Dragon Head

Au retour d’un voyage scolaire, le train déraille. L’accident est tellement violent qu’il n’y a que trois survivants. Trois adolescents piégés dans un tunnel. Minetaro Mochizuki nous immerge dans la torpeur de ce huis-clos angoissant, entre drame psychologique et horreur.

L’histoire et le drame

Plusieurs classes d’un lycée tokyoïte rentrent de voyage scolaire. Teru emprunte un baladeur à un camarade et retourne à sa place. Le temps de s’affaler dans son siège, il se tourne vers la fenêtre : « Tiens, c’est marrant… Yasu t’as vu le ciel ? » a-t-il le temps de demander avant que le train ne s’engouffre dans un tunnel. Le wagon tremble.

Le train déraille.

L’accident est d’une telle violence que Teru, Nobuo et Ako sont les seuls survivants. Les trois adolescents se retrouvent projetés dans un monde clos. Enfermés dans le tunnel effondré, et dans un train rempli de cadavres.

Sans moyen de joindre l’extérieur, ils ne savent pas si les secours viendront. Ni ce qu’il se passe réellement. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’il se passe quelque chose.

Teru, Nobuo et Ako sont plongés dans le noir. Sur le fil de la survie, les frontières de l’humanité s’étirent, s’étiolent, frayent avec les limites de la folie…

L’ambiance : l’oppression par le huis-clos

Sans doute qu’il n’y a pas meilleur première de couverture que celle-ci pour représenter Dragon Head. Nobuo nous capture en un instant. Inquiétant garçon qui se présente à nous le visage peinturluré. Le regard au-delà de nous, un sourire au lèvre, comme si nous devions nous méfier de ce qu’il y a derrière nous, et que cela l’amuse.

Son regard nous englobe et nous tombons dans les pages brutalement. Aussi brusquement que le train entre dans la montagne pour ne plus jamais en sortir.

Une fois entré, l’univers ne se résume plus qu’à ça : Le tunnel. Les sons qui claquent sur les feuilles noires. La lourdeur des paysages clos en pleines pages. Les premières cases en couleurs nous exposent un décor violent de silence. Il suffit de cela pour nous enfermer dans le huis-clos qu’est Dragon Head. Quelques gouttes de récit parachèvent la prison littéraire : La frénésie de Teru qui découvre sa situation, les gravas d’un bout à l’autre du tunnel. L’ambiance est posée. Vous êtes là jusqu’à la dernière page, et pas question de quitter cet endroit.

Au fur et à mesure que le récit avance, la lourdeur de l’ambiance grimpe, la température aussi. Les tensions s’installent, électriques. La soif nous serre la gorge, la lumière finit par nous agresser tant le livre est plongé dans l’ombre. L’oppression nous atteint par tous les sens. Minetaro Mochizuki nous emporte corps et âme dans son enfer noir.

L’horreur c’est soi-même

Chaque instant est une lutte pour garder la raison, et chaque logique est un revers de l’esprit pour se préserver. Plus ou moins. Teru, Nobuo et Ako ont chacun des comportements différents face à leur situation. Minetaro Mochizuki les explore. Il pousse à bout ses personnages jusque dans leurs retranchements. Et peut être plus loin encore…

Nous sommes accrochés à cela. Les héros ont peur. Et nous, nous avons peur pour les héros. Qu’ils meurent ? Qu’ils deviennent fou ? Minetaro Mochizuki nous questionne aussi. Jouant avec notre propre moralité, ou notre simple compréhension de l’esprit humain.

La peur a ses raisons que la raison ignore.

Le graphisme….

Sans lui, Dragon Head serait bien moins effrayant. Minetaro Mochizuki nous envoûte totalement avec ses jeux d’ombres et lumière. Les lignes à peine esquissées dans le noir nous font frissonner. Les pleines pages nous submergent. Le Noir nous étouffe.

Malgré la pénombre omniprésente, le dessin est doux et net. Sans rien ôter à sa densité. Il fait appelle à tous nos sens. Spécialement l’ouïe et le toucher. Les mouvements sont dynamiques et nous emmènent dans le moindre recoin de l’action.

Un genre qui frappe.

Entre drame psychologique et événement qui dépasse le sens humain, rien de surnaturel ici. Bien au contraire. Tout se joue dans les angles morts de l’esprit. L’ignorance de plus grand que soi a cette chose de terrifiant que cela peut nous écraser subitement, à notre insu.

Dragon Head s’inscrit dans un genre de la littérature japonaise bien précis : le récit catastrophe. Dans une situation où la société n’existe plus, les instincts de base reviennent au galop. Avec eux, les peurs ancestrales qui réveillent les monstres en nous.

Minetaro Mochizuki est brillant dans ce qu’il fait. Nous faire ressentir toute l’angoisse de l’esprit humain poussé à l’extrême, dans un contenant-dessiné de 431 pages. Ici, diablement bien mis en valeur par la réédition des éditions Pika, collection Pika graphic.

Dans le format actuel, la série est prévue en 5 tomes. 5 tomes ! Et dire qu’à la fin du premier vous avez déjà du mal à imaginer à quel point ça peut être pire. Nous dévorons l’histoire comme des assoiffés. Délectable autant par le récit que par le graphisme, c’est un manga redoutable. Il nous invite à une véritable introspection insoupçonnée. Car à l’image de nos personnages, on ne ressort pas indemne de Dragon Head.

Si pour Sartre, l’enfer, c’est les autres, pour Mochizuki, l’horreur, c’est soi-même…

Article posté le lundi 15 février 2021 par Marie Lonni

Dragon Head - Minetaro Mochizuki - Pika graphic
  • Dragon Head
  • Auteur : Minetaro Mochizuki
  • Editeur : Pika, édition Pika Graphic
  • Prix : 18 €
  • Parution : 20 janvier 2021
  • ISBN : 9782811633233

Résumé de l’éditeur : Lors d’un voyage organisé par une école, un train déraille dans un tunnel. L’accident, dont la cause semble aussi imprévisible qu’insolite, est si brutal que tous les passagers du train meurent sur le coup, exceptés deux garçons et une fille. Téru, Nobuo et Ako, trois rescapés se retrouvent enterrés sous les décombres du tunnel et sont désemparés en découvrant toute l’horreur de la réalité. Un huis clos angoissant se met lentement en place, montrant la réaction des trois jeunes élèves face au chaos.

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

En savoir