Le journaliste Mikael Corre a partagé pendant plusieurs mois le quotidien de policiers à Roubaix. Il en a tiré « Anatomie d’un commissariat », un récit graphique sans concession ni préjugés.
De l’enquête journalistique au récit graphique
Il en faut du temps pour comprendre un monde qu’on croyait connaître. C’est le constat qu’a fait le journaliste Mikael Corre au terme d’une année d’immersion totale au commissariat de police de Roubaix. Il en a résulté une enquête, publiée dans l’hebdomadaire La Croix, intitulée « Au commissariat ». Une quarantaine de pages qui ont valu à son auteur le Prix or et Prix spécial 2022 de Stratégies, catégorie meilleure enquête.
Aujourd’hui, avec la collaboration du dessinateur Bouqé, c’est un roman graphique en noir et blanc, intitulé Anatomie d’un commissariat qui est disponible en librairie, publié par les éditions Bayardgraphic’. Bienvenue dans la réalité…
« Donner à voir et à comprendre, sans juger »
Ce récit s’articule autour de treize têtes de chapitres. Dans chacun d’eux, le journaliste, traité ici comme un personnage à part entière, accompagne les policiers dans leurs tâches quotidiennes. On commence avec l’audition d’une femme battue par son compagnon. La policière qui l’entend confie ses doutes et ses inquiétudes. Elle dit « vivre cette affaire autant que la victime ». Bien d’autres situations, toutes violentes, seront rapportées dans cet album.
Comment gère-t-on le rapport à la mort quand on doit assister à une autopsie ? Comment fonctionne un commissariat dans une ville où frappent lourdement chômage, misère et trafic de drogue ?
On apprend aussi ce qu’est un service de quart, de quelle manière on gère les geôles. On découvre un univers où le travail des fonctionnaires est « extrêmement divisé », entre police secours, brigades spécialisées de terrain (BST), groupes de sécurité de proximité (GSP) ou encore brigades anticriminalité (BAC).
A chaque nouvelle situation, l’auteur veut « donner à voir et à comprendre, sans juger ». Tâche ardue sans doute où chacun a une idée de ce qu’est la police ou de ce qu’elle devrait être…Les livres, les films, les séries ont à ce sujet largement nourri l’imaginaire collectif. Celui-ci voit souvent dans le policier un individu aux mâchoires carrées et aux gros muscles. Rien de tout cela dans cet récit de 168 pages. Le trait aéré, doux, un rien naïf de Bouqé, qui rappelle celui de Marjane Satrapi campe à l’inverse des personnages au physique assez « ordinaire ».
Chouf, rodéo et contrôles au faciès
Le pari de l’illustration n’était sans doute pas aisé. Il fallait à la fois traduire des activités très quotidiennes et « banales » comme la gestion de la paperasse, les dépôts de plainte… En contrepoint on montre une intervention pour faire cesser un rodéo ou un contrôle au faciès pas toujours bien vécu par ceux-là mêmes qui doivent le réaliser : « Faut choper de l’étranger en situation irrégulière. Pour les statistiques ».
Il y aussi toutes ces interventions qu’un gradé qualifie de « bavurogènes », des perquisitions au petit matin, des acteurs du trafic de drogue prospérant sur la misère des quartiers. Il y a le Chouf, celui qui guette, les « nourrices », ces personnes chez qui les trafiquants cachent de la drogue ou de l’argent. « C’est un vieil homme atteint d’un cancer en phase terminale, un alcoolique rémunéré en bouteilles, une jeune d’une vingtaine d’années qui fait travailler sa sœur de 15 ans ».
Un autre regard
Face à l’ampleur de la tâche, le chef, l’un des personnages clés de ce récit, lâche à un moment : « Dans un commissariat, la question qu’on se pose toujours, c’est : « Où est-ce qu’on s’arrête ? Qu’est-ce qu’on a la capacité de traiter ? »
Cette anatomie d’un commissariat permettra peut-être au lecteur de porter un autre regard sur la police. Sans concessions mais sans préjugés, sans plaidoyer pro domo, il montre des policiers qui parfois se questionnent. Sans matraques, sans LBD, les pieds et les mains dans une réalité pas toujours facile à appréhender.

- Anatomie d’un commissariat
- Scénariste : Mikael Corre
- Dessinateur : Bouqé
- Editeur : Bayardgraphic
- Prix : 23 €
- Parution : 8 janvier 2025
- Nombre de pages : 168
- ISBN : 9782227500792
Résumé de l’éditeur : Une année d’immersion au commissariat de Roubaix, par le journaliste Mikael Corre. Comment se déroule une garde à vue ? Dans quel état sont les geôles des personnes arrêtées en état d’ivresse ? Que peut la police contre le trafic de drogue ? Quelle est la part du manque de formation (initiale ou continue), du manque de moyens, de la misère sociale, des procédures inadaptées, de nos attentes contradictoires dans les dysfonctionnements de la police ?Le journaliste Mikael Corre et le dessinateur Bouqé nous donnent à voir et à entendre la police du quotidien. Pas celle qu’on aimerait, pas celle qu’on dénonce, mais celle qu’elle est. Une enquête en BD qui changera forcément votre regard sur la police.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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