Nob: « il y a une grosse inspiration familiale dans Mamette »

Nob, alias Bruno Chevrier, s’est longuement confié sur ses liens avec le Poitou et notamment sa grand-mère, originaire de Gençay, dont il s’est inspiré pour créer son personnage de Mamette.

Vous avez des liens avec le Poitou. Quels sont-ils?

« Je n’ai jamais vécu ici, mais ma famille est originaire de Gençay, du côté paternel, et de Blanzay, du côté maternel. Je passais mes vacances ici. J’adorais aller chez mon oncle Pierre Chevrier qui avait une grande collection de bandes dessinées. Puis c’était magique de le voir dessiner. J’ai des bons souvenirs de ce qu’il faisait au centre culturel de Gençay.»

Votre personnage de Mamette est inspiré de votre grand-mère gençéenne, Arlette Chevrier…

« Et de celles que j’ai pu croiser partout, même à Barcelone où j’ai vécu. C’est un peu la grand-mère de tout le monde. Mais oui, je me suis inspiré de ce que j’ai vécu chez elle. J’ai essayé de piocher dans mes sensations d’enfance et les souvenirs qu’il me reste. Le mari de Mamette est aussi parti de mon grand-père Jacques, et puis son fils ressemble à mon père… Il y a une grosse inspiration familiale qui sert de squelette à la série. Dans ma tête, ça se passe vers Gençay ou Poitiers, mais il n’y a pas d’indice qui permette aux lecteurs de penser ça. Ça peut très bien se passer dans la petite ville à côté de chez lui. Dans ma nouvelle série, les Souvenirs de Mamette, je suis partie de ce que mémé Arlette me racontait de sa jeunesse et des histoires familiales que je connaissais et j’ai mélangé ça avec des éléments de chez ma grand-mère maternelle. C’est une recréation de l’histoire familiale où je mélange un peu tout. Comme je raconte son enfance à la ferme, c’est plus du côté maternel, où je me suis inspirée de leur ferme vers Blanzay. Mais maintenant, ce personnage est vraiment indépendant de tout ça. »

Comment, lorsqu’on est un jeune homme, on a envie de dessiner des histoires de personnes âgées ?

« Tout au début, lorsque je suis arrivé au magazine de Titeuf, “ Tchô ”, il n’y avait que des personnages d’enfants ou d’adolescents. J’avais envie de prendre le contre-pied des autres séries du journal. Ma grand-mère Arlette était décédée depuis un an. En y repensant, je pense que ça a dû jouer. Mais le projet n’était pas au point, je l’ai donc mis dans mes tiroirs pour le ressortir quelques années plus tard, en 2005. Entre-temps, je suis devenu papa, j’étais plus mature pour parler des relations intergénérationnelles et du temps qui passe. Mamette ne parle pas de la vieillesse, mais des rapports entre les générations. »

N’était-ce pas une prise de risque ?

« Moi, j’avais envie d’une mamie qui soit jeune dans sa tête mais super-classique dans sa représentation. Ça pouvait sembler rebutant pour une série jeunesse. J’ai proposé à mon directeur de collection d’essayer quatre pages dans “ Tchaô ” et si ça ne plaît pas, qu’on s’arrête là. Finalement, ça a accroché assez vite. Avec un public adulte autant que par les enfants. »

Il n’y a pas beaucoup de bande dessinée dont c’est le cas…

« On est plutôt dans une époque où les éditeurs cherchent à s’adresser à des publics ciblés, des populations très précises. Là, c’est l’inverse. Je suis content de voir en dédicace des enfants qui viennent faire dédicacer les albums pour leurs grands-parents, et inversement des grands-parents qui les font dédicacer pour les offrir à leurs petits-enfants. Les albums tournent dans les familles. Ça me fait super-plaisir. »

Votre référence est Goscinny qui justement a réussi à faire ça avec Le Petit Nicolas…

« Et Astérix, oui. Qu’on les lise à 10 ans ou à l’âge adulte, on ne lit pas la même chose. Moi, j’ai commencé Astérix quand j’avais 6 ans, je ne savais même pas lire. Aujourd’hui, je tombe encore sur des choses qui m’avaient échappé. J’essaie de faire en sorte que mes BD soient lisibles très tôt également. »

Comment vous est venue l’idée de faire parallèlement la série Les Souvenirs de Mamette ?

« Les enfants ont du mal à s’imaginer que leurs grands-parents aient été enfants. Je m’étais dit que c’était bien de montrer que Mamette a été enfant. Dans les deux premiers tomes, il y avait une ou deux pages où on la voyait petite fille. Ça me permettait de raconter ce qu’était la vie à la ferme. Mais j’étais frustré de ne pas pouvoir en mettre plus. J’avais envie d’un format plus petit avec des histoires beaucoup plus longues. Etre plus proche du roman littéraire que d’une succession de gags. »

Est-ce que Mamette sortira un jour en dessin animé comme votre autre série Mon ami Grompf (sur France 3 dans l’émission de Titeuf, le mercredi matin) ?

« On me l’a proposé. Ça arrivera peut-être un jour… Mais une série en dessin animée est forcément cataloguée jeunesse. On y perdrait beaucoup. Ça serait plus adapté en long-métrage. Seul le cinéma permet de toucher plusieurs générations à la fois. »

Un spectacle existe déjà…

« Ça a été fait au festival de Blois en 2009 suite au Prix de l’Enseignement qu’avait reçu Mamette. C’était dans un cadre scolaire, avec un comédien de Tours. Ce spectacle raconte Mamette via les personnages secondaires. Pendant ce temps-là, moi je dessine derrière. On le joue de temps à autre, quand on nous le demande. »

De quelles séries vous parle-t-on le plus entre Bogzzz, Mon ami Grompf et Mamette ?

« On me parle beaucoup de Grompf, parce que ça passe à la télé. La série Bogzzz est arrêtée. La série dont on me parle le plus reste Mamette et Les Souvenirs de Mamette. Maintenant, les enfants commencent par celle-ci et c’est après qu’ils ont envie de savoir ce qu’elle est devenue une fois grand-mère. »

Avec toutes vos activités, pourquoi continuer à être coloriste pour les albums de Titeuf ?

« J’ai toujours été coloriste. Quand j’ai démarré dans la BD, dans le magazine “ Tchô ” et avec ma première série Bogzzz, j’ai continué pour un copain… Je continue d’autant que mon épouse le fait aussi. Cela nous permet de travailler ensemble, à domicile. On a fait plusieurs séries, sous le nom de Bruno Garcia. Pour Titeuf, c’est sous le nom de Bruno Chevrier. Zep est lui-même un super-coloriste, il faisait toujours ses albums. Mais pour le tome XI, il était très en retard. Comme j’ai adoré les débuts de Titeuf, qui m’ont beaucoup influencé, quand il m’a dit qu’il cherchait un coloriste, je lui ai dit que j’adorais mettre en couleurs ses Titeuf. Il a été tellement content des essais qu’il m’a proposé de prendre la suite pour les autres albums. J’ai même recolorisé le tome I, sorti en noir et blanc à l’époque. C’est un plaisir en fait. Ça me permet aussi de me couler dans le style d’autres auteurs et de continuer à apprendre. Quand on est toujours auteur sur ses propres séries, on est dans son monde. Ça fait du bien d’en sortir. »

Pourquoi avoir arrêté la rédaction en chef de « Tchô »?

« Je m’y suis toujours senti bien. J’y suis resté 6 ou 7 ans. Je me suis occupé de l’adaptation dans son format actuel. J’ai vu arriver plein d’auteurs qui n’avaient jamais publié. C’est très excitant de voir des auteurs éclore. Mais ça prend beaucoup de temps. Les mensuels s’enchaînent et je n’avais pas le temps de concrétiser d’autres projets comme Mamette, et de travailler sur le projet d’animation de Grompf dont j’ai suivi de près la préproduction… »

Propos recueillis par Marion Valière Loudiyi.
Article posté le jeudi 15 septembre 2011 par Nicolas Albert

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À propos de l'auteur de cet article

Nicolas Albert

Nicolas Albert est journaliste à la Nouvelle République - Centre Presse à Poitiers. Auteur de plusieurs livres sur la bande dessinée (Atelier Sanzot, XIII 20 ans sans mémoire…) ou de documentaires video, il assure également différentes missions pour le festival international de la bande dessinée d'Angoulême : commissaire d’expositions (Atelier Sanzot, Capsule Cosmique, Boule et Bill, le Théâtre des merveilles, Les Légendaires…), metteur en scène des concerts de dessins, rédacteur en chef de la WebTV et membre du comité de sélection.

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