Calvo, Maus : les animaux malades de la guerre

Et côté tricolore alors ? Un œil rapide sur la multitude des pockets de l’immédiate après-guerre (jusqu’aux années 60) dominés par les éditions Artima (Choc, Commando, Dynamic, Téméraire), les éditions populaires mondiales (EPM) avec des titres sans équivoque comme Jeunesse héroïque, Deuxième bureau contre Gestapo, etc. et surtout Marijac avec Coq Hardi et le célèbre et quasi-mythique Trois mousquetaires du maquis (qui ridiculisent les « Boches » plutôt qu’ils ne les tuent) parfaitement symbolique de cette époque de glorification patriotique de la Résistance intérieure.

La bête est morte : une vision réaliste dans un style proche de Disney

C’est d’ailleurs une œuvre entretenant la même flamme sacrée qui est la plus connue probablement des albums de BD consacrés à la seconde guerre mondiale : les deux tomes de La Bête est morte de Calvo (sur un scénario de Victor Dancette) vont connaître un énorme succès (au point d’être réédités d’abord par Futuropolis puis par Gallimard ; en 1995, quarante ans après leur sortie).

Œuvre de « propagande » affirment certains, cette vision parfois très réaliste dans un style graphique pourtant proche de celui de Walt Disney propose une lecture animalière du conflit (on dit « anthropomorphisme ») : les Allemands sont des loups, les Américains des bisons, les Anglais des chiens (des bulldogs), les Français sont soit des lapins, soit des grenouilles (évidemment !) soit des écureuils, soit des cigognes (tout un peuple de cigognes derrière la cigogne en chef, général à deux étoiles), et les Russes des ours polaires.

S’il n’est pas question de la collaboration ni du maréchal Pétain, la Shoah est évoquée avec le port de l’étoile jaune, une première dans la BD de l’immédiat après-guerre.

Maus bouleverse les normes

C’est d’ailleurs une autre œuvre majeure du neuvième art qui va bouleverser les normes : les deux tomes de Maus de l’Américain Art Spiegelman osent aborder et montrer l’innommable en choisissant, comme Calvo l’avait fait à la Libération, de figurer la réalité sous couvert animalier. Les Juifs sont des souris (« Maus » signifie souris en allemand), les Nazis des chats, et les Français… des grenouilles.

Ce récit arraché à son père Vladek (survivant des camps de la mort) par l’auteur, fait de petites cases, passant de la vie quotidienne paisible des trottoirs de New-York aujourd’hui, à l’enfer de la Pologne sous le joug nazi jusqu’à l’abomination du camp d’Auschwitch, a été un véritable choc dès sa publication aux USA en 1986 avant de débarquer deux ans plus tard à Angoulême. Couvert d’éloges et de prix, dont le prestigieux Pulitzer en 1992 (le seul attribué à une bande dessinée), Spiegleman a été sacré Grand prix du FIBD en 2011 et invité d’honneur en 2012.

Article posté le mercredi 06 mai 2015 par Erwann Tancé

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

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