Publié chez Steinkis, l’album Beyrouth malgré tout parcourt l’histoire du Liban au cours de ces dernières décennies à travers le regard d’un médecin engagé auprès de ses compatriotes.
Une histoire mouvementée
Comment embrasser le destin d’un pays aussi tourmenté et aussi multiple que le Liban ? C’est le pari qu’ont engagé un duo de jeunes femmes journalistes à travers le média bande dessinée, Sophie Guignon et Chloé Domat. Elles y résident souvent, y ont réalisé plusieurs reportages pour le compte de grandes chaînes télévisées arabophones et européennes. Avec Beyrouth Malgré tout, publié chez Steinkis et dessiné par un auteur libanais, Kamal Hakim, elles ont choisi de décliner d’une autre manière l’histoire et l’actualité de cette région du Proche-Orient.
Un témoin de son temps
C’est à travers le parcours de vie du docteur Robert Sacy, pédiatre reconnu, que les autrices proposent de remonter le cours du temps. En août 2020, au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth, elles font la rencontre de cet homme de 73 ans. Petit bonhomme rondouillard, porteur de bretelles, son « signe distinctif », il a fondé quelques années plus tôt l’un des seuls services de pédiatrie dans un hôpital public au Liban. Il est né en 1950. On surnommait son pays la « Suisse du Moyen-Orient ».
Au fil du temps, les choses ont bien changé. Passé sous la coupe de l’empire Ottoman puis sous mandat français avant l’indépendance en 1943, le Liban va connaître ensuite bien des péripéties. Et le docteur Sacy, témoin de son temps, va toutes les traverser.
C’est d’abord une guerre civile, de 1975 à 1990, une phase de reconstruction dans les années 2000, enfin des soulèvements populaires en 2019 qui dénoncent la corruption des élites et la crise économique. Au milieu de ce chaos permanent, le docteur Sacy fait ce qu’il peut, s’engageant pour les plus déshérités . Il deviendra le pédiatre de nombreux Libanais, mais aussi des réfugiés syriens, des réfugiés palestiniens.
Au coeur d’un système profondément inégalitaire
Portée par le dessin clair et sensible de Kamal Hakim, cette histoire reste celle d’un pays profondément inégalitaire, secoué à intervalles réguliers par de multiples crises. Basé sur un modèle ultra-libéral soutenu par les banques et le tourisme pour attirer les capitaux des pays du Golfe, le Liban est en souffrance. Au fil des pages, les autrices distillent chiffres et données qui permettent de mieux comprendre ce qui se joue dans un pays où 1 % de la population détient 40 % des richesses ou encore que 85 % de l’offre médicale est privée… Le quotidien devient lourd à assumer quand tout ou presque, vient à manquer. « On veut un État digne de ce nom ! lance une manifestante. On veut de l’électricité 24 h/24. De l’eau potable, moins de pollution, des transports en commun, des services publics ».
Après le 4 août
Pour ajouter à tous ces malheurs, c’est une explosion gigantesque qui dévaste une partie de la ville le 4 août 2020. Stockées au port depuis 2013, 2750 tonnes de nitrate d’ammonium font 235 morts, 6500 blessés et 300 000 sans-abri. Au milieu de ce chaos, le docteur Sacy ne baisse pas les bras. Même dans les ruines de son hôpital, il ne perd pas espoir et répète sa devise : « J’ai crié la vie est méchante : l’écho m’a répondu chante. » Depuis la publication de ce roman graphique, le docteur Sacy est décédé. Le travail qu’il avait engagé à l’hôpital de la Quarantaine se poursuit à travers l’association qu’il avait fondée. Son pays, le Liban, est à nouveau plongé dans la tourmente, quand la guerre fait rage à Gaza et qu’elle s’étend au Sud.
- Beyrouth malgré tout
- Scénaristes : Sophie Guignon et Chloé Domat
- Dessinateur : Kamal Hakim
- Éditeur : Steinkis
- Prix : 20 €
- Parution : 17 octobre 2024
- Nombre de pages : 152
- ISBN : 9782365698054
Résumé de l’éditeur : Cet album retrace l’histoire de Robert Sacy, un médecin libanais. Âgé de 73 ans, le docteur a eu une vie mouvementée à l’image du Liban. Il a traversé la guerre civile libanaise (1975-1990) et la reconstruction des années 1990-2000. Pour plus de justice
sociale dans un pays où les inégalités sont la règle, il crée le premier service public de pédiatrie à Beyrouth en 2016. Il participe ensuite aux soulèvements populaires de 2019 aux côtés de la jeunesse du pays avec beaucoup d’espoir, puis voit son hôpital détruit par l’explosion du port de Beyrouth en 2020. C’est à cette occasion tragique que nous avons rencontré le docteur Sacy, hagard, dans les ruines de son hôpital soufflé par la déflagration. De cette rencontre est né un reportage pour Arte, Liban : dans le chaos des hôpitaux (nominé au Festival International du Grand Reportage d’Actualité – FIGRA). Depuis le médecin s’est relevé. Il fait face désormais à l’effondrement économique du pays et au spectre du retour de la guerre depuis octobre 2023.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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