Automne en Baie de Somme

Il est des couvertures qui vous font choisir un album sans avoir besoin de regarder à l’intérieur. Automne en baie de Somme est l’un de ceux-là. Cet album, de Philippe Pelaez (scénario) et Alexis Chabert (dessin et couleur) édité chez Grand Angle, nous entraîne dans un polar au cœur de la Belle Époque. Quand le suspens se mélange à l’Art nouveau.

 

Une couverture référence à Alfons Mucha

Couverture Automne, en baie de somme

 

Comment ne pas être attiré au premier regard par la magnifique couverture d’Automne en Baie de Somme ? La référence à Alfons Mucha, le grand illustrateur et affichiste tchécoslovaque  (1860-1939) est clairement explicite.

On y retrouve la silhouette emblématique de la femme des affiches que l’artiste composait pour des publicités ou des spectacles. La grande Sarah Bernhardt (1844-1923) conquise par son travail déclara :

« Ah ! Que c’est beau ! Dorénavant, vous travaillerez pour moi, près de moi. Je vous aime déjà. ».

Quel plus beau compliment que celui venant de la plus grande actrice de cette époque et femme des plus exigeantes !

 

Poster for Victorien Sardou`s Gismonda starring Sarah Bernhardt at the Théâtre de la Renaissance in Paris - Alfons Mucha    Lorenzaccio - Alfons Mucha

 

La présence du cercle, telle une auréole autour de la silhouette, des fleurs et des volutes sont également une référence au travail de Mucha. La police d’écriture et la couleur dorée, présente dans beaucoup d’œuvres comme celle de Gustav Klimt (1862-1918), ne sont pas sans nous donner des indications sur la période à laquelle se déroule cette histoire, celle de l’Art nouveau.

Un polar qui débute en Baie de Somme

1896, une goélette repose sur son flanc sur la plage à marée basse. Sur le pont se trouve un corps ensanglanté. Il s’agit de celui d’Alexandre de Breucq, un riche industriel. C’est pour cela que le ministre a dépêché sur place l’inspecteur Amaury Broyan.  Après les premières constatations d’usage, il s’avère que l’homme s’est étouffé avec son sang en raison de l’ingestion d’un poison. Une lente agonie dont a pu profiter, pleinement et en toute tranquillité, son meurtrier.

 

 

Qui pouvait bien donc en vouloir à cet homme reconnu pour être le plus social des industriels avec ses employés ? Des hommes et des femmes pour qui il montrait une réelle empathie, en leur redistribuant une part de richesses de l’entreprise ou en les faisant participer aux conseils d’administration.

À l’issue des obsèques, Marthe de Breucq, sa veuve, convoque Broyan pour qu’il la rejoigne à son hôtel particulier. Elle ne peut imaginer pas que quelqu’un, excepté un fou, ait pu s’en prendre à son époux.

 

 

Quand une femme en cache une autre

Alors que l’inspecteur s’apprête à quitter la veuve de de Breucq, le garde du corps de cette dernière lui apprend que l’industriel avait une maîtresse. Une certaine Axelle Valencourt qui pose nue comme modèle pour des artistes peintres tels qu’Alfons Mucha. Mais également des moins connus et sans le sou, comme Hugo Thernisien, étudiant aux Beaux-Arts.

 

 

Qu’elles soient donc officielle ou officieuse, ces deux femmes ne peuvent donc qu’éveiller les soupçon de Broyan. Celui-ci est déterminé à faire toute la lumière sur cette affaire, qui se révèlera être bien plus sordide que ce que l’on pouvait imaginer.

Mise en lumière de la condition des femmes

Au début de chaque partie de cet album qui en comporte trois, les auteurs ont choisi de faire figurer des passages extraits du livre de Nelly Roussel (1878-1922) : Quelques lances rompues pour nos libertés (1910).

Cette femme féministe, antinataliste et libre penseuse, fut l’une des premières à se déclarer en faveur du droit des femmes à disposer pleinement de leur corps. Elle prônait la contraception et l’éducation sexuelle pour les femmes.

 

Image dans Infobox.    Quelques lances rompues pour nos libertés - Nelly Roussel - Google Books

 

Le travail des femmes, les grossesses non voulues, l’avortement illégal,  les mères abandonnées, le droit des hommes à garder les enfants en cas de séparation… Toutes ces thématiques sont évoquées et montrent que la condition des femmes est une bataille quotidienne, quel que soit le milieu social.

Un scénario implacable

Avec son scénario, Philippe Pelaez (Dans mon village, on mangeait des chats et Bagnard de guerre) nous entraîne dans une intrigue à rebondissements où l’enquête n’est pas la seule préoccupation de l’inspecteur Amaury. Celui-ci n’est pas uniquement un policier, mais également un père. Un homme prêt à tout pour faire face à la disparition de sa fille, dans des circonstances dramatiques.

Le cadre historique choisi, celui de la Belle Époque, nous montre un Paris à deux visages. Celui de la grande bourgeoisie vivant au rythme des réceptions mondaines et de l’argent qui coule à flot. Celui du monde ouvrier pour qui un travail harassant contribue à peine à nourrir toute une famille. Ce qui explique que les enfants et les femmes, quelle que soit leur situation, doivent travailler. Un très intéressant état des lieux de la société en cette fin de 19e siècle.

Un dessin inspiré de cette période

Le dessin au trait fin et en direct à l’aquarelle d’Alexis Chabert illustre parfaitement bien cette période de l’Art nouveau. Elle qui fut propice à l’émergence d’un mouvement tout en courbes. Les silhouettes des femmes sont merveilleusement bien représentées, qu’elles soient corsetées ou libérées de toute entrave.

 

Couverture Automne, en baie de somme - édition toilée

couverture de l’édition toilée

Dans Automne en Baie de Somme, le dessinateur met parfaitement bien en valeur les femmes, à une époque où elles devaient plus paraître qu’être. Les femmes de la bourgeoisie étaient un faire valoir pour représenter leur époux, une apparence au-delà de leurs idées.

Automne en Baie de Somme, un polar historique à lire absolument

Cet album rassemble beaucoup d’arguments pour ne pas hésiter à se plonger dedans.

Il est beau, passionnant, féminin et féministe. L’enquête est rondement menée en une seule histoire. Sans que celle-ci ne semble pour autant précipitée.

Une bande dessinée à découvrir avant que ne paraisse l’automne.

Article posté le jeudi 07 juillet 2022 par Claire Karius

Automne en Baie de Somme de Philippe Pelaez et Alexis Chabert chez Grand Angle
  • Automne en Baie de Somme
  • Scénariste : Philippe Pelaez
  • Dessinateur et coloriste : Alexis Chabert
  • Éditeur : Grand Angle
  • Prix : 15,90 €
  • Parution : 25 mai 2022
  • ISBN : 9782818979204

Résumé de l’éditeur :  « À la Belle Époque, elles détiennent deux armes d’exception : la beauté et l’argent.». 1896. Le corps d’un riche industriel est découvert à bord d’une goélette échouée dans la baie de Somme. Pour une affaire de cette importance, on envoie le meilleur policier de Paris, Amaury Broyan. Très vite, l’inspecteur soupçonne la veuve, héritière de l’immense empire. L’enquête révèle alors que l’industriel avait également une maîtresse, Axelle Valencourt, un modèle ayant posé pour de nombreux artistes et notamment Alfons Mucha. Des quartiers cossus de Paris aux cabarets de la Butte Montmartre, l’inspecteur se retrouve plongé dans une affaire complexe et périlleuse, dans laquelle chaque personnage, y compris l’inspecteur, va révéler sa part d’ombre.»

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.

En savoir