Hergé et Tintin, maîtres du (grand) Palais

Du 28 septembre au 15 janvier, le plus célèbre des dessinateurs de BD a les honneurs d’une exposition grand format à Paris : Tintin et ses 250 millions d’albums valaient bien cette grand’messe.

HERGE AU GRAND PALAIS : UNE GRANDE PREMIÈRE

Voilà, c’est parti ! Un vent de folie souffle sur l’hexagone avec en son épicentre un magnifique vaisseau de verre et d’acier ancré près de la plus belle avenue du monde. Pour le public qui va faire la queue pendant des heures pour accéder à bord (mille sabords), la plus avenue du monde se trouve à Bruxelles et s’appelle l’avenue Louise.

C’est là que siège l’empire créé par un magicien qui avait choisi ses initiales (inversées) comme nom d’artiste et qui a donné vie, sur de simples cases de papier, à un petit reporter à la drôle de houpette et aux pantalons de golf.

Tintin, toujours et encore. Hergé, encore et toujours. Paris est une fête et célèbre le dessinateur comme un maître, comme un artiste immense et universel. Jamais le Grand Palais qui accueille les œuvres magistrales des plus grands créateurs du XXe siècle dans des expositions nommées Monumenta (Richard Serra, Christian Botlanski, Anish Kappoor, etc) n’avait donné cet espace de gloire et de lumière à un «modeste» dessinateur de bande dessinée.

HERGE AU GRAND PALAIS POUR FÊTER LES 70 ANS DU JOURNAL DE TINTIN

Et bien c’est fait. Appareillage programmé à partir du 28 septembre, date anniversaire bien choisie, évidemment, Et pourquoi ce jour symbolique ? Tout simplement parce qu’il marque la sortie, à Bruxelles, en 1946, d’un magazine publié à la fois en français et en néerlandais, tiré à 60.000 exemplaires (40.000 et 20.000) qui portait comme titre : Le journal Tintin (Kuipje pour les lecteurs flamands) qui aurait donc eu 70 ans cette année. Journal dont Georges Remi (attention, pas d’accent sur le «e», svp) dit Hergé était le rédacteur en chef.

UNE EXPOSITION TRUFFÉE DE TROUVAILLES ET DE SURPRISES

Au programme de cette exposition pour laquelle il est plus que prudent de réserver son entrée à l’avance, des thèmes originaux : Hergé peintre, Hergé et le sport, Hergé dessinateur scout, Hergé dessinateur publicitaire, Hergé collectionneur et bien entendu tout un rappel de l’immense carrière du père de Tintin.

Expo remplie de trouvailles et de surprises, avec cette affiche somptueuse signée, excusez du peu, Andy Warhol, comme un hommage évident à l’amateur d’art moderne, érigé au rang d’artiste lui-même, comme un clin d’œil (moins évident) au dernier album jamais fini des aventures de Tintin. Immense carrière donc éternellement redécouverte, puisque les générations se succèdent et réapprennent, à tour de rôle, à lire, à rire et à frémir dans les albums éternellement réédités de Casterman. Comixtrip ira la visiter pour vous, cette expo, promis.

TINTIN AU PAYS DES SOVIETS EN COULEURS, BONNE IDÉE ?

Mais surfant sur cet événement parisien qui va faire couler beaucoup d’encre (on va en manger du Hergé!!), Fanny Rodwell, la veuve du dessinateur (George est décédé en 1983) et sa légataire universelle, a accepté de permettre quelque chose qui a fait sursauter les tintinophiles purs et durs : la mise en couleur du tout premier album, «Tintin au pays des Soviets».

Evidemment, Moulinsart (qui sous la houlette de Nick Rodwell veille avec un soin plus que jaloux sur l’Oeuvre et ses dérivés) n’a pas fait faire ce travail à la légère : c’est le directeur artistique des studios Hergé (créés en 1950 par George Remi), Michel Bareau, qui a travaillé pendant un an sur ordinateur pour accomplir cette « translation ». «Les Soviets» font partie de la mythologie tintinophile : sorti en 1930, l’album commandé par l’abbé Norbert Wallez à Hergé (âgé de 21 ans) a été vendu à 10.000 exemplaires. Puis il a disparu des écrans radar jusqu’en…1973 et ses premières rééditions. Le résultat colorisé sera scruté attentivement à Moscou…

LA GRANDE AVENTURE DU JOURNAL DE TINTIN ET UN NUMERO SPECIAL PARIS-MATCH

Autre événement précédant celui-là l’expo, la maison du Lombard et Moulinsart se sont associés pour sortir une somme de 777 pages (allusion transparente au «de 7 à 77 ans»!) consacré à «La grande aventure du journal Tintin» (au prix modique de 39 euros). Et de son côté, Paris Match a raconté, dans un hors-série passionnant, fort bien fait, superbement illustré (publicité gratuite et sincère) l’histoire ou plutôt «La saga du journal Tintin» (112 pages, 6,90 euros).

Ecrit par une bande de spécialistes tintinophiles reconnus et appréciés (Patrick Gaumer, Philippe Mellot, Dominique Petitfaux, Serge Tisseron, Philippe Goddin ou Yves Frémion, entre autres), voilà un magazine qui décortique la naissance du journal, les multiples collaborateurs qui y ont laissé leur marque (et qui sont tous des stars de la BD franco-belge) et surtout les héros dessinés qui sont tous devenus des mythes : Blake et Mortimer, Ric Hochet, Michel Vaillant, Dan Cooper, Alix, Chlorophylle, Thorgal, Comanche, Oumpah-Pah….

Magazine qui, bien entendu, insiste sur le rôle particulier du seigneur de ces travaux forts gais, l’ombrageux George Remi et sa créature imaginaire, laquelle trônera (avec son petit chien blanc) immense et bien réelle sur le toit de l’immeuble du Lombard, avant de se retrouver, en bronze, cette fois dans le jardin d’Uccle, dans la banlieue de Bruxelles. Paris Match ne mentionne pas un autre bronze, représentant le visage de Hergé, cette fois, que croisent les milliers de visiteurs et de fans quand ils descendent la rue piétonne qui porte ce nom, au cœur d’Angoulême. Bronze réalisé par son ami Tchang (devenu un grand sculpteur) et inauguré par Fanny Rodwell elle-même pour son seul déplacement en Charente.

HERGE A ANGOULEME

Tiens, puisqu’il est question d’Angoulême, c’est un peu avec l’aide de Paris Match que la toute première édition du festival local va se faire un peu de promo nationale. Grâce en partie à cette double page de février 1974 intitulée «Quand le père de Tarzan rencontre Astérix» (ce qui était… faux, car si Burne Hogart – ah, le cliché avec Franquin et Kurtzmann ! – était en effet présent, ni Uderzo, ni Goscinny ne s’étaient déplacés en Charente) avec l’image sympa du tac-o-tac entre Claire Brétecher («t’as beaux yeux, tu sais»), Fred et Wolinski, et celle d’un rang d’oignon d’auteurs qui commençaient leur carrière de stars du 9e art.

Paris Match d’ailleurs (après on arrête la pub, si, si!) comme le narre Jacques Langlois dans le hors-série «La saga du journal Tintin», a toujours eu les yeux de Chimène pour Georges Remi. Au point que Hergé – tout le monde a la case en mémoire – va immortaliser l’hebdomadaire dans «Les bijoux de la Castafiore» (1961) en un Paris Flash plus parodique qu’autre chose.

C’était, dans l’esprit du dessinateur pour se moquer d’une interview qui avait eu lieu en septembre 1958 notamment dans sa maison de campagne de Céroux-Mousty et dont le résultat ne lui avait guère plu. Insister lourdement sur un duel potentiel Hergé-Disney en affirmant que «les ambassadeurs de Mickey en Europe tremblent» était, en effet, pour le moins exagéré et passablement ridicule !

Mais c’est pourtant dans les pages de l’hebdomadaire français (le vrai) que le dessinateur trouvera l’inspiration des « « Bijoux» puisqu’en juin 1960, Paris Match faisait sa Une sur… le vol de joyaux appartenant à la star italienne, Sophia Loren.

Mais conclut Jacques Langlois, Hergé n’en voudra pas beaucoup à l’hebdomadaire puisque Jean-Loup de la Batellerie et Walter Rizotto, le photographe de Paris Flash retrouveront sans déplaisir, le capitaine Haddock dans les premières pages des Picaros en 1975.

* Dernier événement de cette folie hergéenne, la publication par Albert Algoud, autre spécialiste incontesté auquel on doit – entre autres – un petit album avec la liste complète des jurons d’Archibald de Haddock, capitaine de son état, la publication donc d’un «Dictionnaire amoureux» de Tintin, somme de 800 pages où l’on apprend tout, mais tout sur le héros de Hergé (Ed. Plon ; 25 euros).

Retrouvez notre autre article sur Georges Remi, Herge : retour sur quelques grands entretiens.

Article posté le mardi 27 septembre 2016 par Erwann Tancé

RENSEIGNEMENTS PRATIQUES

28 Septembre 2016 – 15 Janvier 2017
Hors vacances scolaires : Tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 20h et en nocturne jusqu’à 22h le mercredi
Vacances scolaires (du 20 octobre au 2 novembre 2016 et du 18 décembre 2016 au 2 janvier 2017) : Samedi, dimanche, lundi de 10h à 20h
Nocturnes le mercredi, jeudi et vendredi jusqu’à 22h

Fermeture anticipée à 19h le jeudi 29 septembre
Fermetures anticipées à 18h les samedis 24 et 31 décembre

Fermé le mardi
Fermé le 25 décembre

Nuit Blanche le samedi 1er octobre : gratuité de 20h à minuit

Une salle de l’exposition Hergé n’est pas accessible aux personnes en fauteuil roulant (salle accessible uniquement par 11 marches)

Tarifs : Normal : 13 € Réduit : 9 € Tribu (4 personnes dont 2 jeunes 16-25 ans) : 35 €

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

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