Clear

Dans un futur plus proche qu’on ne le souhaiterait, les hommes vivent avec un implant qui altère une réalité devenue insupportable. Rares sont ceux qui affrontent le monde et souhaitent rester « clear ». Clear, paru chez Delcourt, est un polar de science-fiction mené de main de maître par Scott Snyder et Francis Manapul.

Clear : un filtre pour continuer à vivre.

Quand les États-Unis ont perdu la guerre contre la Chine et la Russie, tout le monde savait que la vie ne serait plus jamais comme avant. Mais personne ne savait à quel point… Au-delà de l’humiliation subie, les embargos et les mesures coercitives eurent bien vite raison du monde libre. Et alors, l’occident tomba dans une décadence économique et sociale insoutenable. C’est à ce moment que l’instinct de survie poussa l’homme à réagir. Et cette fois-ci, ce fut en créant les filtres, des implants cérébraux capables de faire percevoir le monde tel qu’on le souhaite. Et il y en eut pour tous les goûts : uchronie, moyen-âge, western et même monde de dessin animé. Tout était envisageable. Ainsi, pour continuer à vivre, il fallut oublier la vie telle qu’elle était.

Clear : un filtre de plus.

Avant tout ça, Sam Dunes était un soldat dévoué à la cause de son pays. Mais puisqu’il se trouvait dans le camp des vaincus, sa vie bascula. Gravement blessé, il reprit un jour connaissance dans un dispensaire. Et c’est là qu’il fit la rencontre de Kendra McKale.

« C’était une infirmière spécialisée dans la connectivité. Elle s’occupait des blessures à la tête qui détérioraient les liens avec le réseau. En d’autres termes, elle s’efforçait de ne laisser personne au bord du chemin… »

Et paradoxalement, c’est elle, qui passait sa vie à maintenir les patients en lien avec un monde alternatif, qui lui redonna goût à la vie, la vraie. Mais dans la vraie vie, justement, les belles histoires ne durent jamais éternellement.

Best Jacket Press.

Après s’être investi sur Batman dans une série au long cours, Scott Snyder se tourne désormais vers des formats plus brefs. Sous la bannière de Best Jacket Press, un studio qu’il a lui-même créé, l’auteur dévoile des comics indépendants. Et le maître mot de ce projet artistique semble être la diversité. En effet, les registres explorés sont multiples et les histoires sont toutes indépendantes les unes des autres. Dans le cas présent, aux côtés de Francis Manapul, Scott Snyder nous livre une aventure remarquable qui, aux dires de l’auteur, est une fable noire de SF.

Un polar de science-fiction.

Scott Snyder l’a prouvé à maintes reprises : il maîtrise ses classiques. Et, avec Clear, il réalise une œuvre qui brille par sa capacité à exploiter tous les attendus des registres qu’il envisage. Ainsi, l’univers de science-fiction mis en place rappelle indéniablement Blade Runner avec son melting-pot culturel, sa pluie incessante et surtout son obsession pour le rapport que l’être humain entretien avec la réalité.

À ce titre, il n’est pas étonnant de retrouver Laurent Queyssi (scénariste de l’excellent Mundus) à la traduction, lui qui est un spécialiste de l’œuvre de Philip K. Dick. Mais en plus, derrière ce prisme futuriste, on retrouve tous les ingrédients nécessaires pour obtenir un bon polar. Le privé solitaire et taciturne, la mystérieuse femme fatale, l’enquête fumeuse, les fausses pistes et les faux semblants… Tout est là et tout est parfaitement orchestré par l’auteur. Le fait est qu’on sent le scénariste réellement inspiré par ce concept de « filtres ». Mais il faut dire que le talent de Francis Manapul y est pour beaucoup dans cette réussite.

Francis Manapul : le style protéiforme.

Imaginer un monde où chaque personne vit avec un filtre qui lui présente la société telle qu’il la souhaite laisse envisager des possibilités presque infinies. Mais encore faut-il parvenir à retranscrire ce phénomène sur le papier. Et disons-le sans détour : Francis Manapul y parvient de manière étincelante. Bien entendu, le rythme cinématographique qu’il donne à ses planches, les variations d’ambiances et les plans minutieusement choisis touchent au but. Mais dans Clear, ce qui nous tient en haleine, c’est sa capacité, en une case, à nous transporter dans un univers « filtré » original et immédiatement identifiable. Ainsi, pourront se côtoyer des dragons japonais, des personnages de cartoons, des chevaliers en armure, des zombies et même des cowboys inspirés du style de Gir. L’effet produit est saisissant et il contribue indéniablement au plaisir ressenti à la lecture de Clear.

 

Clear, fruit d’une collaboration parfaite entre deux artistes très inspirés, est une œuvre remarquable. Elle ravira les amateurs de science-fiction aussi bien que ceux de polars.

Article posté le lundi 15 mai 2023 par Victor Benelbaz

Clear de Scott Snyder et Francis Manapul (Delcourt)
  • Clear
  • Auteur : Scott Snyder
  • Dessinateur : Francis Manapul
  • Coloriste : Francis Manapul
  • Traducteur : Laurent Queyssi
  • Editeur : Delcourt
  • Collection : Contrebande
  • Prix : 16.95 €
  • Parution : 29 mars 2023
  • ISBN : 9782413049739

Résumé de l’album :  Il est devenu possible d’adapter la réalité à nos propres préférences (modes steampunk, porno, médieval, etc.), tandis que le monde reste statique. Merveilleux, non ? Pas vraiment… SAM DUNE, un ancien flic devenu détective privé, enquête sur un suicide. Dune vit en mode CLEAR, sans aucun filtre. Il voit le monde tel qu’il est vraiment. La victime est son ex-femme, et elle n’avait rien de suicidaire…

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

En savoir