité de l’eau, le médecin découvre alors que celle-ci, utilisée pour les bains, est impropre et cause des dermites aux curistes. Tel un lanceur d’alerte, il décide d’en avertir son frère, le journal local ainsi que la population.
Mais son politicien de frère n’envisage pas de rendre publique cette information. En effet, celle-ci pourrait mettre en danger les sommes investies dans cet établissement thermal. S’ensuit une bataille entre deux frères qui ont des visions diamétralement opposées en matière de santé publique et d’économie.
Le rôle important de l’eau dans Un ennemi du peuple
L’eau est un élément important dans ce récit, ne serait-ce que par la situation d’îliens des deux protagonistes. La métaphore de l’eau impropre est parfaite pour parler d’une société empoisonnée, elle aussi, par des idées contre lesquelles le docteur Thomas Stockmann va devoir se battre.
Une bras de fer s’engage et la vie du lanceur d’alerte est chamboulée comme par une déferlante. Doit-il se taire et se conformer à l’avis du politicien pour protéger l’économie locale ? Ou bien doit-il, tel un paria, faire le choix de parler, quitte à se mettre à dos son propre frère et tous ceux qui ont des intérêts économiques sur l’île ?
La question politique est au centre de l’œuvre d’Henrik Ibsen. Mais il met également en avant, dans la pièce de théâtre Un ennemi du peuple la question de l’environnement. Une inquiétude écologique avant l’heure pour le naturaliste qu’il était.
Un dessin à contre-courant
Javi Rey a choisi pour illustrer son scénario de jouer avec un dessin rond, en complète opposition avec les idées et les caractères de personnages. Une proposition qui peut étonner, à la lecture des premières pages, mais qui permet de redonner un élan de modernité à la pièce d’Henrik Ibsen. Pour marquer encore plus ce choix graphique, l’auteur a appuyé sur son dessin, en y apposant des couleurs des plus flashy.
Un décalage visuel entre fond et forme, qui n’est pas sans interroger, mais qui permet de ne pas faire de comparaison en l’œuvre originelle et son adaptation. L’auteur s’est pleinement approprié cet écrit, l’a modernisé. C’est ce qui donne tout son charme à cet album.
Un visuel étonnant au service d’un écrit d’actualité
Avec cette adaptation graphique, Javi Rey a fait souffler un vent de fraîcheur sur la pièce de théâtre d’Henrik Ibsen. Les thèmes développés par le « dix-neuviémiste » sont curieusement encore d’actualité. L’auteur espagnol a parfaitement su s’en emparer et se les approprier. Il réussit parfaitement à nous interpeler et c’est le signe que son album ne peut que marquer nos esprits.
- Un ennemi du peuple
- Auteur : Javi Rey, d’après la pièce d’Henrik Ibsen
- Traductrice : Alexandra Carrasco-Rahal
- Éditeur : Aire Libre
- Prix : 24 €
- Parution : 04 février 2022
- ISBN : 9791034737963
Résumé de l’éditeur : Le discret docteur Thomas Stockmann et son frère Peter, maire hâbleur et populiste, ont fondé ensemble un établissement thermal dont le succès assure la prospérité de leur petite île. Tomas, qui ne cautionne pas la gestion qu’en fait son frère, s’est toutefois mis en retrait du projet, n’y assurant plus que la mission de médecin généraliste pour les touristes. Une tâche inintéressante qui va pourtant lui permettre de découvrir un terrible scandale sanitaire. Et l’obliger à entamer un combat contre son propre frère, notable soutenu par les pouvoirs de la finance, de la politique mais aussi par la majorité bêlante des électeurs de l’île… Menace écologique, mensonge politique et manipulation de l’opinion publique : plus d’un siècle après sa première représentation sur scène, Javi Rey revisite la pièce du dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1828-1906), dont les problématiques restent d’une actualité totale. Un Ennemi du peuple est un album essentiel. Une histoire prenante doublée d’une surprenante réflexion sur le concept de démocratie.
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.
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