Danger Street

Il y a des initiatives éditoriales que l’on pense sans lendemain, qui n’ont pas connu le succès et qui sont vouées à rester lettres mortes. Mais avec les auteurs, ce n’est jamais le cas et il suffit d’une simple lecture d’enfance pour que, des décennies plus tard, un comic-book obscur de DC Comics devienne une mini-série grâce au scénariste Tom King. Ça s’appelle Danger Street, dessiné par Jorge Fornès et publié chez Urban Comics.

Danger Street : du super-héros pour celles et ceux qui n’aiment pas ça

Dans un coin paumé et désertique de l’Amérique, trois héros de seconde zone, Warlord, Métamorpho et Starman, ont trouvé un moyen de rejoindre la Ligue de Justice. Ils ont trouvé un moyen de téléporter à eux et de vaincre, le terrible Darkseid ! Mais rien ne se déroule comme prévu et Starman en vient par erreur à tuer un gamin de passage. Dans le même temps, un quatuor de gamins milliardaire a embauché l’alter-ego du Creeper pour animer un programme de télévision réactionnaire. Oui, tout cela constitue une histoire. Le point commun, c’est Danger Street.

Savoir lâcher prise…

Indéniablement, Danger Street n’est pas le projet le plus facile à « pitcher » de Tom King. Il faut dire que si l’on ne connaît pas le fond historique et éditorial de ce projet, les différents fils de l’intrigue semblent un peu compliqués à nouer. Et ce n’est pas grave, car Tom King assume d’avoir voulu produire un récit accessible à celles et ceux qui ne connaissent pas l’histoire DC. De fait, en dehors d’un ou deux concepts qui sont expliqués dans l’histoire, il n’y a pas besoin de maîtriser la continuité DC pour lire cette histoire.

Danger Street : les super-héros sont toujours prétexte à autre chose

Car Danger Street c’est avant tout l’histoire de gamins qui vivent leur adolescence à pleine balle, entourés d’adultes qui n’assument pas leur statut. Les « casse-pieds » de Danger Street, ce sont ces adolescents qui ont envie de croquer la vie à pleine dent, façon James Dean, quand bien même ils n’ont qu’une vie banale à disposition. La Green Team, ce sont ces enfants qui eux, grandissent beaucoup trop vite, pressés par des adultes qui veulent les voir réussir là où eux ont échoué.

Le Creeper, vigilant violent la nuit et réactionnaire plus ou moins sincère le jour, ce sont ces enfants qui avaient des rêves enflammés et n’ont pas été capables de leur donner vie. Le Manhunter, ces adultes matricés depuis leur enfance par une vision qui n’est pas la leur et ne leur correspond pas vraiment même s’ils suivent encore et toujours la ligne qui leur a été fixée.

Et je ne m’étends pas sur les héros de seconde zone poussés par une société de la performance à devenir des justiciers cosmiques…

Alors donc, suis-je en train de vous parler de super-héros ? Pas tellement. Donc il n’est pas utile d’aimer cela, pour lire Danger Street.

Et donc, de quoi s’inspire Tom King ?

Maintenant, peut-être voulez-vous comprendre ce qui se cache derrière les pages de Danger Street. Notez que le traducteur Jérôme Wicky a été sollicité pour produire un texte d’explication particulièrement éclairant pour cette version française. Les personnages de Danger Street sont tous issus d’une même publication First Issue Special.

En 1968, le directeur éditorial de DC Carmine Infantino fait une analyse simple : les numéros 1 se vendent toujours mieux que les n°2. Alors, il va faire une série avec chaque mois, un numéro 1 et donc des personnages différents. Avec donc, aucune possibilité pour les lecteurs de s’attacher aux personnages qu’ils découvrent ou redécouvrent dans les pages du magazine. Chaque personnage ou équipe de Danger Street a donc bénéficié d’un de ces premiers numéros. Et Tom King a profité du fait qu’ils partagent le même univers, pour leur créer une histoire commune.

Et sinon, ça vaut quoi, cette proposition ?

Les détracteurs de Tom King n’auront sans doute guère plus de raisons que d’habitude, d’apprécier Danger Street. On y retrouve les habitudes d’écriture du scénariste, avec des dialogues conséquents et son amour des gaufriers à neuf cases. Pour autant, si l’on n’est pas fermé aux écrits de l’artiste, Danger Street constitue-t-il une œuvre intelligente et sincère. L’amour pour ces personnages boiteux se ressent à chaque page. Brillant technicien, King construit un récit mystérieux, qui entraîne le lecteur à tourner les pages, sans qu’il ne s’en rende compte. Juste parce que l’on est emporté par l’atmosphère de mystères du récit et que l’on veut comprendre comment tous les fils vont se raccorder.

Danger Street : un autre regard sur l’Amérique MAGA

On notera un trait commun avec Rorschach, réalisé par le même duo : l’Amérique trumpiste. King, ancien agent de la CIA, ne semble pas adhérer à cette vision du monde, incarnée ici par le Creeper. On le sent observateur de cette Amérique qu’il ne veut pas juger, mais dont l’idéologie semble le déranger. Cela ne fait pas de Tom King un dangereux communiste, comme les trumpistes aiment à cataloguer tous leurs adversaires. Seulement le partisan d’une autre voie politique. Mais nécessairement en désaccord sur les observations, mais assurément en désaccord sur les réponses apportées.

Deux artistes qui savent tenir une mini-série

Et puis, comme dans Rorschach, Tom King bénéficie du soutien d’un duo précieux au dessin. Jorge Fornès au crayon, Dave Stewart au dessin, viennent apporter un ton réaliste idéal pour porter les intentions du scénariste. Le duo vient donner de la crédibilité au monde qu’il met en scène. Danger Street nous emmène parfois sur Apokolips et New Genesis, les planètes des New Gods. Mais le propos s’intéresse avant tout aux humains, à leurs actions, à leurs sentiments. Fornès déploie comme à son habitude un très précis, fermé. Il dose avec justesse ses encrages, entre masses noires et trames grisantes.

Dave Stewart, à la couleur, travaille en aplats fermés. Il y a quelque chose d’européen, dans son travail ici. Les effets numériques sont dosés avec précision. Encore une fois, le dessin doit porter la crédibilité de ce monde.

Danger Street : la série DC discrète à lire en 2024

Danger Street, de Tom King, Jorge Fornès et Dave Stewart, publié en France par Urban Comics, ne sera pas le titre le plus visible chez DC en 2024. Mais il montre comment l’éditeur à deux lettres sait donner la parole à des artistes pour utiliser tout l’historique de son catalogue afin de proposer non pas des contenus à binge-reader, mais de véritables comic-book à lire et à réfléchir. Encore une leçon pour Marvel Comics.

Article posté le mardi 03 septembre 2024 par Yaneck Chareyre

Danger Street (urban comics)
  • Danger Street
  • Scénariste : Tom King
  • Dessinateur : Jorge Fornès
  • Coloriste : Dave Stewart
  • Traducteur : Jérémy Manesse
  • Éditeur USA : DC Comics
  • Éditeur France : Urban Comics
  • Nombre de pages : 376
  • Prix : 36€
  • ISBN : 9791026825692

Résumé éditeur : Starman, Metamorpho et Warlord souhaitent intégrer la Justice League à tout prix. Pour prouver qu’ils en sont dignes, ils ont la brillante idée d’invoquer et d’affronter l’un de ses plus redoutables ennemis : Darkseid. Sans grande surprise, les conséquences sont terribles pour le monde, qui se dirige bien vite vers une crise sans précédent. Le voyage pour tenter de rattraper leur bévue sera périlleux, et l’aide de Manhunter, Lady Cop, Creeper ou encore la Green Team ne sera pas de trop !

À propos de l'auteur de cet article

Yaneck Chareyre

Journaliste , critique et essayiste BD depuis 2006.

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