Entretien avec Pat Perna

Merci Pat Perna d’avoir accepté notre invitation pour venir nous parler de la sortie de tes deux derniers albums. La part de l’ombre tome 2 avec Francisco Ruizgé chez Glénat et Kosmos avec Fabien Bedouel chez Delcourt.

Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Je m’appelle Pat Perna, je suis scénariste de bandes dessinées depuis 1991. J’ai longtemps été journaliste en parallèle et finalement depuis une dizaine d’années, je ne fais que de la bande dessinée.

Comment a débuté ta carrière de scénariste de bandes dessinées ?

J’ai eu deux carrières. Une première plutôt dans l’humour avec une série qui s’appelait Calagan et qui a bien marché à l’époque. Mais c’était plus facile, tout marchait. J’ai également travaillé sur une autre série best seller, Joe bar team. C’est né de ma rencontre gamin avec Bar2 le créateur et Fane, mon meilleur copain de l’époque. On a grandi ensemble et on s’est retrouvés à travailler comme dessinateurs dans une agence de pub avec comme chef de studio Bard2. C’est comme cela que ça a commencé.

  Couverture Joe bar team tome 7

On a fait une première bande dessinée avec Stef qui s’appelait Skud, de la science-fiction. C’était la grande époque de Mad Max, Dune et on s’est lancés dans un délire absolu.

Ensuite ça ne me branchait plus trop car on me proposait d’être journaliste.

En quoi consistait ton activité en tant que journaliste ?

J’ai préféré partir faire des photos et des reportages, partout dans le monde. Notamment en Afrique puisque j’étais spécialisé dans le sport aventure.

Comment es-tu donc retourné à la bande dessinée ?

Mais je n’ai jamais lâché la bande dessinée. Quand j’étais journaliste, il y avait un magazine à côté du mien, Maxi Tuning et mon gamin était dingue de voitures de tuning. J’ai donc fait une bande dessinée pour lui et contre toute attente, ça cartonnait. On en a fait sept tomes et c’était très marrant. Aujourd’hui ça a mauvaise réputation et tout le monde trouve ça ridicule.

Puis j’en ai eu un peu marre après le tome sept de Joe bar team de la pression liée au coté best6seller. Ça ne me faisait plus rigoler.

 

Qu’as-tu donc décidé de faire ?

J’ai décidé de faire un 360. J’avais rencontré Fabien Bedouel chez un nouvel éditeur 12 bis, une petite maison d’édition à l’ambiance familiale. Mais 12 bis n’a pas duré très longtemps. Fabien voulait absolument qu’on fasse un album ensemble et je l’ai emmené chez Glénat. Je savais qu’il était passionné par la Seconde Guerre mondiale.

En réfléchissant, je suis retombé sur Les mains du miracle de Joseph Kessel, un livre qui m’avait emporté quand j’étais ado. Je lui ai dit : “Viens on fait ça en bande dessinée.” C’est devenu Kersten, médecin d’Himmler.

Les mains du miracle - L'Air du Temps - GALLIMARD - Site Gallimard

 

                                     tome 1 : Pacte avec le mal     tome 2 : Au nom de l’Humanité

Que s’est-il donc passé ensuite ?

Comme ça a bien marché, on nous a demandé de faire la suite. J’ai cherché d’autres histoires à raconter qui me permettraient de faire des fictions avec la grande Histoire.

En fait? c’est ce qui me passionne. Que les gens aient l’impression que tout est vrai alors qu’en fait je mélange une grosse part de fiction.

Comme dans La part de l’ombre ?

Dans La part de l’ombre, je me sers d’un événement historique pour raconter un truc qui me tient à cœur. Ou pour mettre en avant des personnages.

   

                                                  tome 1 : Tuer Hitler        tome 2 : Rendre justice

Philip Kerr est mon auteur fétiche. En littérature, il ne fait que ça. C’est l’un des premiers à avoir mélangé la fiction et l’Histoire. Tu ne sais jamais ce qui est vrai ou pas quand tu le lis. Je voulais lui rendre un hommage avant d’arrêter l’historique pur et dur. Et passer à autre chose.

C’est important pour toi de passer à autre chose régulièrement ?

Je suis un anxieux, j’ai toujours peur de déplaire, de me répéter, que les gens n’aiment pas. Donc je n’arrête pas de changer, même si je ne suis pas un scénariste prolifique comparé à d’autres. Je fais une à deux bandes dessinées par an. C’est parce que je prends un temps infini et que je passe beaucoup de temps à réfléchir.

Quand je me plonge dans une histoire, je le fais sérieusement. Je lis plein de bouquins, je me renseigne. Il me faut deux ans pour préparer un projet.

C’est le cas pour Kosmos ?

Kosmos c’est l’aboutissement de ce style de travail. J’ai fait le tour de tout ce que j’avais à raconter, de toutes les méthodes possibles avec l’historique.

La part de l’ombre est le plus abouti, c’est celui qui ressemble le plus à ce que je voulais faire quand j’ai commencé l’historique.

Les éditeurs te font facilement confiance ?

Les éditeurs sont frileux et avant d’imposer ta façon de faire ou d’être, il faut du temps. Comme Kersten a marché, ils ont dit ok, il peut faire de l’historique.

Avec Darnand? le suivant j’ai rajouté un peu plus de mon univers et de fiction.

                                                                    Darnand tomes 1 à 3

Entre temps? j’ai fait Forçats où là, il y a plus de 60% de fiction. Avec Fabien on a d’ailleurs exploré un nouveau style graphique plus pointu. On a fait deux volumes en couleur et comme 9a a marché, on a pu faire une version en noir et blanc, qui a mieux marché.

                                                                     Forçats : tome 1 et tome 2

Avec Kosmos, on est arrivés chez Delcourt et ils nous ont laissé une liberté absolue.

Comment fais-tu pour travailler avec tes dessinateurs ?

Aujourd’hui, c’est ce qu’il y a de plus compliqué. Les scénaristes ont beaucoup de projets et ils les proposent entièrement bouclés. Alors que moi, je ne peux pas travailler tout seul dans mon coin, si je n’ai pas une idée précise du rendu esthétique. Mon découpage est influencé par le style du dessinateur.

Je suis un sculpteur, j’ai la matière de mon histoire et je change plein de choses. J’écris des scènes, le dessinateur m’en envoie un board et souvent je recommence. Il faut qu’un lien s’établisse entre nous.
J’ai écrit une dizaine d’histoires mais il n’y a personne pour les dessiner.

Tu n’aimes donc pas travailler seul ?

J’ai besoin du regard de l’autre, c’est ce qui fait progresser et j’ai besoin de la connivence avec le dessinateur. Pour Valhalla hotel avec Fabien, c’est son idée, le projet qu’il a depuis 15 ans. Un jour, il m’a proposé de le faire ensemble. Ce qui n’aurait pas été possible avant le succès de Ramirez (Il faut flinguer Ramirez). Il a ouvert une brèche et montré aux éditeurs que la narration à mi-chemin entre le comics et le franco-belge pouvait exister en France.

 

Comment avez-vous alors procédé pour ces deux albums ?

Fabien m’a envoyé son idée. Je suis rentré dans les cases et me suis mis à son service. Un exécutant. Je le laisse gérer son truc et ça me plaît vachement. Il m’a laissé rajouter des personnages.

Mais trouver des dessinateurs c’est vraiment le gros challenge aujourd’hui. Mener à bout un projet devient très compliqué. Les dessinateurs d’aujourd’hui sont en galère. C’est un milieu tendu, on n’est pas nombreux à avoir des bandes dessinées qui se vendent au-delà des 3000 exemplaires. Alors dépasser les 10000, 15000 ça devient très compliqué.

Travailles-tu sur d’autres projets qui seraient moins historiques ?

J’ai écrit des projets plus personnels, qu’on pourrait qualifier de romans graphiques, même si je n’aime pas trop ce terme. C’est de la bande dessinée plus épaisse. Mais ce genre d’autobiographies, tu ne peux pas faire ça avec n’importe qui. C’est impossible. De plus, il faut un an pour dessiner 200 pages et les éditeurs paient les dessinateurs au forfait et non plus à la page. Alors tu te retrouves avec des projets qui mettent 5 ou 6 ans à naître. Paradoxalement un format 54 pages, ça marche. Alors comment faire ?

Que penses-tu des albums qui sortent actuellement ?

Aujourd’hui, ce n’est pas la valeur intrinsèque d’une bande dessinée qui va faire son succès, mais ce qu’on va en dire. Il y a des trucs super bien qui marchent super bien.

Mais il y a beaucoup de choses, franchement pas au niveau, qui bénéficient d’un traitement médiatique. Certains éditeurs en ont fait leur fond de commerce. Si je te sors un pavé avec Nabilla comme co-autrice, je t’en vends plus de 100 000. Il suffit de trouver une dessinatrice avec un dessin sympa. Tu marquètes le truc, un format trois strips, monochrome, un petit bain de couleur rouge ou jaune. Tu l’appelles Nabilla, allo c’est quoi et c’est parti !

Avec Kosmos, on a l’impression que vous avez créé un album pour prendre son temps.

Je voulais un album contemplatif, c’est ce que m’évoque cette histoire de conquête spatiale. Je trouve que c’est propice à cette forme d’introspection. Fabien a fait cette mise en scène qui sublime ça. On s’est fait plaisir avec cet atelier virtuel en quelque sorte. Tu es Thomas Pesquet dans l’espace.

Sur ses dessins, il y a tant de choses à voir. En tant que lecteur, j’aime bien ne pas être pris en otage. Qu’on me laisse la liberté d’écrire ma propre histoire par dessus celle de l’auteur. Là je trouvais qu’il fallait laisser la possibilité au lecteur de rêvasser, de se raconter, de ne pas le prendre en otage d’une narration.

Que penses-tu du travail des libraires ?

Sur Kosmos, il y a un travail de libraires, c’est aussi ça le truc. La part de l’ombre est placé à côté de Kersten en disant par « l’auteur de ». Il y a tout un public dédié à cette forme de récit historique. Il n’y a rien à faire.

La grosse bataille dans cet ouvrage a été le titre. La part de l’ombre était mon titre original, mais je me suis battu pour l’imposer. L’éditeur voulait quelque chose en rapport avec Hitler. Or moi, ce n’était pas mon propos. J’en parle très peu dans la bande dessinée et de manière détournée. J’ai réussi grâce à Xavier de la librairie Ty Bull à Rennes, qui connaissait l’éditeur et qui l’a convaincu que mon titre était mortel. Des fois, ça se joue à pas grand chose.

C’est en cela que le rôle des libraires est important.

J’ai toujours eu une passion pour les librairies, c’est l’endroit où j’aime aller, pour la bande dessinée ou la littérature. Ce sont des gens passionnés, même si ça ne correspond pas tout à fait à tes attentes. J’aime la relation qui s’est instaurée avec le libraire qui t’a vendu un bouquin.

Cette relation est devenue un gros enjeu qui est travaillé par les éditeurs, qui essaient de les séduire d’une manière ou d’une autre. Tu n’es pas le même coup de cœur d’un libraire à la Fnac que d’un petit libraire. Ça me touche à chaque fois, quand j’entre dans une librairie et que je vois que mon album est un coup de cœur. Juste un petit mot sur ton bouquin.

C’est difficile aujourd’hui d’être auteur ?

Quand on est auteur, c’est un combat de chaque instant pour imposer son histoire, son co-auteur et cela jusqu’à la couv et le titre. On a de moins en moins voix au chapitre. C’est un métier qui a beaucoup changé.

Aujourd’hui c’est la foire d’empoigne. Si tu n’as pas marqueté ton produit, si tu ne vas pas sur les réseaux sociaux pour rencontrer les gens, pour faire ton auto-promo, alors tu n’as aucune chance, tu ne peux pas exister. Je ne sais pas comment font les gamins qui débutent dans la bande dessinée.

Les réseaux sociaux sont devenus incontournables.

Je ne suis pas à l’aise avec Instagram. Mais la critique d’un lecteur ou de quelqu’un qui tient un blog de lecture, ça me touche beaucoup plus qu’une critique dans un quotidien. Je trouve qu’il y a une sincérité liée au format. Quand c’est ton métier, c’est presque mécanique. Quand c’est ta page Instagram avec tes mots à toi,  tu dévoiles un morceau de ton intimité, de ta bibliothèque. Je découvre ça avec grand plaisir.

L’histoire de Kosmos paraît tellement réelle.

Kosmos est vraiment né de cette envie. Souvent on dit de nos albums qu’ils sont bien documentés, qu’on a cherché. Mais c’est le minimum syndical quand tu fais une bande dessinée historique. Je voulais que Kosmos ait l’air hyper documenté, alors j’ai lu dix bouquins sur le sujet. Et passé des heures avec un ami ingénieur à l’Aérospatiale.

Au final, j’ai rajouté cette histoire de cosmonaute fantôme parce que je la trouvais fascinante. J’ai pris des personnages, des noms que les gens peuvent retrouver sur Wikipédia. Du coup, les lecteurs ne vont plus savoir si ce que je raconte est vrai ou faux.

Mais pourquoi avoir voulu insérer des éléments inventés ?

J’ai voulu faire comme un pied de nez à tout ça. Il y a plein de bandes dessinées qui sortent avec comme thème l’Histoire et plus particulièrement la Seconde guerre mondiale. Mais pour 80% historiquement c’est de la merde, il n’y a pas de recherches.

Alors j’ai poussé le trait jusqu’au bout et j’ai fait Kosmos. C’est né de cette envie là.

C’est donc également un pied de nez aux fake news qui pullulent actuellement ?

Évidemment. Quand tu vois la puissance des réseaux sociaux pour véhiculer un documentaire avec des pseudos experts qui racontent tout et n’importe quoi, tu peux tout croire. Il y a un pouvoir absolu de l’image et de la conviction. Je trouve cela effrayant. On ne fait plus confiance aux journalistes qui ont perdu leur aura à force de raconter des conneries.

Moi qui suis un passionné du journalisme et d’Albert Londres (1884-1932), mon héros absolu, on a perdu quelque chose en cours de route. C’est normal qu’on ne nous fasse plus confiance. Ma première carte de presse a été la plus grosse fierté de toute ma vie. Je l’ai encore dans mon portefeuille. J’ai tellement rêvé de cet objet. Je l’ai tellement idéalisé. Cette vision idéaliste du journalisme n’a plus cours aujourd’hui.

En réalité les fake news ont toujours existé.

Les Russes ont été les champions du mensonge d’État avec les Américains. On sait qu’il y a eu plein de bidouilles et j’ai les éléments pour étoffer ma thèse et fabriquer ce que j’appelle cette “lasagne d’informations”. Une couche de vérité, une couche de mensonges… Cette cosmonaute russe a vraiment existé, mais j’ai un peu changé son nom. Toute son histoire est vraie. Et on a une fake news.

As-tu d’autres envies actuellement ?

Oui je crois que c’est le moment de faire des trucs très personnels. J’ai toujours mis des choses personnelles dans mes bandes dessinées, mais sous couvert d’un personnage en le glissant discrètement. Mais là, j’ai besoin d’y aller franco. J’ai deux projets très intimistes, autobiographiques. On va voir si je trouve les dessinateurs, les éditeurs et l’énergie pour.

Sur quoi as-tu travaillé dernièrement ?

J’ai fait une très belle adaptation d’un roman cultissime pour moi Shibumi d’un auteur américain qui s’appelle Trevanian (Rodney William Whitaker 1931-2005).

Shibumi

Shibumi chez Gallmeister

C’est une œuvre monumentale qui s’est vendue à plus de trois millions d’exemplaires dans le monde. J’avais adoré ce polar atypique qui se passe à la fois aux États-Unis, au Japon et au Pays basque.

L’auteur a accepté tout de suite que je fasse l’adaptation. Ce sera un one-shot pour 2022 avec un dessinateur qui s’appelle Jean-Baptiste Hostache. Il a un style graphique intéressant avec des personnages très nerveux. Ça m’a bien plu d’adapter un bouquin. Mais je n’en ferai pas 50 car c’est frustrant.

Pourquoi dis-tu que c’est frustrant ?

Parce que tu veux rajouter des trucs à toi et c’est extrêmement présomptueux. Le mec arrive avec ses trois millions d’exemplaires et moi je viens avec mes petites bandes dessinées. Je vais lui expliquer comment on fait une histoire. Non ce n’est pas sérieux. Donc tu te retiens. Sauf à tout casser.

Qu’appelles-tu tout casser ?

C’est ce que je suis en train de faire en parallèle. Je suis en train de travailler pour m’amuser avec mon pote d’enfance donc Stéfane sur un projet. Je ne sais pas si on va le faire mais on est à fond sur l’adaptation d’un truc complètement improbable, Le diable et le bon dieu de Jean-Paul Sartre. C’est une pièce de théâtre qu’on a étudiée quand on était en Première tous les deux. Elle est chiante à mourir. Nous nous sommes lancé le défi de faire ça. On en fait quelque chose qui n’a rien à voir avec la pièce de théâtre. En la transformant en opéra rock années 70, on mélange toutes nos influences pour en faire un truc de malades.

As-tu déjà pensé travailler avec une femme ?

Après je vais faire du roman graphique, j’aimerais bien le faire avec une autrice. J’aimerais bien travailler avec une dessinatrice. Il y a une sensibilité féminine qui m’intéresse dans le genre d’histoires que j’aimerais raconter. Je fais très mal parler les femmes dans mes albums. Je n’arrive pas à me mettre dans leurs têtes. Dans Kosmos, heureusement qu’elle est militaire. J’ai toujours peur que les filles s’imaginent que c’est un mec qui parle. Je n’arrive pas à me glisser dans un esprit féminin.

Donc une femme, mais pas que pour porter le dessin ?

Ces projets de romans graphiques, je les ai écrits comme des romans. Mon idée c’est de dire, je te l’offre, tu l’adaptes comme tu veux, je peux te faire les dialogues. Elle en fait ce qu’elle veut, même si c’est ma vie et mon personnage.

Comment procèdes-tu pour faire ton découpage ?

Je fais un découpage précis mais si on chamboule tout, ça ne me dérange pas. Pour La part de l’ombre, c’est tellement précis que j’évoque la place de la caméra. Je fais des descriptions de cases presque cinématographiques. J’ai des images précises en tête, autant ne pas les gâcher. Mais je n’en veux pas au dessinateur, s’il n’en veut pas.

Avec Fabien, on a une telle connivence que ce n’est plus nécessaire. Je me contente de lui envoyer dix pages de board et il m’envoie trente pages de découpages parce qu’il a envie de faire des doubles pages.
Je suis directif mais sympa, je laisse faire les dessinateurs. De plus, comme je suis anxieux, si on me propose une idée, je la prends.

Dans La part de l’ombre ton personnage Guntram Muller est-il un hommage à Bernie Gunther celui de Philip Kerr ?

Évidemment et je l’ai fait de manière assez grossière. Je voulais que cet album soit la fin d’une époque pour moi et du travail que j’ai pu réaliser uniquement grâce à Philip Kerr. C’est lui qui m’a donné la voie à suivre. Je voulais lui rendre hommage avec ce flic ironique et taciturne qui a fait partie de la police criminelle allemande. J’en ai fait exprès pour que tout le monde se dise que c’était Bernie. C’est son frère. Je l’ai nommé ainsi en hommage à deux amis allemands.

Pourquoi avoir choisi le noir et blanc pour Kosmos ?

Fabien a naturellement un don pour le noir et blanc. Son travail a été inspiré par 2001 Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick 1968) et le ressenti que ça provoque.

2001: LOdyssée de lespace Affiche cm. 30 x 40 image 1

Pourquoi la documentation a une telle importance dans ton travail ?

Parfois je pense que je ne suis pas légitime, ce qui me pousse à me documenter. Je ne suis pas historien. Même si après Kersten ou Darnand des gens me parlaient comme à un historien. Je me documente pour me rassurer mais je ne recopie pas les passages qui m’intéressent. Je les lis pour m’imprégner et ne pas dire de bêtises. Mais après, je les range et je travaille avec ce que j’en ai retenu. J’ai besoin de faire une fiction par dessus pour ajouter de moi même une histoire. Philip Kerr lui était historien et universitaire.

As-tu eu des déceptions avec certains de tes albums ?

Mort par la France est une des tristesses de ma petite carrière. J’ai travaillé avec une historienne. Pour réaliser un reportage, je suis parti quinze jours au Sénégal avec le dessinateur pour vérifier les informations confiées par l’historienne. Avec j’ai écrit un article dans la revue XXI (21) puis la bande dessinée. Le bouquin a fait 6000 ou 7000 exemplaires. Il n’y a jamais eu autant de presse. J’étais invité partout, radio, télé. mais ça n’a pas marché, ça n’a pas rencontré son public.

Quelle est l’explication d’après toi ?

La peur de la culpabilisation sur les vieilles histoires de la colonisation. Ce que les Français ont pu mal faire. Un passé colonial qui n’est pas assumé. Mais pour moi, cette bande dessinée reste essentielle. Le fils d’un des tirailleurs, que j’avais pris comme héros, a pu voir la mémoire de son père réhabilitée à travers ce bouquin.

Je pensais que cet album serait dans des festivals, des sélections. Mais personne du monde de la bande dessinée ne l’a mis en avant. Il y a des moments où ça fait mal. On se dit qu’on arrête la bande dessinée. Et on recommence.

Tu as un lien particulier l’éditeur Les Arènes ?

C’est mon éditeur de cœur. J’y ai rencontré là-bas des gens passionnés, une équipe fabuleuse autour de la revue XXI. Patrick de Saint-Exupéry, un journaliste Prix Albert Londres, j’admire son travail sur le Rwanda. Le directeur des Arènes est un vrai mec de l’édition. Je m’entends très bien avec Laurent Muller, l’éditeur avec qui je travaille. C’est une famille avec laquelle tu peux défricher des terrains.

As-tu déjà des retours sur les ventes de ces deux albums ?

Je sais que La part de l’ombre marche bien. Pour Kosmos, les libraires en prennent des piles, c’est qu’ils doivent les vendre. Mais je ne demande pas trop parce que ça me terrifie. Si on me dit qu’on en a vendu 50, je ne fais plus rien. En ce moment, c’est difficile de sortir des bandes dessinées en même temps que Goldorak ou Astérix.

Le principal, c’est d’être encore chez les libraires, ça veut dire que ça marche. Je fais des bouquins qui restent longtemps et qui deviennent du fonds.

Pour terminer, peux-tu nous dire qu’elle est la dernière lecture qui t’a étonné ?

Contre toute attente, j’avais un a priori hyper négatif, c’est le bouquin de Riad Sattouf, Le jeune acteur. Il m’a été offert par un libraire de Rennes Ty Bull chez qui je dédicaçais. On a eu une discussion sur l’auteur. J’ai dévoré l’album dans le train, pendant une heure entre Rennes et Angers. En fait, je comprends pourquoi ça marche et c’est légitime.

C’est bien fait, mignon et intelligent. Et je n’ai pas toujours été tendre dans mes propos sur Riad Sattouf. Mais là, je dois dire que j’ai compris beaucoup de choses. Franchement, il sait faire des bandes dessinées. Ce n’est pas usurpé.

L’autre c’est Tananarive, c’est plus parce que c’est un pote et je voulais voir ce que cela donnait. J’ai bien aimé aussi, surtout le dessin.

Vraiment, Pat Perna, merci beaucoup pour ce temps que tu nous a accordé.

CET ENTRETIEN ET SA RETRANSCRIPTION ONT ÉTÉ RÉALISÉS DANS LE CADRE DU LIVE QUI S’EST TENU MERCREDI 08 DECEMBRE 2021 SUR LA PAGE INSTAGRAM DE YOANN DEBIAIS @LIVRESSEDESBULLES .

 

Article posté le dimanche 23 janvier 2022 par Claire & Yoann

Kosmos de Pat Perna et Fabien Bedouel chez Delcourt
  • Kosmos
  • Scénariste : Pat Perna
  • Dessinateur et coloriste : Fabien Bedouel
  • Éditeur : Delcourt
  • Prix : 27,95 €
  • Parution : 20 octobre 2021
  • ISBN : 9782413040415

Résumé de l’éditeur : Le 20 juillet 1969, le monde entier, figé devant sa télévision, est sidéré par l’exploit : les Américains ont aluni ! Et avant les Soviétiques ! Malgré une frayeur technique, tout s’est bien passé. Pourtant, au moment de repartir, Armstrong se retourne une dernière fois pour observer le paysage et reste figé : dans la visière de son casque, se reflète un drapeau soviétique et un LEM russe…

La part de l'ombre tome 2 de Pat Perna et Francisco Ruizgé chez Glénat
  • Kosmos
  • Scénariste : Pat Perna
  • Dessinateur : Francisco Ruizgé
  • Coloriste : Delf
  • Éditeur : Glénat
  • Prix : 14,95 €
  • Parution : 03 novembre 2021
  • ISBN : 9782344033159

Résumé de l’éditeur : Le 20 juillet 1969, le monde entier, figé devant sa télévision, est sidéré par l’exploit : les Américains ont aluni ! Et avant les Soviétiques ! Malgré une frayeur technique, tout s’est bien passé. Pourtant, au moment de repartir, Armstrong se retourne une dernière fois pour observer le paysage et reste figé : dans la visière de son casque, se reflète un drapeau soviétique et un LEM russe…

À propos de l'auteur de cet article

Claire & Yoann

Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.

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