Les auteurs français, la Résistance au coeur et à l’esprit

Côté hexagonal, après une longue période de maturation (qui correspond à celle de la société française) il faudra attendre les années 1980-1990 pour que la BD se lance dans une évocation désormais sans fard de cette période douloureuse. On passe de l’exaltation et du politiquement correct de l’après-guerre à une vision probablement plus réaliste, plus amère, faisant davantage place à « la complexité d’une époque troublée ».

C’est ainsi que Jean-Pierre Gibrat avec Le sursis et Le vol du corbeau trace un portrait d’héroïne très attachant et celui d’un village imaginaire de l’Aveyron très vraisemblable, entre refus et résignation. Cécile, puis Jeanne et son béret rouge vont ouvrir la voie.

Il était une fois en France, le récit d’une vie ambigüe

Sylvain Vallée et Fabien Nury vont s’y engouffrer avec une série majeure : Il était une fois en France racontant la vie équivoque, ambiguë et violente de Joanovici, ferrailleur d’origine juive qui fut à la fois le pire des salauds en collaborant avec la Gestapo mais aida aussi la Résistance au point d’être « blanchi » à la Libération : comme le travail de Gibrat, celui de Nury-Vallée va rencontrer un immense succès (un million d’exemplaires vendus pour la série).

Annie Goetzinger avait, elle aussi, dès le début des années 1980, avec La Diva et le Kriegspiel, décrit l’itinéraire troublant d’une chanteuse d’opéra que sa passion pour la musique va aveugler : Wagner ne peut pas être neutre en pleine guerre !

Jacques Tardi au nom du père

Autre vision amère, celle de Jacques Tardi. Pourtant spécialiste incontesté de la Première guerre mondiale, Tardi a choisi d’évoquer dans une mise en scène où il apparaît jouant le rôle de contrepoint, le trajet de son père, fait prisonnier en 1940 et qui va passer cinq ans derrière les barbelés dans Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB. Manière aussi pour cet antimilitariste convaincu de réécrire à sa façon cette seconde guerre mondiale qui n’en pas fini de remonter à la surface.

La Résistance en force

Avec désormais une nette prééminence (en France) pour le travail sur l’histoire et le rôle de la Résistance. Comme le démontrent deux expositions liées à la BD, l’une du Centre d’histoire de la résistance et de la déportation de Lyon (Traits résistants en 2011) et l’autre du Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne (Toutes les couleurs de la Liberté en 2014) et leur association pour un ouvrage collectif écrit par Jean-Christophe Derrien et illustré par neuf dessinateurs différents avec neuf portraits de résistants : Vivre libre ou mourir.

On retrouve d’ailleurs Plumail et Derrien dans la série Résistances (quatre tomes très documentés mêlant histoires d’amour et résistance lyonnaise ) soutenus par le Musée de Champigny-sur-Marne.

Mais comme le démontre aussi Femmes en Résistance superbe initiative de Casterman (dont le portrait de la Française Berty Albrecht, compagne de Henry Frenay, fondateur du journal et du mouvement Combat, signé Ullcer, dessinateur tourangeau) ainsi que Les mystères de la IVe République : les Résistants de septembre de Richelle et Buscaglia mais dont la forme d’enquête policière ne cache pas toute l’ambiguïté des personnages de l’époque.

L’humour ravageur de Yann et Hardy

Sans ambiguïté cette fois, si ce n’est le parti d’en rire, le très dérangeant et très radical Requiem pour Pimpf de Yann et Hardy qui met à mal avec une évidente délectation, le politiquement correct.

De l’autre côté de la barrière, Guy Moumimoux (qui signera sous le nom de Guy Sajer une autobiographie de sa carrière militaire au sein de la Wehrmacht, lui qui avait fait partie des « malgré nous » alsaciens) va être l’un des rares auteurs à dessiner l’Armée rouge avec un Goulag revisité version humour noir.

Gen d’Hiroshima, le récit d’un survivant

Il serait évidemment injuste d’oublier dans ce panorama tristement incomplet (désolé !), le point de vue japonais : les dix tomes de Gen d’Hiroshima écrit par un survivant de l’explosion du feu nucléaire, Nakazawa, ont eu beaucoup de mal à s’imposer en France où l’apparition du tome 1 en 1983 est considérée comme celle de l’arrivée du premier manga. Il y en a eu pas mal d’autres depuis…

Tout ce long panorama fatalement réducteur pour constater que les fantômes en battle-dress, en casque lourd ou en béret basque et gabardine qui hantent depuis longtemps les pages du neuvième art sont de plus en plus présents.

Le devoir de mémoire, capital, essentiel, mené par les historiens, les associations, les politiques, y trouve un fort relais dessiné. On peut le juger partial, incomplet, inexact voire caricatural : mais en cette date anniversaire, c’est plutôt rassurant de savoir que l’immense public des lecteurs de BD peut aussi, à sa manière, participer à cette réflexion collective autour de ces drames terrifiants que l’on appelle des guerres ! E finita la Commedia, dirait Pratt ; Damned, dirait Buck Danny ! Spieglemann ne dirait rien : il est sur le divan de son psychanalyste…

Article posté le mercredi 06 mai 2015 par Erwann Tancé

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

En savoir