Couteau et piment vert

Afin de sauver le restaurant familial, Ichika, jeune veuve, doit se marier avec un des hommes d’un clan d’Ôsaka. Mais tout ne se déroule pas de la plus simple des manières. Yuki Isoya dévoile cette romance dans Couteau et piment vert, entre recettes de cuisine, volonté de modernité, traditions familiales et occupation militaire américaine. Une très jolie série éditée par Le lézard noir.

Maison familiale, restaurant traditionnel

Kyôto au printemps 1951. Le Japon a perdu la guerre depuis six ans et a dû accepter la présence militaire d’Américains sur son sol. Cette période de reconstruction n’est pas des plus simples. Les ressentiments contre l’occupant sont forts.

A l’Est de la ville, dans le quartier d’Higashiyama, une maison familiale fait office de restaurant traditionnel. La maison Kuwanoki y a installé son établissement depuis de nombreuses années. Mais la guerre a ralenti son développement. Entre restrictions, pénuries d’aliments et précarité, les clients ne sont plus aussi nombreux qu’auparavant.

Un restaurant en sursis

La maison Kuwanoki est composée de la mère – le père est décédé – de Futaba 29 ans et Ichika, 34 ans et veuve. Cette dernière, en plus d’aider le soir au restaurant, travaille dans un hôtel de Kyôto. Elle se rêve en grande cuisinière.

En cuisine, il n’y a que des hommes. Les femmes ne sont que “second” ou “commis”. La décoration assez datée n’est pas si engageante que cela. Les clients ne se bousculent plus au portillon. Le restaurant est proche de la faillite malgré d’excellents plats recommandés par tous.

Comment sauver le restaurant ?

La mère et la tante de la famille Kuwanoki ont alors une idée pour parer à la faillite du restaurant. Elles proposent à la famille Yamaguchi de marier Futaba à leur cadet. Ainsi, ces propriétaires d’hôtels pourront injecter de l’argent dans l’affaire.

Mais rien ne va se passer comme entendu entre les deux clans. D’abord, Futaba fuit le foyer familial sans laisser d’adresse. Puis, le cadet de Yamaguchi a déjà contracté des fiançailles avec une autre femme.

Ichika est alors proposée comme femme à Amané, un autre fils Yamaguchi. Mais, ce jeune étudiant n’a que 19 ans ! Une sacrée différence d’âge peu évidente à l’époque. Mais pour le bien de sa famille, la jeune veuve accepte, renonçant au passage à ses rêves de devenir cuisinière…

Couteau et piment vert, manga d’une grande richesse

Les éditions du Lézard noir proposent Couteau et piment vert, la toute première série de Yuki Isoya. Si elle n’est pas connue en France, elle travaille dans le monde du manga depuis plus de 20 ans.

En choisissant ce titre, la structure poitevine a fait un choix audacieux, tant le manga est d’une grande richesse de thématiques. Prépublié dans le magazine Kiss des éditions Kôdansha, Couteau et piment vert connaît un très joli succès au Japon. Actuellement, 11 volumes y sont disponibles.

L’Histoire post-guerre, les traditions d’alliances par mariage, des personnages d’une grande finesse de caractère et un ton extrêmement engageant font de ce premier opus, un récit prenant et d’une grande qualité.

Deux familles, un restaurant

Tout d’abord, Yuki Isoya plonge son lectorat dans le Japon d’après Seconde Guerre mondiale. Si la mangaka n’est pas aussi vindicative sur cette période que peuvent l’être Kazuo Kamimura (Le fleuve Shinano, Une femme de Sowa) ou encore les auteurs de Garo comme Yoshiharu Tsuge dans leurs histoires ayant comme décor cette période, l’autrice ancre bien son récit dans cette tranche d’histoire.

On y découvre deux familles qui fonctionnent de la même manière. Toutes deux veulent un mariage arrangé. L’une pour sauver son restaurant, l’autre pour asseoir son début d’empire hôtelier. Cette tradition pourtant très ancienne semble encore en vigueur dans les années 1940.

Couteau et piment vert : un contexte historique qui donne la couleur au récit

L’ambiance très traditionnelle est donc marquée dans Couteau et piment vert. On y découvre ainsi des tractations sans l’accord des concernés. Sans oublier la place des femmes dans la société japonaise de l’époque. Elles peuvent travailler comme Ichika mais ont un rôle très important dans le foyer familial.

Quant à l’occupation militaire des Américains, elle est centrale dans le récit. Les soldats y sont visibles dans les hôtels et les restaurants. Madame Morgan du bureau militaire a également un rôle important dans la seconde partie de ce premier volet. A ce propos, la traduction de Mélanie Kochert met très bien en perspective ce moment. Elle insère dans les pages des notes afin de comprendre le contexte historique. Il faut souligner que nous, Français, sommes assez éloignés de cette période japonaise.

Faire entrer le restaurant dans la modernité

Dans Couteau et piment vert, le lecteur apprécie la psychologie très bien campée des personnages. Ils ne sont pas aussi manichéens que le laisse penser les premières vignettes lorsqu’on le découvre.

Ichika, sans vouloir consommer sexuellement le mariage, est tout de même très loyale envers son nouveau mari Amané. Elle ne l’apprécie guère au début. Son arrogance et sa jeunesse ne plaisent pas à la jeune veuve. Elle veut devenir cuisinière et pouvoir proposer ses plats à des clients. Plats entre recettes traditionnelles et recettes plus occidentales.

Amané, hautain et arriviste, prend vite ses marques en logeant directement chez les Kuwanoki. L’étudiant aimerait faire passer un cap au restaurant en y insérant un managérat plus moderne.

Au fil des pages, les lecteurs apprécient de plus en plus la relation entre les deux protagonistes de Couteau et piment vert. Un lien qui se tisse doucement. Ils se découvrent et doivent s’apprivoiser. Le duo s’ouvre alors au monde. Ce couple donne envie de connaître son évolution. On s’attache finalement assez facilement à lui.

Couteau et piment vert : la cuisine pour se rapprocher

Amané ne connaît pas les secrets de la cuisine. Il aime surtout les plats raffinés. Pourtant, aux côtés d’Ichika, ses goûts vont évoluer.

Couteau et piment vert est parsemé de plats, tous plus appétissants les uns que les autres. Il y a même des recettes à la fin des chapitres. ça donne vraiment envie de manger ! Le dessin de Yuki Isoya est d’une grande douceur.

Couteau et piment vert : une romance piquante et savoureuse entre deux personnages antithétiques qui progresseront au fil du récit dans un contexte historique prégnant. Une belle surprise signée Le lézard noir.

Article posté le dimanche 22 septembre 2024 par Damien Canteau

Couteau et piment vert tomes 1 et 2 de Yuki Isoya (éditions Le lézard noir / Kôdansha)
  • Couteau et piment vert, tomes 1 et 2
  • Autrice : Yuki Isoya
  • Traduction : Mélanie Kochert
  • Editeur original : Kôdansha
  • Éditeur francophone : Le lézard noir
  • Prix : 8,50 € par volume
  • Parution : 19 juin 2024
  • Pagination : 192 pages
  • ISBN : 9782353483594

Résumé de l’éditeur : 1951, Kyôto. Fille aînée du restaurant traditionnel « Maison Kuwanoki », Ichika (34 ans) a perdu son époux durant la guerre, et travaille désormais comme commis de cuisine dans un hôtel. Au bord de la faillite, les Kuwanoki décident de conclure une alliance matrimoniale avec Amané (19 ans), fils d’une famille influente d’Osaka, afin de bénéficier d’un support financier. Le nouveau gendre ne mâche pas ses mots pour dénoncer la vétusté de la Maison Kuwanoki… Et sa famille à Osaka prévoirait de surcroît de prendre la main sur le restaurant… ?

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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